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sYTVQç.
"^^^RA^^^
L'INDO-GHINE
ET SON AVENIR ÉCONOMIQUE
DU MÊME AUTEUR
SiEYÈs (1748-1836;, d'après des documents inédits.
Première édition^ 1 vol. in-8o.
Deuxième édition^ 1 vol. in-12.
Pour paraître prochainement :
La Politique extérieure de la Révolution, tome I. La
France attaquée.
En préparation
Tome II. La France se défend.
Tome III. La France s'agrandit.
tWLE COLIN, IMPRIMERIE DE LAQNY (8.-A-M.)
n
1
ALBÉRIC NETON
L'INDO-GHINE
ET
SON AVENIR ÉCONOMIQUE
AVEC UNE PRÉFACE
Par M. Eugène ETIENNE
Président du Groupe colonial.
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER
PERRIN ET C'% LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DBS ORAMDS-ÀUaUSTIMS, 35
1904
Tons droits réservés.
."Vf 7
^ I
PRÉFACE
Un grand progrès a certainement été réalisé
dans notre pays depuis Tépoque où le prince
de Bismarck, dans un de ses paradoxes restés
fameux, définissait Tattitude coloniale de
l'Angleterre, de TAllemagne et de la France.
« L'Angleterre, disait-il, a des colonies et des
colons; l'Allemagne a des colons, mais n'a
pas de colonies (c'était en 1883) ; la France a
des colonies, mais n'a pas de colons. » Le
mot eut d'autant plus de succès chez nous
qu'il correspondait à la thèse favorite des
adversaires de la Tunisie, des adversaires du
Tonkin, aussi nombreux à cette époque qu'ils
VI PROPAGE
sont devenus rares aujourd'hui. Pourquoi,
comment coloniser quand il n*y a pas d'excé-
dent de population qui alimente un courant
régulier d'émigration ? Cependant la France
est devenue coloniale ; ses jeunes énergies
trouvent en Afrique, en Asie, en Océanie
l'emploi d'initiatives que rebutent les voies
trop encombrées de la vieille Europe.
Les officiers, les explorateurs ont montré
la route. Et maintenant, c'est la jeunesse stu-
dieuse qui, à la parole de ses maîtres, com-
prend qu'il y a aux colonies non seulement
de beaux coups à donner ou à recevoir, non
seulement des découvertes à faire, mais aussi
de fructueuses entreprises à tenter. Du même
coup est entrée, dans le domaine des idées
universellement admises, une vérité timide-
ment énoncée auparavant par quelques théori-
ciens audacieux : à savoir que Texpansion au
dehors, loin d'être une cause d'affaiblisse-
ment pour un pays par le prélèvement qu'elle
détermine sur l'effectif de sa population,
vivifie les forces actives de la nation et aug-
mente sa puissance politique.
PREFACE VII
Mais qu'on nous entende bien. Il ne s'agit
pas de diriger vers les colonies des fruits
secs, mais des jeunes gens, cultivateurs, ingé-
nieurs, commerçants, industriels, armés pour
la vie et spécialement préparés à l'existence
coloniale. Déjà Lyon, Marseille, Bordeaux
ont pris des initiatives hardies que le succès
n'a pas tardé à couronner. Petit à petit, la
pépinière des colons utiles se forme, se com-
plète, et répondra bientôt à tous les besoins.
Nous n'aurons plus le lamentable spectacle
de l'exode vers les pays lointains, sous le
nom d'émigrants, de malheureux qui n'ont
pour tout bagage que les désillusions d'essais
malencontreux tentés sur le vieux continent
et les illusions qu'entretient leur ignorance
des terres nouvelles où ils vont chercher for-
tune. Il est de toute nécessité que chacun
sache à l'avance quelles sont les conditions,
souvent difficiles, du succès, et qu'il ait avant
de partir la certitude de trouver un emploi
immédiat de son activité, de sa compétence
spéciale et de ses capitaux. C'est ainsi que
s'opérera la mise en valeur de nos colonies
VIII PRÉFACE
et principalement de l'Indo-Chine, la plus
riche, la plus prospère, la plus puissante de
toutes. N'est-elle pas déjà en pleine activité'
et ne fait-elle pas, chaque jour, preuve d'une
incomparable énergie? L'ordre et la disci-
pline, partout rétablis, ont ramené la con-
fiance. Les indigènes ont repris possession
des terres que la piraterie avait fait abandon-
ner. L'impôt ancien a rendu au delà des pré-
visions les plus optimistes. Des taxes nou-
velles ont été acceptées sans trop de peine et
sont venues grossir les recettes du budget.
Aux déficits d'autrefois ont succédé les excé-
dents. Après avoir gagé les emprunts qu'a
autorisés le Parlement, ils ont permis de
payer une part importante des dépenses mili-
taires que la métropole avait conservées à sa
charge; d'emplir la caisse de réserve, qui
présente un respectable actif de 30 millions;
de subventionner enfin d'une façon très pro-
fitable à l'influence française des établisse-
ments ou des entreprises qui sont en dehors
du territoire indo-chinois. La colonisation
s'est également développée. En 1896, le
PRÉFACE IX
nombre des exploitations rurales européennes
était de 323 avec une superficie de 80.861 hec-
tares. A la fin de 1901, il était de 717 avec
357.481 hectares. Quant au commerce, dans
la même période, il a augmenté de 148
pour 100, la part de la France passant dé 30
à 100 millions pour les marchandises qu'elle
envoie en Indo-Chine, de 10 à 39 millions
pour les produits qu'elle en reçoit.
*
* *
Il est, en effet, peu de colonies qui aient
bénéficié d'un aussi remarquable essor. Et le
fait est d'autant plus surprenant que Tlndo-
Chine est le dernier né — si je puis ainsi
m'exprimer — de toute la famille. Voyez ses
aînés, nulle part on n'y sent s'affirmer un
organisme aussi robuste, une vitalité aussi
puissante. Et cependant nulle colonie n'eut à
vaincre plus de résistances, plus de préjugés,
plus de parti-pris.
L'histoire est toute récente de cette impo-
pularité qui frappait le Tonkin, cette colonie
PREFACE
lointaine que Ton disait malsaine, meur-
trière, infestée de pirates, pays de brousses
et de forêts où jamais les Français n'oseraient
s'établir. Puis, peu à peu, les préventions
sont tombées ; on s'est risqué — timidement
— à venir dans ces inquiétantes régions, on
les a parcourues ; un jour, enfin, on s'y fixa.
Et quand ceux qui y avaient pénétré les pre-
miers furent revenus et qu'ils eurent montré
toute la fausseté des légendes ou des préven-
tions répandues sur l'Indo-Chine, un mouve-
ment de sympathie se manifesta dans l'opi-
nion. La conquête morale était faite. Depuis
la faveur du public n'a fait que s'accroître, et
aujourd'hui, cette colonie, bafouée, décriée,
est devenue comme un enfant gâté à qui on
ne sait rien refuser. Elle a joui d'un véritable
régime de faveur et il faut reconnaître qu'elle
sut très utilement et très intelligemment le
mettre à profit.
Jusqu'en ces dernières années, l'absence
ou l'imperfection des moyens de communica-
tion, la lenteur, l'incertitude, le prix élevé
des transports, la difficulté de se procurer
PRÉFAGE XI
parfois la main-d'œuvre sur place, tout enfin,
jusqu'à notre ignorance des mœurs et des
coutumes d'un peuple que nous voulions colo-
niser, furent de très sérieux obstacles à une
œuvre d'ensemble et paralysèrent les initia-
tives privées.
Le mouvement industriel se dessinera de
plus en plus, à mesure que les richesses que
rindo-Chine recèle en abondance sur toute
l'étendue de son territoire seront mieux con-
nues et surtout mieux utilisées, et, qu'à côté
des chemins de fer, la construction de routes
nombreuses, l'extension des services de cor-
respondances fluviales, l'organisation des
lignes de cabotage achèveront de préparer le
pays en vue d'une production de plus en plus
intense.
L'Indo-Chine est à une heure décisive de
son histoire. Son avenir économique se pré-
cise et s'affirme au loin. Encore quelques an-
nées de tranquillité et de paix, de labeur et
de patience, et elle aura pris, dans les rela-
tions mondiales, la situation qui lui revient
sans conteste.
XII PREFACE
Quel chemin franchi en moins de quinze
ans !
*
* *
En 1890, Tadministration des Colonies —
qui n'était, à cette époque, qu'un sous-secré-
tariat d'État insuffisamment émancipé de la
tutelle d'un autre ministère — soumettait au
gouvernement un projet d'emprunt destiné à
liquider le passif du Tonkin et à doter notre
nouvelle colonie de l'outillage indispensable
à sa sécurité et à son développement. Ce mot
d'emprunt sonnait mal, à cette époque, aux
oreilles parlementaires. Après une consulta-
tion sommaire de la Commission du budget,
le ministre des finances substituait à la com-
binaison primitive un projet d'avances, au
taux de 3 pour 100, à faire par le Trésor à la
Colonie. Mais les Chambres ne voulaient pas
plus d'avances que d'emprunt. Le Tonkin dut
se contenter de quelques menus subsides et
vivre d'expédients en attendant des jours
meilleurs.
Six ans plus tard, la loi du 10 février 1896
PREFACE XIII
autorisait le protectorat de l'Annam-Tonkin
à contracter, avec la garantie de TÉtat, un
emprunt amortissable de 80 millions, dont
43 millions ont servi à liquider des engage-
ments antérieurs et 37 millions à exécuter
des travaux publics particulièrement urgents.
Deux ans plus tard un pas nouveau était
franchi. M. Doumer obtenait du Parlement
l'autorisation d'emprunter 200 millions pour
la construction de chemins de fer en Indo-
Chine. La garantie métropolitaine n'interve-
nait que pour la ligne qui de Laokay pénètre
en territoire chinois. L'emprunt indo-chinois
proprement dit n'était garanti que par la
seule colonie. Lancées dans le public, par
l'intermédiaire de la Banque de Tlndo-Chine
et de quatre de nos principales banques d'é-
mission, les obligations de 500 francs à 3 1/2
créées par le gouvernement général ont été, à
deux reprises, accueillies avec faveur. Cin-
quante millions une première fois en 1898,
soixante-dix millions une seconde fois en 1902
ont pu être consacrés à l'exécution du réseau
ferré indo-chinois.
XIV PREFACE
Actuellement, la ligne de Haîphong à
Hanoï est ouverte à Texploitation; les tra-
vaux de la section Hanoï à Laokay sont en
cours. La partie de Hanoï à Viétri touche à
son achèvement, le tronçon de Viétri à Laokay
sera terminé dans deux ans. Avant la fin de
Tannée, Hanoï sera relié à Nam-Dinh et
Vinh au Song-Ma. Sur d'autres points les
travaux de terrassements sont adjugés et en-
trepris; mais il serait prématuré d'indiquer
la date de leur achèvement. Ce que Ton peut
affirmer, c'est que Texpérience devant la-
quelle reculaient, il y a treize ans, le gouver-
nement et les Chambres, est faite aujourd'hui
avec un plein succès en Indo-Chine. Le
crédit colonial indo-chinois est créé ; il se
soutient, malgré la dure épreuve que vient de
traverser le Tonkin, avec une remarquable
fermeté.
Nos colonies ont, en effet, besoin d'être
dotées d'un capital de premier établissement
nécessaire à leur pleine mise en valeur. Ce
capital, ce ne sont pas les subventions de la
métropole qui peuvent le fournir, ce ne sont
PREFAGB XV
pas non plus les revenus annuels des colonies.
C'est au crédit public qu'il faut le demander.
Ainsi ont procédé les colonies anglaises
dont la dette, comparée à celle de nos colo*
nies, peut paraître formidable. Pour le Ca-
nada, elle s'élève à 346 millions 207.980 dol-
lars, c'est-à-dire à 1 milliard 700 millions de
francs. Le Cap a 27 millions 613.947 livres
sterling d'emprunts non garantis, sans préju-
dice de 3 millions 483.878 livres d'emprunts
garantis; en tout, en chiffre rond, plus de
750 millions de francs de dette coloniale.
Natal a une dette de 225 millions contractée
pour la construction de ses chemins de fer.
En Australie, chacune des sept colonies qui
forment le Commonwealth a eu recours à
l'emprunt pour des totaux qui varient de
300 millions de francs (pour l'Australie Oc-
cidentale) à 1.625 millions (Nouvelle-Galles
du Sud). D'année en année, ces dettes aug-
mentent, à mesure que s'impose Texécution
de nouveaux travaux. Nul ne s'en étonne
chez nos voisins ; personne ne s'en effraie. On
sait que les travaux entrepris augmenteront
XVI PREFACE
les revenus de la colonie, et cette plus-value,
en laquelle le public a foi, constitue le meil-
leur gage, la plus sûre garantie des emprunts
coloniaux.
Que manque-t-il à nos colonies pour ins-
pirer la même confiance? Il leur manque
surtout d'être connues. Et c'est pourquoi, on
ne saurait trop encourager les efforts d'hom-
mes d'initiative qui, comme M. Albéric
Neton, ont pris à cœur de dresser Tinven-
taire méthodique des ressources qu'offre
l'Indo-Chine, et de répandre, par la plus
large publicité, les résultats de leur enquête.
Je souhaite que tous les bons Français,
que tous ceux qui ont le juste souci des vrais
intérêts du pays lisent et méditent ce livre,
fruit d'études consciencieuses et d'observa-
tions sagaces. Ils y trouveront, en même
temps qu'un enseignement utile pour le pré-
sent, des espérances réconfortantes pour l'a-
venir.
Ëug. Etienne.
Paris, le 10 Septembre 1903.
AVANT-PROPOS
I
On a déjà beaucoup écrit sur Tlndo-Chine et
de fortes et substantielles études ont appris au
grand public à mieux connaître et à mieux appré-
cier ce pays. Je crois les avoir à peu près toutes
lues, et bien qu'elles aient forcément traité les di-
verses matières qui font l'objet du présent livre,
je n'hésite pas à publier celui-ci, persuadé que
tout n'a pas encore été dit, qu'au contraire, bien
des points ont été laissés dans l'ombre, points
qu'il est indispensable que l'on découvre, lacunes
qu'il est nécessaire de combler sans retard.
Soit que l'on ait fait l'éloge ou la critique, soit
que l'on ait défendu ou attaqué — thèse, dithy-
b.
XVIU AVANT-PROPOS
rambe, réquisitoire — la préoccupation person-
nelle perce dans tous les écrits précédents, et le
lecteur impartial, celui qui veut, en dehors de
tout parti-pris, se faire une opinion, ne peut se
dégager des formules où voudrait l'enfermer Té-
crivain, ni s'affranchir de jugements qui parais-
sent vouloir lui être imposés.
L'heure est venue où les faits doivent être
exposés en toute impartialité, afin qu'ils puissent
parler par eux-mêmes et provoquer le verdict que
l'histoire prononcera un jour. Vingt ans d'efforts,
de travail et de luttes; vingt ans où Ton a dé-
pensé, sans compter, l'énergie de la France, son
intelligence et son argent, constituent un témoi-
gnage que rien ne peut obscurcir ni troubler, et
il devient puéril de songer même à l'essayer. C'est
ce témoignage qu'il faut invoquer. Décriée sys-
tématiquement par les uns, louée avec excès par
les autres, l'Indo-Chine se présente aujourd'hui
avec toute la pureté d'une œuvre lentement dé-
pouillée des scories, des souillures, des impure-
tés qui l'embarrassaient, en altéraient les con-
tours ou en dissimulaient les formes.
Il ne s agit pas de rechercher la part plus ou
moins grande qui revient à chacun; il ne s'agit
pas davantage de proclamer, souvent aux dépens
AVANT-PROPOS XIX
d'un autre, les résultats particuliers ou même
ceux d'un instant. Il faut voir plus haut et plus
grand. Il faut surtout s'élever au-dessus des pe-
tites considérations, parfois étroites, toujours
mesquines, d'intérêt personnel, et voir l'œuvre
d'ensemble, l'œuvre générale, la fresque gran-
diose qui embrasse toute une époque, où, arti-
sans d'un même travail, les hommes d'hier
comme ceux d'aujourd'hui se trouvent groupés,
unis et confondus. Longtemps, la France n*a
voulu voir dans Tlndo-Chine qu'une colonie mili-
taire, sans le moindre avenir commercial ou in-
dustriel, une marche sur les frontières de Chine,
un point de pénétration éventuelle dans cet Em-
pire du milieu considéré, au contraire, comme un
véritable Eden, dont toutes les puissances conti-
nentales viendraient un jour se disputer les ri-
chesses et se partager les lambeaux. C'était une
double erreur. D'abord, la Chine est loin d'être ce
pays merveilleux que quelques-uns se sont plu à
décrire, et rien ne paraît plus problématique que
les espérances que Ton avait un instant fondées
sur elle. Au surplus, elle traverse aujourd'hui une
telle crise qu'il devient impossible de pronosti-
quer quoi que ce soit et encore moins de prévoir,
sauf le cas de décomposition ruinant alors tout le
XX AVANT-PROPOS
profit escompté, si cette opération toujours un
peu rude, qui s'appelle en histoire un partage,
donnerait les résultats qu'on en attend. La se-
conde erreur est plus capitale encore. Considérer
rindo-Chine comme une colonie militaire, c'est
méconnaître, en même temps que tous les sacri-
fices qui ont été faits dans ces vingt dernières an-
nées, la situation même du pays, la mentalité
de la race, la valeur du sol, sa position géogra-
phique, comme aussi son passé, son origine,
son histoire.
Nulle autre colonie que llndo-Chine n'est, au
contraire, appelée à un plus grand développement
commercial et industriel, nulle n'a devant elle un
avenir économique plus brillant. Tant que l'insta-
bilité, l'insécurité désolaient la plupart des pro-
vinces, que les relations étaient loin d'être assu-
rées, que, d'un bout de l'empire à l'autre, l'hosti-
lité ou la méfiance paralysait tout système d'é-
change, les détracteurs avaient beau jeu; il était,
en effet, à peu près impossible de songer à tirer un
parti quelconque des divers éléments utilisables.
Mais aujourd'hui rien ne s'oppose plus à l'exploi-
tation sur place des matières premières que l'on
trouve répandues, en abondance, sur presque
toute la surface du Tonkin et de l'Annam. Ce
AVANT-PROPOS XXI
n'est, certes^ pas la main-d'œuvre qui manque^
elle est, au contraire, considérable, parfois habile
et toujours à bon marché ; ce ne sont pas davantage
les moyens de communication, car bien que le réseau
de chemins de fer soit à peine entamé, on supplée
facilement à son insuffisance par la voie de mer,
par les routes qui sillonnent tout le pays et aussi
par les canaux.' La jonque ou le sampan, bien
qu'encore primitifs comme procédés, rendent ce-
pendant d'inappréciables services et ont surtout
l'avantage d'être appropriés aux besoins mêmes
du pays.
Non, ce qui a manqué jusqu'ici à Tlndo-Chine,
ce qui lui manque encore aujourd'hui malgré les
incontestables progrès réalisés, ce qu'il est indis-
pensable qu'elle possède pour jouer le rôle que sa
position sur le globe lui assigne, c'est-à-dire pour
devenir la rivale favorisée de l'Inde, ce sont les
colons et surtout les capitaux. Trop rares encore
sont ceux de nos compatriotes qui sont venus s'y
installer, apportant, avec leur connaissance des
affaires^ leur activité, leur intelligence et leur ar-
gent. Et rien n'est plus attristant que la lente
évolution des industriels et des capitalistes fran-
çais, lorsqu'on a pu se rendre compte, comme
nous venons de le faire, de ce que peut donner
XXII AVANT-PROPOS
un pays qui produit, presque à foison, pourrait-on
dire, le charbon, la soie, le coton, le sucre, le
caoutchouc, Tindigo ; où Ton trouve d'abondantes
mines, de riches gisements, de puissantes car-
rières ; où d'immenses forêts peuvent fournir les
essences les plus variées ; où la nature^ semble-
t-il, a voulu largement doter les hommes et les
combler de bienfaits comme pour leur rendre
plus amer le regret de leur impuissance et l'aveu
de leur abandon.
Livré à ses propres ressources, l'indigène —
dont je dirai plus loin les étonnantes aptitudes —
ne peut faire grand chose et c'est miracle qu'il ait
même pu résister si longtemps. Le jour où vous
lui aurez donné les instruments qui lui manquent,
et où vous l'aurez initié aux procédés modernes
de fabrication et d'outillage, avec le don prodi-
gieux d'assimilation qu'il possède, avec ses admi-
rables qualités d'endurance, de patience et de
ténacité, on peut^ sans exagérer, prédire qu'il se
produira, en très peu d'années, dans le domaine
économique une transformation complète.
Il faut savoir ce qu'était l'Indo-Chine lorsque
nous y avons pénétré la première fois, il faut
avoir vu ce qu'elle est devenue en moins de vingt
ans, malgré d'incessantes fluctuations, malgré les
AVANT-PROPOS XXIII
erreurs, les faux départs, les contradictions, le
manque absolu de méthode et d'esprit de suite
de notre politique coloniale, pour comprendre et
aimer ce pays. C'est l'histoire attachante du passé,
c'est l'étude raisonnée du présent, ce sont les né-
cessaires probabilités d'avenir que nous voudrions
fixer, établir et indiquer, sine ira, en toute im-
partialité, sans aucun souci des personnes, sans
autre considération que de faire œuvre d'historien,
et de rendre à Tlndo-Chine la part qu'elle doit oc-
cuper dans les préoccupations comme dans les
espérances légitimes du pays. L'Indo-Chine, c'est
la moisson qui se lève, c'est la France retrouvant
au loin son génie, sa beauté et son art ; c'est la
consécration glorieuse d'une lente obstination ;
c'est la réalisation certaine d'un rêve longtemps ca-
ressé ; c'est enfin, à l'aurore d'un siècle nouveau,
l'oubli de douloureux sacrifices qui attristèrent la
fin d'une époque déjà lointaine, mais toujours vi-
vace par ses souvenirs.
Nombreux sont ceux qui sont tombés sur la
route, nombreux sont ceux qui, ayant été coura-
geusement à la peine, ne seront pas à l'honneur.
Français des siècles futurs, lorsque vous promè-
nerez votre regard sur ces régions immenses où-
la patrie se sera comme renouvelée et vivifiée.
XXIV AVANT-PROPOS
pensez à ces hardis pionniers ; dites-vous qu'ils
ont acheté hien cher la gloire dont vous jouirez !
Pleurez-les, mais ne les plaignez pas I Ils ont
donné leur vie sans compter, mais ils sont morts
heureux, parce qu'ils savaient qu'un jour, sur
ces terres, arrosées de leur sang, fleurirait une
seconde France aussi belle, aussi riche que celle
pour laquelle ils se sacrifiaient!
Hanoï, 3 avril 1903.
LIVRE PREMIER
CE qu'est l'indo-chine au point de vue social
CHAPITRE PREMIER
Aperçu historique et développement politique du peuple
annamite. — Coup d'œil ethnographique et traits dis-
tinctifs de la race. — La religion, le culte des ancêtres,
la famille.
Pour bien comprendre Tétat d'un pays, pour
en suivre dévolution et en connaître le sens, il est
indispensable d'en étudier tout d'abord les divers
éléments constitutifs*.
La péninsule indo-chinoise, qui forme aujour-
d'hui un tout complet, est comme la synthèse de
tous les peuples d'Extrême-Orient. Sous le nom
générique d'Annamites, on englobe d'ordinaire
1. E. Luro, Le pays cCAnnam; Tniong-Vinh-Ky, Cours d'his-
toire annamite ; J.-L. De Lanessan, V Indo-Chine française ;
Harmandy Le Laos et les populations sauvages de V Indo-Chine ;
P. Doumer, Situation de l'Indo-Chine.
4 L INDO-CHINE
des populations d'origine et de mœurs absolu-
ment différentes. Il paraît à peu près établi au-
jourd'hui que les premiers colonisateurs qui vin-
rent s'y fixer furent d'abord des Malais, peuple
essentiellement migrateur, et aussi des Mongols,
descendus de la Chine, en suivant le cours des
grands fleuves. Sur leurs traces arrivèrent ensuite
des tribus aryennes qui semblent s'être fixées de
préférence dans le Cambodge et le Siam actuels,
où elles jetèrent les fondements de l'Empire
Khmer, et dans l'Annam Central où elles fondèrent
le royaume Ciampa ou Lâm-Ap. Ces royaumes
eurent une existence propre, une civiUsation par-
ticulière très avancée, et jouirent pendant plu-
sieurs siècles d'une très grande prospérité. De
nombreux monuments témoignent de leur
richesse, de leur puissance comme du génie artis-
tique des habitants. Il ne reste plus aujourd'hui
que des ruines, mais ces ruines sont encore gran-
dioses — comme celles d'Angkor sur la rive sep-
tentrionale du Grand-Lac — et attestent, au delà
des siècles, le degré du développement, qu'au
contact des Aryens, toute la région qui s'étendait
sur la vallée du Mékong et sur les plateaux du
Laos avait atteint bien avant l'ère chrétienne.
Quant au pays d'Annam proprement dit, l'histoire
— légendaire ou authentique — nous le montre
d'abord asservi à l'Empire chinois. Qu'était cet
LE PEUPLE ANNAMITE 5
Empire à cette époque? Sur ce point, les savants
eux-mêmes sont hésitants. On s'accorde cependant
à le placer dans l'espace compris entre les ver-
sants du Fleuve-Jaune et du Fleuve-Bleu, et
comprenant à peu près ce qu'on entend aujour-
d'hui sous les noms de Quang-Si, de Quang-Tong,
de Yun-Nan et de Tonkin. Le peuple annamite alors
désigné sous le nom de race de Giao-Chi* (ayant
le gros orteil écarté des autres doigts du pied),
resta sous la dépendance chinoise jusqu'au com-
mencement du dixième siècle. A cette époque, les
Chefs indigènes, las des Gouverneurs chinois»
donnèrent le signal de la révolte. Un soulèvement
formidable s'ensuivit qui fut le point de départ
d'une ère d'indépendance. Mais cette émancipa-
tion ne fut en réalité qu'une large décentralisation
administrative et politique. L'histoire constate
que les diverses dynasties annamites, bien qu'in-
dépendantes dans leur souveraineté, n'ont cessé
d'observer, de tous temps, des rapports de vassa-
lité avec TEmpire chinois et que rois et peuple
d'Annam ont toujours gardé une profonde admi-
ration pour la civilisation du septentrion.
Vers la fin du dixième siècle, ce qui constitue
1. Ce nom est l'appellation caractéristique de la race au
point de vue anthropologique; c'est un signe indélébile qui
n'appartient qu'à elle, et, ce qui confirme bien son origine, aux
vrais Malais et aux Mongols.
aujourd'hui la péninsule indo-chinoise comprend
alors : un empire annamite allant de Textrémité
nord du Tonkin jusqu'au delà de Hué; au sud,
le royaume Ciampa, débris de l'ancien Lâm-Ap,
qui occupe le reste du littoral jusqu'à la fron-
tière actuelle du Binh-Thuân; enfin Tempire
Khmer s'étendant sur la Cochinchine, le Cam-
bodge actuel et une partie des états siamois, avec
Angkor pour capitale.
L'histoire est désormais remplie par les divi-
sions intestines qui déchirent TAnnam, par les
longues guerres qui le mettent aux prises avec
ses puissants voisins et par les incessantes incur-
sions chinoises qui lui enlèvent chaque fois quel-
ques lambeaux de territoire.
Et malgré des revers terribles, des chutes
retentissantes, des périodes d'asservissement,
rAnriam, étendant peu à peu ses limites, absorbe
le Ciampa et gagne sur le Khmer toutes les pro-
vinces situées au sud de Mékong.
La race annamite, grâce à une ténacité et aune
ardeur belliqueuse qui contrastaient avec l'amol-
lissement de ses rivaux, était ainsi arrivée, à la
fin du dix-huitième siècle, à occuper toute la par-
tie du littoral comprise depuis la frontière de
Chine jusqu'à Châu-Dôc et Ha-Tiên.
Sous l'Empereur Già-Long, puis sous ses suc-
cesseurs, la conquête du Cambodge fut à peu
LE PEUPLE ANNAMITE
h
près complète, mais les Annamites n'y parvinrent
pas sans soutenir de longues guerres avec les
Siamois qui s'étaient crus longtemps les hér. tiers
naturels de Tancien pays des Khmer.
Et c'est au milieu des convoitises des uns, des
demandes de secours des autres que la France
intervint d'abord en médiatrice, puis en conqué-
rante, unifiant bientôt sous sa suprématie toutes
ces races si longtemps en lutte, toutes ces nations
tour à tour en révolte, tour à tour vassales ou
souveraines. Et si nous avons tracé le tableau du
développement politique du peuple annamite, c'est
moins pour souligner l'étendue progressive du
territoire que pour montrer la formation progres-
sive de cette nation, fortifiée pendant des siècles
par son contact avec la civilisation chinoise et
comme rajeunie par le sang des diverses races
qu'elle a subjuguées ou refoulées dans son exten-
sion vers le Sud. Il y a eu, chez le peuple anna-
mite, en dépit d'obstacles et de difficultés de
toutes sortes, une puissance d'expansion, une con-
tinuité d'effort, un esprit de méthode et de suite
qui renferme tout le secret de sa destinée. Le
génie de la race éclate là presque en entier.
Qu'importe les revers momentanés, les chefs
pusillanimes ou corrompus, les troubles, les
séditions et la famine, la race poursuit sa lente
évolution et arrive à la pleine hégémonie.
L INDO-CHINE
Referai-je après tant d'autres, le portrait de
l'Annamite? Dirai-je sa petite taille, la gracilité
de ses membres, la couleur bronzée de son teint?
Parlerai-je du glabre de sa peau, de sa bouche
ensanglantée de bétel, de la longueur de ses che-
veux enroulés en forme de chignon derrière la
tête, ou décrirai-je la forme étrange de son cos-
tume, dont le large pantalon bouffant, fermé de
toutes parts, constitue le plus sûr ornement? Ce
sont là des descriptions auxquelles s'attardent
volontiers tous ceux qui écrivent surTIndo-Chine
et qui sont aujourd'hui trop connues pour qu'il y
ait le moindre intérêt à s'y arrêter plus long-
temps.
Aussi bien, le peuple annamite présente des
caractères autrement intéressants que ceux qui
se dégagent des petits côtés extérieurs de son
existence.
Il y a surtout sa vie intérieure qui témoigne
des solides qualités de la race et où s'affirment,
avec force, la pureté des mœurs et la noblesse des
sentiments.
Pour le connaître et le comprendre il faut se
pencher sur Tâme du peuple, interroger ses rites,
faire parler ses lois et lire sur les tablettes, pieu-
sement conservées dans ses temples, les pensées
réconfortantes de ses philosophes et les postulats
de sa loi morale, les plus beaux peut-être dont
LE CULTE DES ANCÊTRES 9
s'honore rhumanité. On sera alors frappé de la
noblesse d'idées et de l'élévation morale qui se
dégage, comme une odeur d'encens, de cette civi-
lisation dont l'obscure origine grandit encore
Féclat.
C'est, en effet, dans Torganisation communale,
dans le culte des ancêtres, dans le respect de la
famille qu'il faut chercher la force mystérieuse
d'une race qui a pu se perpétuer, fière et indé-
pendante, à travers des siècles de servitude, de
guerre et de troubles sans fin.
La vraie religion des Annamites, en dehors des
superstitions auxquelles certaines classes se lais-
sent facilement entraîner — et encore, sur ce
point il faut faire la part de la légende — est la
religion des ancêtres. Il n^est pas de maison,
d'abri si pauvre qu'il soit, qui n'ait son autel des
ancêtres, représenté par une table de bois assez
élevée, supportant des brûle-parfums, des vases,
des flambeaux et au-dessus de laquelle sont sus-
pendues les tablettes des aïeux. Pauvres et riches
apportent tout leur soin, toute leur attention, à
l'entretien de cet autel, dont l'ornement, la déco-
ration, le mobilier, varient suivant la qualité et le
rang des familles. Le grand prêtre de ce culte,
aussi vivace aujourd'hui qu'il y a dix siècles, est
le chef de famille dont Tautorité s'exerce, avec la
gravité d'un sacerdoce, sur tous les siens. Aux
10 l'indo-chine
jours fixés soit par les lois écrites, soit par les
traditions nationales, soit aussi par les usages
locaux, le chef de famille officie devant Tautel et
y fait des libations de vin et des offrandes de riz
et de baguettes odoriférantes qui, lentement, se
consument dans un éblouissement de lumière.
Toute la famille se prosterne au moment où les
mânes des aïeux sont supposées descendre dans
la maison pour protéger leur descendance.
Ces cérémonies ont surtout lieu au jour anni-
versaire delà mort des différents ancêtres et à
Tépoque du jour de Tan ou têt.
Le culte ancestral est partout pratiqué avec la
plus grande ferveur. Il est le pivot de toute la
morale.
Les pratiques rituelles finies, ces cérémonies se
traduisent par des grandes manifestations de joie,
qui, surtout au moment du têt, se prolongent plu-
sieurs jours durant. Toute la vie est alors suspen-
due, les magasins fermés, les maisons closes,
tandis que dans les rues joyeusement les pétards
crépitent et que les maisons de jeux sont en-
vahies par une foule oisive et gaie qui vient
tenter la chance.
Et par une conséquence de sa souveraineté sa-
cerdotale, le chef de famille a, sur tous les siens,
une autorité absolue et sans limite. Cette autorité,
du reste, a rarement Toccasion de se manifester.
LA FAMILLE 11
car les enfants observent à Tégard des parents
une obéissance et un respect qui ne se démentent
jamais. Ce sont là des qualités inhérentes à
la race même. Aussi a-t-on pu dire que chaque fa-
mille annamite était comme une petite église indé-
pendante dont le père serait le prêtre et les en-
fants les fidèles.
Et ce qui se passe dans les familles est en
raccourci Timage que présente, politiquement, le
royaume. C'est, du haut en bas de Téchelle sociale,
toute une série de petites églises superposées et
indépendantes, ayant pour culte le respect et pour
précepte Tobéissance. On ne saurait concevoir
d'organisme plus simple, d'appareil plus facile.
Il est comme le reflet même de la mentalité du
peuple. Il est, en même temps, par sa souplesse
même, le plus résistant que l'histoire ait enre-
gistré.
Nos missionnaires ont longtemps cru — et peut-
être croient-ils encore^ bien que la conquête de
l'âme soit passée chez beaucoup d'entre eux au
second rang de leurs préoccupations — qu'ils par-
viendraient, sinon à détruire, du moins à complé-
ter les systèmes religieux des peuples de l'Extrême-
Orient. L'histoire de ces soixante dernières années
démontre, surabondamment, que la propagande
chrétienne est vouée d'avance à l'avortement. Et
l'on en trouve une remarquable explication sous
12 l'indo-chine
la plume d'un écrivain, cependant peu suspect à
regard de la religion, M. Ferd. Brunetière.
Voici, en effet, les raisons que donne *, de
rimperméabilité de la théologie chinoise — et ces
raisons s'appliquent avec autant de force à la ci-
vilisation annamite — Tauteur de Is. Faillite de la
Science :
« Je sais le zèle de nos missionnaires, et je
n'aurais garde ici de vouloir décourager leur
effort. Mais on peut bien dire que les progrès du
christianisme en Chine sont étrangement lents et
de nature à désespérer une religion qui n'aurait
pas confiance, comme la nôtre, en son éternité.
La raison en est que la religion de la Chine, autant
ou plus qu'une religion, est une sociologie. La
part de la métaphysique ou la spéculation y est
nulle, et le caractère en est éminemment pratique.
C'est même ce qui l'a fait longtemps considérer
comme athée; et, si l'expression de religion
athée ne laissait pas d'être paradoxale et contra-
dictoire, on ne se trompait pourtant pas sur le
fond. La religion de la Chine semble consister
tout entière en un corps de préceptes moraux
dont l'objet n'est que de réahser un idéal social.
Mais comme cet idéal social est assez éloigné de
celui que le christianisme propose à ses fidèles,
1. La Religion comme sociologie^ par M. Ferdinand Brunetière
{Revm des Deux Mondes. No du 15 février 1903.)
LA RELIGION 13
il en résulte que le christianisme ne saurait faire
en Chine de progrès qui ne tende à modifier la
structure de la société ; — et là même est Texpli-
cation de la résistance qu'il rencontre. Si jamais
le christianisme triomphe des religions de la Chine,
cela ne voudra donc pas dire qu'elJes aient reconnu
sa supériorité dogmatique ou métaphysique, mais
la civilisation chinoise aura reconnu la supériorité
des civilisations du type occidental. Ou en d'autres
termes encore, ce n'est pas l'enseignement du
chistianisme qui aura modifié la mentalité chi-
noise, mais c'est la mentalité chinoise préalable-
ment modifiée, et transformée^, qui sera devenue
capable de l'enseignement du christianisme. Et en
attendant s'il n'y est pas persécuté, cet enseigne-
ment y sera rendu vain par la résistance que lui
opposera la forme même de la société. La preuve
que toute religion est essentiellement une sociolo-
gicy c'est qu'aussi longtemps qu'une société n'est
pas modifiée dans sa structure intime, on ne la
verra pas changer de religion, et, quand elle chan-
gera, ce ne sera pas, à proprement parler, de reli-
gion, qu'elle aura changé, mais de manière d'en
tendre la nature^ l'objet, et le but de la société. »
On ne saurait mieux dire. Mais Téminent aca-
démicien n'a pas voulu tirer la conclusion lo-
gique qui se dégage de son savant raisonnement.
Or, cette conclusion, c'est l'inutilité — d'aucuns
14 l'indo-chine
diraient le danger - de la prédication et de Tapos-
tolat chrétiens en Extrême-Orient. A moins que
les bénéfices matériels ne doivent décidément
primer les bénéfices spirituels, comme il est apparu
si souvent.
CHAPITRE II
L*organisation du pays. — Une monarchie absolue régie
par des institutions démocratiques. — Le Fils du Ciel
et le conseil secret. — L'accès aux fonctions publiques.
— Rôle et prépondérance des lettrés.
Quelle que soit la région, Tonkin ou Annam,
réducation politique du peuple annamite a été
partout la même, et le système du gouvernement
a toujours été la monarchie absolue et héréditaire.
Longtemps, les empereurs d'Annam ont eu sur
leurs sujets les mêmes droits et la même puis-
sance que le chef de famille sur toute sa parenté.
Chef nominal de TEmpire, le roi, qui n'est plus
maintenant roi que de nom, — délègue encore
une partie de sa souveraineté à des fonctionnaires
qui l'exercent, à leur tour, en toute plénitude, dans
le ressort de leur circonscription, autrement dit,
dans les communes. Mais où ce régime absolutiste
16 l'indo-chine
se distingue de tous ceux connus jusqu'ici, c'est
que ces fonctionnaires, ainsi investis d'une par-
celle de Tautorité royale, sont choisis, pour la
plupart, par voie de concours et consacrés par le
succès même.
Et pour mieux représenter ce régime, peut-être
unique dans Fhistoire, on peut dire que le Gou-
vernement de TAnnam est une monarchie sans
caste, avec une religion sans clergé, au milieu de
fortes institutions démocratiques et une puissante
centralisation communale. Nous allons reprendre
ces éléments, un par un, et essayer de montrer
combien était grande Terreur, un instant partagée
par le Gouvernement français, de vouloir toucher
à un système politique si bien approprié au peuple
et au pays dont il a longtemps fait la force et dont
il fait encore la grandeur.
« Fils du Ciel », grand pontife, lettré des let-
trés, infaillible dans ses actes, sacré dans sa vie,
père et mère du peuple, TEmpereur d'Annam fut
le type achevé de l'autocrate, et jusqu'à son nom,
tout ce qui touchait à sa personne ou à sa vie doit
être entouré de vénération et de crainte. Il est le
dispensateur de tous les biens, Tenvoyé qui peut
seul, suivant les principes tracés par Confucius,
faire cesser les calamités publiques et assurer le
bonheur du peuple.
Si cette toute-puissance existe, en réalité elle ne
l'organisation politique 17
s'exerce jamais, car par une singularité qui ne se
rencontre guère qu'ici, ce roi, qui dispose de tous
les droits, voit son autorité presque entièrement
annihilée par les institutions mêmes dont il est le
gardien.
Il se trouve, en effet, auprès de l'Empereur, li-
mitant son pouvoir, surveillant ses actes, péné-
trant jusque dans l'intérieur de son palais, une
autre puissance, plus redoutable encore, parce que
plus «.bsolue et plus directe, c'est le Co-Mât ou
Conseil Secret. C'est le suprême conseil de l'Em-
pire, quelque chose comme un conseil de régence
à vie.
Choisis et nommés par l'Empereur, les mi-
nistres qui composent ce conseil, en vertu même
de leur puissance, sont, à peine installés, tentés
de s'élever au-dessus du roi, dont ils surveillent
jalousement les actes. L'histoire prouve que le
Co-Mât a presque toujours été en continuel conflit
avec le souverain dont les décisions trouvaient
auprès de ses ministres, des censeurs rigoureux et
des juges sévères. Cette autorité, parfois étroite,
ne s'est pas toujours exercée au plus grand profit
de l'État et bien des difficultés, que l'Annam a ren-
contrées au début de notre conquête , ont eu pour
origine la mauvaise foi du Co-Mât ou son aveugle
entêtement. Et plusieurs exemples témoignent
hautement que des monarques éclairés furent par-
2
18 l'indo-chine
fois les victimes de ministres, tout pénétrés de rou-
tine, adversaires des innovations ou jaloux de
leur prépondérance *.
On pourrait croire que rien ne vient gêner ces
ministres dans l'exercice de leurs fonctions. Ce
serait méconnaître le caractère propre de ces
gouvernements asiatiques, dont la méfiance et le
soupçon sont les principaux ressorts, et où il
semble que le pouvoir royal veuille entourer ses
principaux auxiliaires du plus grand nombre pos-
sible d'agents chargés de les surveiller, de tempé-
rer leur action et de limiter leur autorité.
Chaque ministre est donc assisté d'un conseil
qu'il doit consulter en toute chose et dont il doit
prendre l'avis en toute occasion. Et ce qui achève
de donner à ce régime le reflet fidèle de l'organi-
sation familiale, c'est que chef suprême de son
peuple, l'Empereur, doit écouter ses plaintes et
entendre ses doléances. Tout individu a donc le
droit d'en appeler à lui de tous les actes de son
administration. Droit bien illusoire, c'est vrai,
mais qui n'en donne pas moins au peuple une
espérance et une consolation. Et il faut ne pas
connaître les races asiatiques, pour ne pas com-
1. C'est, en effet, à l'instigation du Go-Mât que TEmpereur
Hiêp-Hoa, successeur de Tu-Duc, fut empoisonné par la Cour
de Hué quelques instants après avoir accordé une audience au
représentant de la France à la CSour de Hué.
l'organisation politique 19
prendre tout ce que peuvent produire de pareils
sentiments dans l'âme d'un peuple simple, naïf, do-
cile et résigné comme Test celui de llndo-Chine.
L'autorité royale, ai-je dit plus haut, est délé-
guée à des fonctionnaires mis à la tête des subdi-
visions administratives de TEmpire. Il y a d'abord
les Gouverneurs (Tông-Dôc) qui administrent les
provinces. Parfois plusieurs provinces sont réu-
nies en une seule et placées sous la direction d'un
Gouverneur Général. Chaque province est divisée
en préfectures (Phus) et chaque préfecture en un
certain nombre de sous-préfectures (Huyêns).
Le Tông-Dôc était et est un des principaux per-
sonnages du pays. Considéré, riche, il est le déposi-
taire deTautorité royale, et jouit, surtout quand il
est loin de la Cour, d'une indépendance à peu près
entière. Autour de lui siègent: leQuand-Bô ou chef
du Service Administratif, un chef du service judi-
ciaire (Quan-An) et un chef de circonscription mi-
litaire (Lanh Binh), Tous ces fonctionnaires, placés
sous les ordres du Tông-Dôc, sont les seuls repré-
sentants de l'autorité royale, choisis, nommés et
investis par elle, non sans l'agrément préalable du
Gouvernement français qui, seul, leur donne la con-
sécration officielle. Us sont pris exclusivement dans
la classe des lettrés après avoir satisfait à des exa-
mens réguliers, et leur recrutement très spécial, en
même temps qu'il ajoute encore à l'autorité dont ils
20 l'indo-chine
sont revêtus, diminue considérablement la part faite
au favoritisme, à l'intrigue ou à la corruption. Le
concours est obligatoire pour l'accès à toutes les
carrières administratives et les membres de la fa-
mille royale n'en sont eux-mêmes pas exempts.
Mais les vrais fonctionnaires annamites, ceux qui
ont un caractère propre, et une puissance réelle, —
parce qu'elle est effective, — sont les administra-
teurs ou chefs élus des communes et des cantons.
De même que la famille, nous l'avons vu, est
la pierre angulaire de Inorganisation sociale, de
même la commune est la base fondamentale de
Tédifice politique : « C'est sur la commune que
reposent tous les services administratifs, judi-
ciaires, financiers et militaires du royaume : c'est
elle qui établit le cadastre et qui préside à tous les
actes de transmission de la propriété • »,
. A vrai dire, il n'existe aucun texte de loi, au-
cune réglementation positive, autre que celle née
des traditions ^ de la routine et de l'usage, déter-
minant soit l'étendue, soit l'existence, soit la vie
même de la commune. Du jour au lendemain^ une
commune naît et disparaît. C'est le privilège des
peuples simples. Supposez qu'une famille compo-
sée de cinq ou six personnes par exemple avise
1. De Lanessan, V Indo-Chine française.
2. Ces traditions sont elles-mêmes très variables. Il y en a à
peu près autant que de provinces.
LA COMMUNE ANNAMITE 21
un espace inhabité, un terrain en friche et veuille
s'y établir pour fonder une commune. Il lui suf-
fira d'en faire la demande au résident de la pro-
vince. Celui-ci fera une enquête et si le terrain
choisi n'appartient à personne, si nulle protesta-
tion ou opposition n'est formée contre la demande
dont il est saisi, il autorisera la commune. Il se
réservera seulement le droit d'en délimiter très
exactement le territoire, afin de prévenir toute dif-
ficulté ou réclamation ultérieure. La commune
est fondée. Les habitants s'accordent sur le nom
à lui donner, et ce nom se rapporte soit à un cours
d'eau avoisinant, soit à une particularité du ter-
rain, soit à un souvenir ancestral. Il ne reste plus
qu'à s'organiser administrativement. Comme les
habitants avaient, — sans qu'il en ait encore le
titre, — reconnu, du moins moralement, un chef
parmi eux, c'est celui-là qu'ils éliront pour maire,
puis ils délégueront quelques-uns d'entre eux, au-
près de lui, en qualité de notables. Si plus tard la
commune s'agrandit, se développe, l'embryon se
développera par l'adjonction d'un plus grand
nombre de notables.
En réalité, dans une commune organisée, les no-
tables seuls choisissent le maire, qui est l'inter-
médiaire entre la commune et l'autorité. C'est par
lui que l'administration passe quand elle a un
ordre, un avis, une communication à faire à la
22 l'indo-chine
commune ; c'est celui à qui le résident s'adresse,
et en même temps, c'est celui qu'il rendra respon-
sable et qui sera seul admis à lui présenter des
requêtes. Il réunit, dans ses attributions, la police
et le fisc. Tl répond et de la tranquillité de la com-
mune et delà levée des impôts. D'accord avec les
notables, dont — surtout dans les communes un
peu importantes — deux ou même trois lui sont
nommément adjoints, il administre les biens com-
munaux, il exerce la justice, siège en conciliation
et en première instance, assure Tobservation des
charges militaires, légalise les signatures, reçoit et
enregistre tous actes de vente, achat, de cession,
legs, donations, etc., entre particuliers. S'il n'est
pas officier d'état civil, c'est qu'il n'existe encore
ni tenue de registre ni recensement. Il n'en con-
naît pas moins tous les habitants, et rien de ce qui
les intéresse ne lui échappe. C'est une fonction
qui embrasse une infinité de services, de rouages,
et qui exige certaines qualités et aptitudes chez
celui qui en est investi. Le choix n'en est que plus
difficile. Les notables prennent de préférence « un
homme fin, insinuant, habile parleur, ingénieux à
défendre ses administrés, à leur éviter des charges,
à leur gagner des privilèges *. » C'est l'agent du
conseil des notables, c'est l'avocat de la commune.
1. Luro, Le Pays cCAnnam.
LA COMMUNE ANNAMITE 23
Les notables, à vrai dire, sont très étroitement
associés à son œuvre et jouent, par conséquent, un
rôle prépondérant. Tous les habitants d'une com-
mune ne sont pas nécessairement des notables.
Certaines qualités sont requises pour faire partie
du corps, dont la première est d'être inscrit (Dia-
Bô) au rôle, soit des impôts fonciers, soit de la
contribution personnelle. S'il n'y a pas de paupé-
risme en Indo-Chine, il n'y a pas non plus beau-
coup d'aisance et le nombre des contribuables est
en général peu élevé. On peut donc dire que .les
inscrits ou notables ne représentent dan^une
commune qu'un contingent très faible de la popu-
lation*.
Comme le chiffre de l'impôt est réparti sur la
commune, considérée comme une unité, et que ce
chiffre, fixé d'avance, suivant le nombre des ins-
crits, ne peut varier, les inscrits ont un intérêt ma-
jeur à ne pas voir leur nombre diminuer. Le pro-
blème de la repopulation est tout de suite tranché.
Dès qu'un inscrit meurt, on le remplace immédiate-
ment sur la liste. Mais, direz- vous, si elle n'en trouve
pas? Ce sera un fait sans précédent dans l'histoire
et tellement extraordinaire que le cas n'a pas été
1. Faute de témoignages certains, on admet qu'il y a un ins-
crit par quinze habitants. On détermine donc la population
d'une commune en multipliant, par quinze^ le chiffre des ins-
crits.
24 l'indo-chine
prévu. Il est probable qu'on s'adresserait dans ce
cas à la commune voisine qui disposerait d'un
candidat à l'inscription . Les communes ont donc
plutôt intérêt à attirer chez elles les habitants
qu'à en voir diminuer le nombre. L'administra-
tion résidentielle prend, de son côté, des mesures
très énergiques pour empêcher l'émigration des
familles en dehors des provinces. Et le cas n'est
pas rare d'une famille taxée d'une indemnité tel-
lement forte pour le départ d'un des siens qu'elle
préfère, tout entière, quitter le village. Malgré
cela, n'est pas inscrit qui veut, ni même réputé
simple habitant qui vient s'installer. Il faut en
faire la demande au maire, dire d'oii Ton vient,
les raisons de changement de résidence, et enfin
fournir des certificats de moralité.
On comprend maintenant l'importance politique
et administrative de la commune annamite. Véri-
table corps constitué, la loi française en a fait un
organisme régulier d'État en lui donnant la per-
sonnalité civile. Malgré son autonomie, elle est
directement sous les ordres des autorités de pro-
vince, mais ce qui achève d'en marquer son
véritable caractère, c'est que l'État n'intervient
dans ses affaires que dans la mesure d'une action
gouvernementale, limitée aux intérêts généraux.
Elle est la meilleure auxiliaire de notre poli-
tique et la plus sûre garantie de notre action.
LA COMMUNE ANNAMITE 25
« Grâce à elle, nous avons en face de nous, non pas
des millions d'hommes dont il faut considérer in-
dividuellement les besoins, les intérêts, les senti-
ments, mais quelques milliers de collectivités or-
ganisées, disciplinées^ qui se présentent à nous
en bloc et dont nous n'avons à connaître que
le Conseil des notables. La petite république, au-
tonome dans la limite des intérêts locaux, qui
constitue la commune annamite, débarrasse
l'administration de la plus grosse part des diffi-
cultés et des soins qu'elle aurait dans tout autre
pays à la population nombreuse et active. Elle
peut tout obtenir des habitants par entente avec
les représentants des villages. C'est ainsi que les
travaux d'intérêt public ont facilement la main-
d'œuvre qui leur est nécessaire, si importante
qu'elle soit. Les villages se font, à l'occasion, les
tâcherons des agents des Travaux publics et môme
des entrepreneurs *. »
Au-dessus de la commune, se trouve le canton.
C'est une des circonscriptions administratives les
plus importantes de l'Indo-Chine et le chef de
canton est l'un des personnages les plus considé-
rables, dans l'ordre indigène. 11 puise son autorité
dans le principe électif dont il est l'émanation
directe. Choisi par les délégués de tous les vil-
1. P. Doumer, La Situation de Vlndo-Chiney p. 90.
26 L^INDO-qHINE
lages, il est le défenseur des libertés commu-
nales et des droits de Tindividu, le trait d'union
entre FÉtat et les communes, Tavocat de tous les
intérêts et de toutes les causes où les intérêts
particuliers et les besoins de chacun sont enjeu.
Loin de représenter une unité administrative, le
canton est une agglomération fictive, une asso-
ciation mutuelle de communes représentées, au-
près de l'autorité résidentielle, par un interprète
élu et investi de leur confiance. « Régler les
affaires d'intérêt commun, provoquer le concours
des cantons voisins pour les travaux d'intérêt
général^ renseigner l'administration sur les be-
soins des communes, prendre part à la réparti-
tion des impôts, appuyer les demandes de dégrè-
vement, concilier les procès que les autorités
communales ont été inhabiles à terminer, dé-
fendre au besoin les particuliers ou les com-
munes contre les administrateurs d'arrondisse-
ment en portant la cause devant le préfet ou les
mandarins provinciaux, » telles sont les principales
attributions des chefs de canton dont les besoins
et les devoirs ne sont ni moins nombreux ni moins
importants. Ils ont, entre autres, la mission d'as-
surer dans les communes l'exécution des ordres
de l'administration, de veiller à l'entretien des
voies de communication, de presser la rentrée des
impôts au Trésor, de maintenir l'ordre public et
LA COMMUNE ANNAMITE 27
la sécurité de la circulation, de faire arrêter et
livrer à la justice les malfaiteurs que les munici-
palités sont impuissantes à arrêter, enfin de dé-
noncer les notables sur lesquels des plaintes leur
seraient parvenues.
Tels sont, rapidement esquissés, les carac-
tères essentiels de Torganisation administrative
et du cadre social au milieu desquels s'est éta-
blie et lentement fortifiée Tautorité de la France.
CHAPITRE III
L'Annamite et la civilisation. — Goûts et aptitudes natu-
rels. — L'ignorance est à peu près nulle grâce à
l'extrême diffusion des écoles. — Grandeur et faiblesse
de l'enseignement. — Bases rationnelles de l'organisa-
tion sociale et force morale de la race.
Simple dans sa forme, cette organisation an-
tique — et antique ne veut pas dire vieilli —
rayonne encore d'un éclat qui n'est pas sans
grandeur.
L'indigène la respecte, lui obéit et Taime. On
a dit de lui que c'était un être passif et résigné.
C'est bien mal traduire ses sentiments, faits d'atta-
chement et de loyalisme. Et s'il se mêle encore
chez lui quelque vague idée de crainte, n'est-elle
pas après tout naturelle chez un peuple longtemps
courbé sous la servitude et qui eut à subir, à côté
FORGE MORALE DE LA RAGE 29
des exactions des guerres civiles, des pillages des
guerres étrangères, la concussion des mandarins
et le despotisme des rois.
Docile et malléable, naturellement poli et res-
pectueux, foncièrement honnête — car je ne puis
croire que certains esprits jugent la race d'après
le boy ou domestique qui les aura servis, je veux
dire mal servis, pendant leur séjour en Indo-
Chine S — l'Annamite est ouvert à la civilisation
et est des plus aptes à la comprendre.
Il est peu de pays, même parmi les plus civili-
sés, oii rinstruction soit plus en honneur qu'en
Indo-Chine. Que manque-t-il pour qu'elle soit
vraiment utile? Qu'elle ait une base plus scienti-
fique et qu'elle tende à des résultats pratiques.
Il n'y a pas, je crois, un village annamite si
pauvre qu'il soit, si éloigné qu'il se trouve, qui
n'ait son école. Et si j'insiste sur ce point, c'est
que là est à coup sûr la preuve de certaines dis-
positions naturelles à l'Annamite et peut-être la
raison de sa rapide émancipation intellectuelle.
Tandis qu'il y a encore vingt ans, nombreux
étaient en France les gens incapables de lire
et d'écrire, en Indo-Chine la proportion de ceux
qui n'ont pas quelques notions élémentaires et
courantes est extrêmement faible.
1. Le boy est, en général, l'habitant chassé d'un village qui
fait les grandes villes ou grands centres pour servir l'Européen.
30 l'indo-chine
Une seule chose est à signaler et à regretter,
c'est l'absence de toute base rationnelle dans
réducation, de toute donnée scientifique, mais
rien, d'autre part, n'est plus facilement réparable.
Cela tient à ce que, depuis des siècles, cette
race est restée penchée sur les tablettes de Con-
fucius et, qu'éblouie par les beautés des maximes
qu'elle y lisait, elle n'a jamais regardé au delà.
Toute la science des plus grands lettrés a
consisté jusqu'ici — sauf, il faut le reconnaître
quelques exceptions dont le nombre a rapidement
grossi — dans la connaissance très approfondie
de l'histoire du pays, — histoire où la légende et
la fiction tiennent plus de place que les faits et les
événements — de la morale de Confucius, des
rites, coutumes, lois, prescriptions administratives
du pays, des règles de la bienséance ou de la con-
duite à tenir dans les relations sociales et dans
quelques-unes des notions les plus indispensables
à la vie journalière et à la gestion des affaires
privées.
C'est le programme officiel. Depuis que notre
influence, lentement, a pénétré les masses, une
infiltration intellectuelle s'opère peu à peu et le
cas n'est pas rare aujourd'hui de rencontrer des
Annamites au courant des derniers progrès des
sciences et des dernières applications industrielles
de l'électricité. Mais c'est encore l'exception. Ce
FORGE MORALE DE LA RAGE 31
fait suffit cependant à établir que l'Annamite n'est
pas de parti pris fermé aux lumières, rebelle au
progrès, et momifié dans ses croyances. Au sur-
plus, tout un mouvement s'opère depuis quelques
années dans la race jaune, mouvement auquel
participe l'Annamite et qui entraîne tous les
peuples de l'Extrême-Orient, longtemps figés dans
l'immobilité, dans un mouvement ascensionnel
vers une civilisation appropriée à des besoins nou-
veaux, et aux nécessités sociales du moment.
Ainsi donc les Annamites sont, sous Faction de
leur loi morale, plus cultivés que la plupart des
peuples orientaux. L'école communale y est par-
tout honorée. Elle est tenue par des maîtres libres,
respectés et considérés en raison de leur sagesse,
bien qu'ils n'aient pas toujours des titres universi-
taires. Mais ils connaissent, comme personne,' l'art
des civilités, et ils sont doués d'une patience qui
jamais ne se lasse. Ils vivent des rétributions en
numéraire ou en nature qui leur sont fournies,
soit par les familles, soit par la commune qui
contribue ainsi au développement et assure, en
partie, la gratuité de l'éducation. La loi sur l'en-
seignement obligatoire est naturellement incon-
nue. Mais tandis qu'il a fallu chez nous des pres-
criptions sévères pour obtenir que tous les enfants
suivent les cours communaux, aucune contrainte
n'est exercée en Indo-Chine sur les parents, et
32 l'indo-chine
cependant il est bien peu d'enfants qui ne fré-
quentent la classe.
En général, on a remarqué que les indigènes
apprennent dans leur extrême jeunesse avec une
très grande facilité. Plus tard, ils contractent des
habitudes de paresse, et, faute d'une discipline
suffisante, se laissent volontiers aller au jeu et à
la dissipation. C'est donc la discipline qu'il faudrait
organiser dans les écoles, soit en donnant plus
d'autorité au maître, soit en attachant une sanction
plus efficace à l'ensemble des notes recueillies
par les élèves à la fin de Tannée.
L'école communale est le premier degré de
l'éducation. Pour peu que l'enfant ait prêté atten-
tion aux leçons du maître, il en sait assez pour
remplir les fonctions de notable. Mais autre chose
est s'il se destine aux fonctions publiques. 11 est
nécessaire, dans ce cas, qu'il se prépare au con-
cours littéraire. Il s'adressera pour cela, soit à
des professeurs libres, diplômés et titrés, soit au
directeur des études (Giao-Tho) que chaque Phu
entretient dans le ressort de sa circonscription «
Plus dégrossis, les élèves commencent alors à su-
bir les premiers examens (Khoa) du cycle qu'ils
ont à parcourir. Reçus à ces examens, ils sont dis-
pensés du service militaire ainsi que de la corvée.
D'une enquête très approfondie à laquelle je me
suis livré, il semble résulter que si Ton tient
FORGE MORALE DE LA RAGE 33
compte des divers facteurs qui doivent entrer en
ligne de compte, la part réservée au favoritisme
est beaucoup moins grande que Ton ne serait
tenté de le croire tout d'abord. Il y a une garantie,
c'est Timportance que les communes attachent à
ces examens et les protestations énergiques
qu'elles savent parfois faire entendre.
Ces examens se passent, au Tonkin, dans la
ville de Nam-Dinh, ancienne capitale bien déchue
de son ancienne splendeur, mais qui n'en conserve
pas moins grand air encore avec ses larges rues,
très propres, et ses trottoirs lavés à la chaux.
Calme et rangée en temps ordinaire, Nam-Dinh, à
l'époque des examens, est envahie par une foule
qu'on évalue à 50.000 personnes et qui remplit les
rues de son vacarme, de ses cris, de son continuel
brouhaha.
Que devient l'élève reçu au Khoa? S'il est classé
parmi les premiers et qu'il veuille pousser plus
loin ses études, il est admis à l'école du Doc-Hoc
ou inspecteur des études, établie dans chaque
chef-lieu de province. Et, le même caractère dé-
mocratique que nous avons maintes fois relevé
au cours de cette étude, s'observe encore ici dans
la gratuité donnée par l'Etat, sous forme de
bourses, aux enfants pauvres.
Les élèves des cours du Doc-Hoc sont, seuls, au-
torisés à se présenter au concours de licence qui a
3
34 l'indo-chine
lieu tous les ans et qui est le concours définitif.
Suivant le rang que Ton obtient dans ce concours,
et aussi le nombre de diplômes que FEtat fixe dans
chaque catégorie, on est reçu licencié ou simple-
ment bachelier. Ces derniers ont toujours la
ressource d'affronter le concours Tannée suivante
pour gagner le grade supérieur, qui seul confère la
faculté de prétendre aux fonctions de directeur
d'études ou de préparer, à Hué, aux frais de
TEtat, le concours du doctorat.
Ce dernier concours est triennal. Mais il n'a lieu
que sur un point de TEmpire, à Hué, où tous les
licenciés se réunissent à un jour fixé. Cette
épreuve est un véritable événement d'état et il
n'est pas rare de voir le Roi s'y intéresser en
choisissant lui-même un des sujets de composi-
tion *.
Après l'examen, les candidats sont classés en
trois séries : les meilleurs sont inscrits sur une ta-
blette d'honneur (Chanh-Ban) et sont seuls admis
à se présenter aux examens suprêmes, c'est-à-dire
à ceux qui donnent accès aux grandes charges.
Ces examens ont lieu au Palais même, sous l'œil
du roi, qui en détermine la matière.
1. Dans le but de relever encore le niveau de ce concours, le
Gouverneur Général a décidé de le compléter par un examen
supplémentaire portant sur la langue française, et de n'attri-
buer désormais Taccès aux fonctions publiques, qu'aux gradés
ayant satisfait à ces dernières épreuves.
FORGE MORALE DE LA RAGE 35
La seconde série est inscrite sur une deuxième
tablette (Pho-Ran), et c'est sur celle-ci que Ton
choisira les préfets et sous-préfets au fur et à me-
sure des vacances.
Enfin la troisième série comprend ceux qui
n'ont pas paru dignes d'être couchés sur les ta-
blettes. Ils devront attendre qu'un autre concours
les favorise mieux.
Certains auteurs attribuent à l'orgueil et à
l'ambition de la race, le développement donné à
l'instruction publique *. La raison est peut-être
excessive, bien qu'on puisse regretter que tant
d'efiforts soient tournés exclusivement vers la cul-
ture intellectuelle * et si peu, au contraire, vers le
commerce ou l'industrie. Rien ne dit cependant
que, le jour oii l'activité économique se manifes-
tera positivement dans les pays d'Indo-Chine, l'in-
digène, qui ne voit en ce moment d'avenir et de
certitude que dans le fonctionnarisme et l'admi-
nistration, ne cherche pas à se frayer sa voie diffé.
remment qu'aujourd'hui.
En tout cas, un fait est certain, c'est que mal-
gré l'extension des services d'enseignement, les
dépenses qu'ils nécessitent sont très réduites. Les
seuls maîtres payés sont les directeurs et les ins-
1. Ory, La Commune annamite au Tonkim
2. Le nombre des candidats aux concours qui n'était que de
8.000 en 1S86 s'est élevé à 12.948 en 1900.
36 l'indo-chine
pecteurs d'études. C'est la presque gratuité de
l'éducation.
Telle est la situation sociale du peuple annamite,
telle est son organisation politique. Ses institutions^
lentement façonnées par le temps, dénotent à la
fois la simplicité et la douceur des mœurs, une forte
hiérarchie administrative que tempère le mode
électif et que complète le respect des traditions.
Superstitieux et craintif, orgueilleux sans jactance,
brave sans témérité, docile sans faiblesse, le
peuple annamite présente tous les caractères des
races conquérantes longtemps tenues sous le joug.
Opprimées pendant des siècles^ les populations de
rindo-Chine n'avaient connu du pouvoir que les
excès, de la force que les brutalités et l'histoire
enseignait que le jour où elles apprendraient à
mieux connaître leurs vainqueurs elles sauraient,
sans cesser de lef craindre, les aimer, les res-
pecter et les croire.
LIVRE II
DE l'inutilité de MODIFIER SA STRUCTURE
POLITIQUE
CHAPITRE PREMIER
Des phases diverses de la conquête et du caractère de
notre domination. — De la nécessité d'établir le protec-
torat et d'en bien marquer les limites. — Utilisation et
mise en œuvre.
Quel est, en efiet, quel doit être surtout le ca-
ractère essentiel de notre conquête. L'histoire de
notre intervention en Annam et au Tonkin est en-
core trop récente pour qu'il y ait lieu d'y revenir.
Il n'en convient pas moins, pour bien marquer
l'objectif poursuivi et le but à atteindre, de noter
certains épisodes, de rappeler certains incidents
qui expliquent et justifient les raisons de notre
politique et portent avec eux leur enseignement.
Au point de vue des échanges et du commerce,
l'influence française avait eu l'occasion de se ma-
40 l'indo-ghine
nife&ter, à maintes reprises, au cours du seizième
et dix-septième siècles dans les pays d'Extrême-
Orient, grâce à la hardiesse de nos navigateurs et
à rhabileté de nos nationaux.
Un moment, lorsque la politique coloniale, si
lamentablement sacrifiée sous Louis XV et à peu
près irrémédiablement condamnée en France,
par suite de défaillances coupables, parut vouloir
être reprise avec vigueur par les ministres de
Louis XVI, c'est à Tlndo-Chine qu'ils songèrent.
Ils voyaient la possibilité de fonder là une France
d'Asie dont la possession devait, dans leur esprit,
faire oublier la douloureuse perte de llnde. Et
l'histoire impartiale déclare que Tannexion de
cette colonie eût pu devenir le « dernier bienfait »
de la royauté légitime, si les. événements plus ra-
pides que la pensée n'en eussent rendu la réalisa-
tion impossible. Jusqu'au milieu du siècle sui-
vant^ rien ne fut changé dans la situation de l'Em-
pire d'Annam. Il fallut les cruautés et les provoca-
tions de l'empereur Ming Man pour nous décider
à intervenir. D'abord aidée par les Espagnols, dont
les missionnaires avaient eu également à souffrir,
puis seule, la France inaugura cette politique de
« gages » dont les principaux épisodes furent
l'annexion de la Cochinchine, la possession de
points importants, tant au point de vue commer-
cial qu'au point de vue politique, au Tonkin et en
PHASES DIVERSES DE LA CONQUÊTE 41
Annam, Texpédition de Francis Garnier et enfin
le traité du 15 mars 1874.
Par cet acte, nous avions reconnu Tentière in-
dépendance de TAnnam vis-à-vis des puissances
étrangères et nous nous étions engagés à lui
donner Tappui nécessaire pour maintenir Tordre
à rintérieur et pour se défendre, au dehors,
contre toute attaque. En retour, FAnnara s'était
obligé à conformer sa politique extérieure à la
nôtre. Mais les contractants n'avaient pas tardé
à être en désaccord sur la portée de leurs en-
gagements. L' Annam n'y voyait qu'un traité
d'amitié et d'alliance éventuelle. La France esti-
mait, au contraire, que ce traité constituait à son
profit un protectorat, puisqu'il lui conférait à la
fois la charge de défendre le royaume contre
toute agression et le droit de diriger sa politique
extérieure. Ces divergences s'aggravaient par le
mauvais vouloir du roi Tu Duc, qui semblait
prendre à tâche de pousser notre patience à bout.
Peu à peu, aucune des obligations mises à la
charge du gouvernement annamite n'était plus
remplie. La situation même de nos agents était
menacée. Les choses en étaient arrivées à ce
point, dès 1881, qu'un acte de vigueur était de-
venu nécessaire de notre part, si nous ne voulions
pas perdre le fruit de nos longs et patients
efforts.
42 l'inoo-ghine
Telle est l'origine de la conquête du Tonkin et de
notre installation définitive en Indo-Chine. C'est
pour y défendre et y faire prévaloir le protectorat
de la France que tant de millions et tant de vies
humaines ont été dépensés pendant un espace
de plus de dix ans. Car le problème était double et
délicat tout à la fois : il fallait, tout en ménageant
les susceptibilités de TEurope, alors inquiète, im-
poser le nouveau régime non seulement au peuple
annamite, mais à TEmpire chinois qui n'avait cessé
de lever sur les successeurs de Gia-Long certains
tributs de vassalité.
Dans la pensée de ceux qui détenaient alors le
pouvoir en France, il ne s'agissait pas d'incorpo-
ration ou d'annexion, mais simplement de pro-
tectorat, et nous reviendrons plus loin sur le ca-
ractère essentiel de notre occupation pour bien
marquer la portée de nos engagements et la si-
tuation respective de chacun.
Au surplus, ce point se dégage de lui-même
à travers les péripéties de ce que Ton a, pen-
dant si longtemps en France, appelé l'affaire
du Tonkin, et que nous allons rapidement ré-
sumer.
Jusqu'à la mort du commandant Rivière, surve-
nue à Hanoï au cours d'une sortie malheureuse,
certain malaise trahissait l'incertitude de notre
politique et les embarras intérieurs du cabinet
PHASES DIVERSES DE LA CONQUÊTE 43
(19 mai 1883). La fin tragique du vaillant officier
qui avait si glorieusement planté quelques mois
auparavant le drapeau tricolore sur la vieille cita-
delle annamite provoqua un de ces mouvements
d'opinion qui forcent les gouvernements à l'action
et condamnent l'opposition au silence.
En dépit des menaces qui venaient de Pékin,
où « de regrettables manœuvres » étaient venues
traverser notre action *, la France entrait dans
la période d'action. Tandis que le Gouvernement
nommait M. Harmand Commissaire général civil, il
envoyait les renforts nécessaires au général Bouet
pour prendre immédiatement l'offensive, et pré-
cisait à la Chambre, où l'expédition projetée
trouvait d'ardents adversaires, la politique qu'il
entendait suivre au Tonkin. Il faut bien le recon-
naître, l'opinion publique, un instant résolue,
était déjà incertaine. L'opposition ne cessait de
harceler le ministre de ses traits et de provo-
quer dans le pays un état général d'énervement
et d'inquiétude.
Regrettables manœuvres, division des esprits en
France, campagne de l'opposition parlementaire,
état de nos rapports avec l'Europe, attitude provo-
cante de la Chine, c'était plus qu'il n'en eût fallu
1. V affaire du Tonkin, — Histoire diplomatique de l'établis-
sement de notre jn^otectorat sur VAnnàm (1882-1885), par un
diplomate. (Hetzel et C*«, p. 47.)
44 l'indo-chine
pour paralyser un ministère, si un homme d'État,
à qui l'histoire aujourd'hui a rendu pleine jus-
tice, Jules Ferry, ne s'était trouvé à sa tête, et cou-
rageusement n'eût pris les redoutables responsabili-
tés, qui sont devenues pour lui depuis des titres à
la reconnaissance du pays. Car la question ne se
limitait pas à la simple conquête du Tonkin. Elle
était plus générale et plus haute. Il s'agissait de
savoir si oui ou non la France aurait une politique
coloniale. La possession du marché du Tonkin et
de TAnnam, facilitant par suite nos rapports
commerciaux avec les 400 millions d'habitants que
compte la Chine, Fouverture de débouchés nou-
veaux et privilégiés, la mise en exploitation d'un
pays riche, un point d^appui et de ravitaillement
pour notre marine, un stimulant sérieux pour
notre commerce et notre industrie, et d'autre part
la possibilité de faire contre-poids à l'influence
anglaise, de relever notre prestige en Extrême-
Orient et d'affirmer que la République, désormais
maîtresse de ses destinées, entendait maintenir
le rang qui lui convient parmi les nations, tels
étaient les motifs qui déterminèrent Jules Ferry et
ses collègues à poursuivre vigoureusement en Indo-
Chine l'action commencée, en dépit d'une opposi-
tion qui devait aller en s'accentuant tous les jours.
A-t-il bien fait? L'histoire a prononcé. Elle a
rendu hommage au courage, à la perspicacité^ à
PHASES DIVERSES DE LA CONQUÊTE 45
l'énergie de Thomme d'État, et elle a sans retour
condamné l'opposition qui lui fut faite, d'autant
plus sévèrement qu'elle n'était peut-être pas tou-
jours inspirée par Tamour du pays.
Aussi bien l'attitude de la France lui était alors
impérieusement commandée parles circonstances.
Elle ne pouvait plus longtemps tolérer les vexa-
tions parties de Hué.
La cour d'Annam, malgré sa faiblesse et son
impuissance, à l'instigation du Gouvernement
Chinois, avait à notre égard une conduite telle,
que sous peine de ruiner à tout jamais notre cré-
dit en Extrême-Orient, nous ne pouvions y ré-
pondre que par un acte décisif. De là, la prise de
Thuan-An, la marche sur Hué, l'entrée sensation-
nelle de M. Harmand dans le palais impérial et le
traité du 23 août 1883, qui marqua la fin de la ré-
sistance.
Affolée, la cour de Hué s'était rendue à discré-
tion. Le régent Nguyen Van Thuong aurait alors
signé tout ce qu'on aurait voulu, quitte à violer
ensuite ses engagements ou à les nier sans scru-
pules. Car il comptait sur l'inévitable intervention
de la Chine et c'est, en effet, à partir de ce mo-
ment que la cour de Pékin entre officiellement en
scène. Jusqu'alors, elle s'était contentée d'intri-
guer et de brouiller les cartes. On prête, au sur-
plus, au Régent, un mot trop significatif pour
46 l'indo-chine
n'être pas vrai : « Les Français peuvent, s'ils le
veulent, s'emparer du Tonkin ; s'ils en font la
conquête, ils ne pourront pas le garder. »
La mort de Tu Duc, les intrigues du puissant
Thuong, bientôt suivies d'une révolution de palais
qui portait au trône Hiep Hoa au lieu de Phéritier
légitime, enfin la destruction presque totale de
l'armée annamite, créaient une situation excep-
tionnellement favorable. Mais il fallait se hâter,
car on pouvait tout craindre d'un peuple déses-
péré, mais trop orgueilleux pour accepter sa dé-
faite. Partisan déterminé de l'annexion, le Com-
missaire Général civil — dont on ne louera jamais
assez les hautes qualités dont il fit preuve au
cours de ces événements, et dont l'audace rai-
sonnée brusqua une situation qui pouvait devenir
inquiétante — avait imposé au Gouvernement
annamite un traité tellement rigoureux, qu'il était
si l'on peut dire, la négation même du principe du
protectorat. C'était l'incorporation, fatale et à bref
délai, de l'Empire d'Annam à la France.
Legs du passé i réserve pour l'avenir, l'Indo-
Chine était à nous. Ce n'est pas ici le lieu de ra-
conter les difficultés de toutes sortes que la
France, alors, rencontra pour faire reconnaître
par la Chine les faits accomplis et les trésors de
diplomatie qu'il fallut chaque jour déployer pour
arriver, en dépit des attaques déchaînées et de
SOUMISSION DE l'aNNAM 47
Topposition aveugle d'une minorité, à imposer,
sans déclaration de guerre, à la cour de Pékin,
notre possession légale de l'Annam et du Ton-
kin *.
La tâche fut d'autant plus difficile que, secrète-
ment encouragée, soutenue, aidée par la Chine,
la cour de Hué était loin d'avoir perdu tout es-
poir. Vaincue, elle restait frémissante ; exaspérée
par les conditions qu'elle avait dû accepter en
août 1883, elle paraissait décidée à en obtenir à
tout prix la revision. Hiep Hoa avait été en effet
empoisonné et remplacé par un enfant de quinze
ans, Kien Phuc, neveu de Tu Duc. Le coup d'État
était l'œuvre du régent Nguyen Van Thuong, qui
espérait ainsi raffermir son autorité et secouer le
joug de la France.
M. Tricou, dont la mission en Chine avait pris
fin par la nomination d'un ministre plénipoten-
tiaire, M. Patenôtre, rentrait alors en France. V
reçut l'ordre de s'arrêter à Hué pour y renforcer
l'autorité du résident français, M. de Champeaux,
et obtenir la soumission du nouveau Roi (dé-
cembre 1883).
Par la fermeté de son attitude, M. Tricou eut
raison de toutes les résistances et de tous les
mauvais vouloirs. Il fit mieux. En violation des
1» Le Tonkin et la Mère Patrie. (Préface de Jules Ferry.)
48 l'indo-ghine
traditions les plus sacrées^ il exigea d'être reçu par
le roi entouré de toute sa cour et en présence de
Tannée annamite sous les armes. Malgré certaines
prédictions fâcheuses qui avaient circulé, aucun
guet-apens n'avait été préparé. L'impression dans
tout FEmpire fut considérable. Aux yeux de tous,
mieux que toutes les victoires et que tous les
traités, cette solennité rendait manifeste l'éta-
blissement de notre protectorat et la soumission
de l'Annam.
Mais ainsi du reste que le plénipotentiaire fran-
çais s^y était engagé, le gouvernement de la Répu-
blique, pénétré du caractère qu'il convenait de
donner désormais à son installation en Annam,
était, dès ce moment, résolu à modifier, dans le
sens du protectorat véritable, les stipulations du
traité de 1883, improvisé dans le feu de l'action,
et dont le caractère provisoire apparaissait chaque
jour davantage.
Ce fut Toeuvre du traité du 6 juin 1884 qui,
écartant résolument toute idée de conquête ou
d'annexion immédiate, formula la charte du pro-
tectorat de la France sur T Annam.
Après Texpérience heureusement tentée en
Tunisie, il semblait bien que le système du protec-
torat convenait le mieux pour établir notre in-
fluence en Annam, dans les conditions les plus éco-
nomiques, pour développer les ressources du pays.
FORME ET CARACTÈRE DU PROTECTORAT 49
pour y faciliter la colonisation et môme pour en
préparer Tassimilation.
Certes, rien n'empêchait la France de pronon-
cer la déchéance de la dynastie des Nguyen et de
prendre en mains l'administration de TAnnam.
« Le Gouvernement de la République écarta
cette éventualité. D'accord avec la majorité du
parlement, il estima que la forme du protectorat
— du protectorat non plus historique, mais eflfec-
tif, réel, garanti — tout en assurant à la France
l'essentiel de'sa souveraineté sur les anciens États
de Tu Duc, oflFrait des avantages considérables au
point de vue de la simplicité, de l'économie et des
facilités d'administration du pays. Le gouverne-
ment direct de TAnnam aurait été malaisé, oné-
reux et sans profit. Le protectorat, bien compris,
permet d'obtenir, avec moins de frais et de frois-
sements, les résultats cherchés dans la création
d'un vaste empire colonial : développement indus-
triel et commercial, accroissement de richesse et
de puissance, rayonnement civilisateur ^ »
M. Harmand avait des idées personnelles dia-
métralement opposées. Sa grande connaissance
du milieu annamite l'avait amené à penser qu'il
valait mieux employer le système de la conquête
franche, après le renversement de Hué, de la
1 . Rapport de M. Eugène Tenot, au nom de la Commission
de la Chambre des Députés chargée de l'examen du traité.
80 L*INDO-CHINE
dynastie et de la cour. C'est dans cet état d'es-
prit qu'il se trouvait lorsqu'il dut élaborer, au
milieu du mois d'août 1883, la convention destinée
à régler les rapports de la France avec TAnnam.
Pour répondre aux intentions du gouvernement,
il avait inséré toutes les clauses compatibles avec
l'institution du protectorat ; mais, entraîné, peut-
être malgré lui, par ses idées personnelles, il y
avait également ajouté certaines stipulations qui
procédaient d'une politique toute différente. Notre
protectorat y trouvait ses organes essentiels et les
garanties nécessaires. Mais — et c'est là qu'était
la faiblesse — l'Annam était placé dans une situa-
tion qui ne lui permettait plus de continuer sa vie
propre.
Produit d'idées contradictoires et d'influences
toutes momentanées, le traité de 1883 était à la
fois un traité de protectorat et un traité de con-
quête. Il fallait qu'il fût l'un ou l'autre. En sou-
mettant aux Chambres le nouveau traité que la
République Française imposait à la cour d'Annam,
Jules Ferry n'eut, pour en définir le caractère,
qu'à prononcer ces simples mots : « Le traité du
6 juin 1884 est, dans toute l'acception du terme,
un traité de protectorat. »
L'exercice du protectorat était désormais confié
à un résident général, ayant droit d'audience pri-
vée et personnelle auprès du roi d'Annam. Cette
FORME ET CARACTÈRE DU PROTECTORAT 51
stipulation avait une gravité exceptionnelle aux
yeux des Annamites et consacrait la prépondé-
rance du représentant français. En échange, on
restituait à TAnnam les quatre provinces que
M. Harmand avait distraites de l'Empire, pour les
incorporer, soit au Tonkin, soit à la Cochinchine.
Cette amputation, si elle avait été définitive, por-
tait un tel coup à TAnnam, qu'elle l'aurait fatale-
ment poussé au désespoir et à la révolte.
L^annexion du Than-Hoa surtout, berceau de la
famille des Nguyen, était une blessure qui eût
coalisé dans une commune pensée de rébellion les
populations et la cour de Hué. De tels résultats
allaient à rencontre des intentions de la France
qui n'avait en vue, en établissant le protectorat,
que de laisser au pays protégé les moyens de
continuer sa vie et de se développer *.
Le traité du 6 juin 1884 continuant à être, en
dépit des altérations et des atteintes que l'expé-
rience et le temps y ont apportées, la grande loi
organique de l'Indo-Chine, voyons quelles en
1. L'exposé des motifs présenté aux Chambres, le 12 juil-
let 1884, par Jules Ferry, précise sur ce point toute la pensée
du Gouvernement :
« Pour le succès même de Toeuvre entreprise en Indo- Chine,
il faut que TAnnam ne soit pas une pure fiction et que cette
partie de TEmpire continue à former un état subordonné, mais
distinct, capable de trouver sur son territoire des ressources
qui lui permettent de vivre sans lui créer d'embarras et de
s'administrer sous notre haute direction. )>
52 l'indo-chine
furent les données générales et Pesprit dont il
était animé.
Les deux grandes divisions territoriales, TAnnam
et le Tonkin, sont directement placées sous le
protectorat français, mais la nature et le mode
d'exercice de notre autorité ne sont pas les mêmes
pour les deux régions. Les raisons de cette dif-
férence sont multiples.
Établis depuis de longues années au Tonkin,
nous y avions lentement fait prévaloir notre in-
fluence et les directions venues de Hué ne s'y
faisaient presque plus sentir. La part donnée à
rélément français dans l'administration pouvait
par suite être plus grande qu'en Annam. C'est ce
qui se dégage très nettement du traité, qui prévoit
un contrôle incessant de l'administration intérieure
du Tonkin par les représentants de la France.
Dans TAnnam, au contraire, resté plus attaché
aux vieilles traditions, subissant Faction immé-
diate de la cour et des hauts mandarins, il était
préférable de laisser les fonctionnaires annamites
exercer librement leurs fonctions, ou plutôt leur
donner cette illusion qu'ils l'exerçaient librement.
On évitait de la sorte des froissements, des vexa-
tions inutiles et partant dangereuses.
Malgré tous les tempéraments qui étaient ap-
portés à rexerpice de notre protectorat, malgré
toutes les précautions que la France avait prises
FORME ET CARACTÈRE DU PROTECTORAT 53
pour ménager toutes les susceptibilités et ne rien
imposer de blessant au caractère annamite, le
traité, cependant très libéral de 1884, n'alla pas,
tout au début, sans soulever de grandes difficul-
tés. Presque partout les mandarins adoptaient une
attitude hostile. Ils protestaient contre la plupart
de nos actes, ils encourageaient sous main les
rébellions ; ils faisaient élever de toutes parts des
fortifications destinées à fournir contre nous un
point d'appui à une résistance éventuelle. Cette
situation s'aggrava après le guet-apens de Bac-Lé,
oii Ton put croire, à la cour de Hué, que la re-
prise des hostilités contre la Chine allait absorber
toute l'attention de la France. La mort mysté-
rieuse du roi Kien-Phuoc et la proclamation de
son successeur, en dehors et sans l'assentiment
du Gouvernement Français, nous déterminèrent
à Faction. Le 12 août, le colonel Guerrier, chef
d'état-major de notre corps expéditionnaire, arri-
vait à Hué avec un bataillon et une batterie d'ar-
tillerie. Sommée de remplir les stipulations du
traité de 1884, et de procéder dans les formes
prévues par celui-ci à l'élévation du nouveau roi,
la cour de Hué, après un simulacre de résistance,
se rendait à discrétion, et dans une audience so-
lennelle, le résident général et le colonel Guer-
rier donnaient, au nom de la France, Tinvestiture
au nouveau souverain.
54 l'indo-chine
Tous ces incidents avaient fait ressortir avec
force la nécessité, en même temps que Turgence,
d'organiser l'administration du protectorat et de
consolider, surtout en Annam, Faction des repré-
sentants de la France. Au lendemain du traité de
1884, on avait installé à Hué un résident avec
une escorte militaire*. Malheureusement, par une
conséquence presque forcée de Tétat de guerre,
on avait décidé que cet agent relèverait du chef
du corps expéditionnaire, ce qui lui enlevait du
même coup et son indépendance, et son autorité.
Les régents prenaient à tâche d'agir en dehors de
son contrôle et ne manquaient aucune occasion
de rhumilier en recourant, sous les prétextes les
plus futiles, au commandant militaire.
Il y avait dans cette situation des éléments de
trouble qui n'eussent pas été, s'ils se fussent pro-
longés, sans nous causer de très sérieux embar-
ras. Le Gouvernement le comprit, et agit avec
d'autant plus de rapidité qu'il n'ignorait rien des
velléités d'indépendance qui commençaient à se
faire jaur en Annam.
Le général Brière-de-llsle ayant été désigné le
30 août 1884 pour succéder au général Millot,
arrivé au terme de son commandement, il fut
décidé qu'un résident général serait également
1 . C'était le colonel Rheinart.
FORME ET GARAGTÉRB DO PROTECTORAT 55
nommé à Hué, et le nouveau chef du corps expé-
ditionnaire fut invité à remettre au représentant
civil tous les pouvoirs politiques et administratifs
exercés jusqu'alors par l'autorité militaire.
Il n'est pas sans intérêt de relire aujourd'hui les
instructions que Jules Ferry remettait au nouveau
résident général *, sur le point de rejoindre son
poste.
C'est l'exposé le plus net et le plus complet
qui ait été fait du régime du protectorat, en même
temps que des droits et des conséquences qui en
découlent.
« Nous avons entendu que le royaume anna-
mite conservât assez d'étendue et assez d'indépen-
dance pour avoir son existence propre, et nous
avons voulu limiter notre rôle à celui de surveil-
lants et de contrôleurs^ sans nous ingérer direc-
tement dans l'administration du pays. Vous devez
donc, tout en exerçant pleine et entière l'autorité
qui vous a été confiée par le traité, ne rien faire
qui risquerait de trop affaiblir le gouvernement
annamite, et de nous obliger, par suite, à une
intervention plus profonde dans les rouages de
l'administration locale. Vous chercherez, autant
que possible, à vous servir des forces établies et
à en diriger l'action pour le plus utile fonctionne-
1. C'était M. Lemaire, précédemment Consul Général à
Shang-Hal.
56 l'indo-ghine
ment de la vie sociale du pays, sans chercher à y
substituer, prématurément, des organes nouveaux
et des systèmes empruntés à notre civilisation et
à nos mœurs. Le contrôle incessant que vous
exercerez par des procédés différents au Tonkin
et dans TAnnam proprement dit, vous permettra
de signaler à la cour de Hué les abus dont vous
serez averti et les réformes à entreprendre. C'est
sur elle directement que devra s'exercer votre
influence pour déterminer l'envoi aux autorités
indigènes d'instructions, qui seront d'autant plus
fidèlement observées qu'elles sembleront émaner
de l'initiative propre du gouvernement annamite.
Mais, dans l'exercice des droits qui vous appar-
tiennent comme représentant de la puissance
protectrice, vous ne souffrirez de la cour de Hué
aucune tentative pour s'affranchir de votre auto-
rité et de votre surveillance ».
Et dans une lettre, d'un caractère moins offi-
ciel, qu'un coUaborateur du Président du Conseil
adressait au Résident Général, la pensée du Gou-
vernement était encore mieux précisée et rendue :
« Pénétrez- vous bien de cette idée, y disait-on à
M. Lemaire, qu'il ne s'agit ni d'annexer ni d'assi-
miler. Il faut vous servir de la cour de Hué, la
tenir à la gorge et l'amener à faire marcher les
mandarins dans notre sens. C'est ainsi que les
Anglais procèdent dans l'Inde. C'est ce que M. Cam-
FORME ET CARACTÈRE DU PROTECTORAT 57
bon fait avec succès en Tunisie. De plus, il
convient de distinguer le Tonkin, où votre
action s'exercera directement sur l'adminis-
tration, de TAnnam proprement dit, où la cour
doit rester maîtresse de l'administration. Le
traité est formel à cet égard et doit rester votre
code... ».
Ni annexer, ni assimiler, telle est, en effets la
formule qui doit convenir au rôle que la France
doit jouer en Indo-Chine. Y est- on toujours resté
fidèle? Depuis 1884^ des changements nombreux
ont eu lieu, tant dans l'organisation même des
pays protégés, que dans la forme sous laquelle s'est
exercée notre action. Il y a eu tout d'abord, après
le traité de paix avec la Chine, la lente pacification
du Tonkin, infesté par des bandes de Pavillons
Noirs et en partie livré à la piraterie. EflFort diffi-
cile qui n'a pas été sans longue effusion de sang,
œuvre délicate souvent contrariée par des vues
différentes ou des conceptions opposées. Et dans
la direction même de notre administration, que
de changements parfois, que de contradictions
même, toujours dictés (loin de moi la pensée
de méconnaître l'importance très grande de
l'œuvre et la part qui en revient à tous ceux qui
participèrent à son achèvement) par le haut
souci de la grandeur de la France et la nécessaire
récompense de ses longs et glorieux efforts, mais
1
58 l'indo-chine
fatalement condamnés à retarder, à stériliser, à
énerver la pensée directrice, comme à éloigner le
but assigné à notre effort.
Mais, tandis qu'à Paris les idées pacifiques
prévalaient et s'affirmaient, un besoin de con-
quête se manifestait chez ceux-là même qui, en
Indo-Chine, étaient chargés d'en assurer l'applica-
tion.
Je ne rappellerai pas Téchauffourée de Hué, du
5 juillet 1885, suivie delà fuite du roi Ham Nghi
et du régent Thuyet, et qui fut le signal d'un
massacre général des chrétiens dans presque tout
TAnnam. En quelques semaines, tout le royaume
fut en pleine insurrection. C'est le moment que
choisit le général de Courcy pour « proclamer la
déchéance de la dynastie et l'annexion pure et
simple de l'Annam*. »
Presque au même instant, des soulèvements
éclatent au Tonkin et prennent rapidement des
proportions menaçantes. Effrayé, le général de
Courcy parle d'évacuation pour borner nos efforts
à la conquête de l'Annam. A la réflexion, on
revint heureusement à une plus saine apprécia-
tion des événements et l'on sut très habilement se
servir de l'autorité du régent Thuong qui, soit par
jalousie à l'égard de Thuyet, soit par intérêt
1. Dépêche du 8 juillet 1885.
NÉCESSITE DE LE MAINTENIR 59
personnel, s'offrit alors à travailler à la pacifica-
tion de TAnnam.
C'est alors que le général de Courcy songea à
ajouter au traité de 1884 une convention, qu'au-
raient signée Thuong et les autres ministres res-
tants à Hué, étendant les mêmes conditions de
protectorat à l'Annam et au Tonkin, créant une
armée annamite, avec des cadres exclusivement
français, payée et entretenue par le pays, respec-
tant les administrations annamites, mais les pla-
çant sous le contrôle et la direction de la France.
C'était le triomphe assuré des idées du protecto-
rat, une réédition du système qui avait été intro-
duit en Tunisie et qui était d'autant plus facilement
applicable en Annam qu'il n'y avait pas d'étran-
gers, ni de régimes spéciaux à sauvegarder.
A Paris, mal renseigné, on prit ce projet pour
une reculade et on y répondit par une série de pro-
positions qui allaient rendre plus incohérente en-
core cette politique hybride, faite de protectorat et
d'annexion, dont l'insurrection de Hué était le plus
clair résultat. On n'en finirait pas si l'on voulait
énumérer toutes les erreurs qui furent alors com-
mises. C'est ainsi qu'on songeait à enlever à
l'Annam ses provinces du Sud pour les annexer à
la Cochinchine, et ses provinces du Nord pour les
soumettre. Comment s'étonner que l'Annam et le
Tonkin, à la voix des mandarins et des chefs
60 l'indo-chine
annamites, aient manifesté leur mécontentement
par des levées incessantes de bandes insurrec-
tionnelles ? Comment s'étonner que dans Tincer-
titude de leur sort, les populations aient si long-
temps écouté, avec tant de docilité, les excitations
à la révolte, aient plus ou moins pactisé avec les
rebelles et aient apporté tant d'entraves à la pa-
cification et au retour de Tordre.
Après toutes ces fluctuations, tous ces avorte-
ments, après avoir passé de l'un à l'autre régime,
on paraît être définitivement revenu, aujourd'hui
et depuis plusieurs années, aux vues que marquait
avec tant d'éloquence et d'élévation Jules Ferry
du haut de la tribune française, c'est-à-dire au
régime loyal et sincère du protectorat. On a fait
plus. A la faveur de la réorganisation du système
financier de l'Indo-Chine, et de l'établissement du
budget général, qui ont si heureusement permis à
rindo-Chine d'entrer résolument dans la voie de
la mise en valeur et de l'utilisation de ses richesses
économiques, « il parut possible de faire un pas
décisif dans l'organisation du protectorat fran-
çais*. » Le régime fiscal, primitif et quelque peu
barbare que le gouvernement royal avait laissé
subsister, devait fournir des recettes considéra-
blement accrues par le fait seul de l'introduction
1. Voir Situation de Vlndo- Chine ^ par M. Paul Doumer,
page 10 et suivantes.
i ,
NÉCESSITÉ DE LE MAINTENIR 61
des méthodes de comptabilité française et la per-
ception régulière des impôts faite par les soins de
notre administration.
« Le Roi d'Annam et son Conseil se rendirent
aux raisons qui leur furent données d'adopter
cette importante réforme. A partir du !«' jan-
vier 1899, — au lieu que les recettes des contri-
butions directes et de quelques taxes spéciales
fussent perçues par la cour d'Annam, qui avait
ensuite à pourvoir aux dotations du roi et de sa
famille, ainsi qu'aux dépenses de l'administration
indigène, — les impôts directs furent perçus parles
résidents français et la comptabilité générale de
l'Annam est depuis lors tenue à la résidence supé-
rieure. Le roi reçut annuellement une somme,à for-
fait, égale à celle dont il disposait déjà, pour être
affectée à l'entretien de la Cour et des fonctionnaires
indigènes qui dépendent directement d'elle * . »
Le Roi, près d'atteindre sa vingtième année, fut
déclaré majeur. Le Conseil de régence, où ne sié-
geaient que les représentants du parti rétro-
grade, vieux mandarins, figés dans les traditions
et les préjugés, ennemis de toute innovation, et
dont la force d'inertie constituait toute la poli-
tique, se trouva de ce fait inutile et fut supprimé.
Le Comat fut réorganisé sur de nouvelles bases,
1. Paul Doumer, loc. cit,y page 14.
62 l'indo-chine
le nombre de ses membres fut porté de quatre à
six, choisis uniquement parmi les ministres. Les
décisions devaient en être appliquées par les soins
des ministres compétents, qui en assuraient l'exé-
cution sous leur responsabilité. Au résident supé-
rieur, représentant direct de la France auprès de la
Cour de Hué, était dévolue la présidence du Comat,
ainsi que celle du Conseil de la famille royale.
Depuis, toutes les questions importantes sont
soumises au Comat. Discutées en séance, elles
sont ensuite présentées au roi. Mais les ordon-
nances prises par le roi ne deviennent exécutoires
qu'après approbation du représentant du protec-
torat. Tel fut le régime institué par l'ordonnance
royale du 27 septembre 1897. L'autorité du roi
d'Annam, son prestige, étaient sauvegardés.
Toutes les réformes faites, Tétaient au nom du roi
et par lui. De la sorte, il y eut collaboration
étroite, sincère et loyale, des représentants de la
France et des chefs indigènes dans l'application
des mesures prises. Il n y eut ni récrimination, ni
plainte. Tout se fit sans bruit. Avec une facilité
peut-être unique dans l'histoire du peuple, la
transmission du pouvoir s'opéra, le nouveau sou-
verain fut reconnu et le Conseil de régence, dé-
possédé, disparut comme une ombre. Sa chute ne
surprit personne. Son impopularité Tavait depuis
longtemps condamné.
CHAPITRE II
Du rôle qui échoit à la France. — L'autorité morale doit
être le fondement essentiel de notre politique coloniale.
— Pénétration réciproque des éléments européens et
indigènes et profit qu'en retirera Tlndo-Ghine.
Depuis cette époque, le régime du protectorat
n'a fait que s'affirmer. Et cependant, malgré un
continuel contact, la pénétration est loin d'être
faite. En présence des incertitudes, des contr'adic-
tions qui ont apparu si longtemps dans notre
mode d'administration, la séparation s'est main-
tenue, la distance s'est conservée presque aussi
absolue qu'au premier jour.
Je connais la tliéorie qui consiste à regarder
l'Annamite, à l'exemple du noir soudanais, comme
un être inférieur, incapable de s'élever à notre ni-
veau et qui doit, par suite, être maintenu dans
64 l'indo-chine
un état de dépendance complet. C'est aussi la
théorie de la conquête brutale, de l'assimilation
quand même, de l'absorption à tout prix. Elle est
à la fois fausse et dangereuse. Fausse, car elle
s'appuie sur des données ethnographiques que la
science, aussi bien que Texpérience, ont condam-
nées et réduites à néant ; dangereuse parce qu'elle
ne conduirait à rien moins qu'à exaspérer une
race, à la pousser à la révolte ou à la réduire à
Tétat d'ilotes. L'histoire enseigne ce que sont de-
venues les colonies qui ont été traitées avec ce
mépris et cette méconnaissance égoïste du droit
humain ; plus près de nous, elle montre, au con-
traire, à quel point de civilisation et de prospérité
se sont élevées celles qui, au contact d'un peuple
généreux et fort, ont été pénétrées des rayons de
la science et des lois éternelles du progrès.
Au surplus, la suppression du protectorat ne
saurait avoir pour l'Indo-Chine tout entière que
les conséquences les plus fâcheuses. L'administra-
tion directe, par les frais nouveaux qu'elle néces-
siterait, risquerait de mettre en péril les finances
mêmes de la colonie. Ce n'est pas impunément,
en effet, qu'on peut grever de plusieurs millions
un budget dont l'équilibre exige un strict mini-
mum de dépenses.
Il est d'autres inconvénients qui, tout en appa-
raissant peut-être moins clairement, n'en sont pas
RÔLE DE LA FRANCE 65
moins à redouter. Nous avons affaire — et on ne
saurait trop le répéter — à une race intelligente,
admirablement douée^ fière dans son loyalisme^
patiente dans l'effort, sérieusement adonnée au
travail, orgueilleuse de son antique origine et de
sa longue histoire, devenue ambitieuse par une
lente conception de ses besoins, et qui semble ar-
rivée au degré extrême de la civilisation propre à
son génie. Si nous ne savons appeler à nous et
faire servir à notre cause les activités industrielle s,
n'est-il pas à craindre, qu'en raison même du ca-
ractère national, elles ne cherchent soit à s'émous-
ser, soit à se produire ailleurs et contre nous.
Nous avons peut-être trop montré notre tendance
à abaisser ou à diriger les classes dirigeantes, en
un besoin d'égahté, si justement cher à notre dé-
mocratie. Il semble que ce nivellement social ne
soit, tout au moins, prématuré en Indo-Chine. Là,
comme partout, car c'est une vérité qui éclate
sous toutes les latitudes, les classes privilégiées
sont profondément conservatrices. Quels que
soient leurs sentiments à notre égard, qu'ils
soient faits de haine, de respect ou d'amour,
avant tout, elles connaissent et redoutent notre
force, elles apprécient — parce qu'elles en profi-
tent — l'ordre et la tranquillité qui ont été pour
ce pays, si longtemps troublé, la conséquence de
notre présence et qui disparaîtraient, immanqua-
5
66 l'indo-chine
blement, avec notre départ. C'est ainsi que leurs
intérêts les lient à nous par une sorte de pacte
tacite, et en font comme les alliés de notre in-
fluence, les garants de notre mission et les sou-
tiens de nos droits.
Nous appuyer sur eux devient donc, en retour
pour nous, un principe nécessaire de gouverne-
ment. Cette ligne de conduite a aidé puissam-
ment à la pacification du Tonkin montagneux, vé-
ritable nid de pirates. Elle nous a valu, en parti-
culier, en Tunisie, des succès que nous n'avons
pas connus ailleurs. Il semble, d'autre part, que
le protectorat soit la méthode de colonisation qui
convienne le mieux à notre tempérament natio-
nal, car elle laisse davantage aux vaincus, elle
leur permet de vivre selon leur génie, à Tabri de
notre protection efficace ; elle sauvegarde leur di-
gnité et leur fait sentir, moins directement, les
inconvénients de la conquête.
Quels que soient donc les progrès qu'a pu faire,
grâce à la pacification, l'administration française,
quel que soit l'effacement, de plus en plus grand,
et de la Cour de Hué et de Tadministration anna-
mite, il faut maintenir le protectorat et le mainte-
nir franchement, nettement et résolument. Il faut
aussi que ce protectorat facilite la pénétration des
deux races qui se sont maintenant superposées,
qui vivent côte à côte> et qui doivent nécessaire*
RÔLE DE LA FRANGE 67
ment travailler à une même œuvre, à une même
tâche. Il importe d'intéresser TAnnamite à nos
efforts, de s'attacher sa collaboration, non plus
passive et expectante, mais active et décidée, de
provoquer son initiative, d'éveiller son activité et
de le faire participer, en une forte proportion de
son travail et de son action, aux profits qui résul-
teront de la mise en valeur et de l'utilisation des
richesses économiques. Ne commettons pas la
lourde faute de laisser Tindigène en dehors du
mouvement qui entraîne la colonie, et gardons-
nous de le rebuter ou de l'intimider par une dé-
daigneuse méconnaissance du rôle qu'il y peut et
qu'il doit y jouer. L'indigène est tout disposé à
venir à nous, il a confiance, il est prêt à nous se-
conder et à nous aider. Sans compter que, franche
et loyale, son action peut nous être d'une utilité
considérable dans un pays où nous ignorons en-
core tant de choses. Favoriser les rapprochements
entre l'indigène et nous, pénétrer plus complète-
ment qu'on ne Ta fait jusqu'ici son caractère et sa
mentalité, accueillir et susciter les initiatives et les
bonnes volontés de ceux d'entre eux qui, plus affi-
nés, ont déjà compris tout le profit dont la race était
appelée à bénéficier au contact de la civilisation
française, telle est actuellement la conduite qui
s'impose en Indo-Chine. C'est en donnant aux in-
digènes plus de bien-être et une entière sécurité
68 l'indo-chine
pour leurs personnes et leurs biens, c'est en res-
pectant et en faisant partout respecter leurs cou-
tumes et leurs mœurs, c'est en tenant la main à
ce que, à tous les degrés, l'administration soit
probe, juste, éclairée, en même temps que large
et tolérante — toutes qualités que l'indigène sait
apprécier — c'est aussi en se gardant de toute me-
sure ou de toute parole qui froissent leurs senti-
ments patriotiques ou religieux, que s'achèvera la
conquête morale d'une colonie, admirablement
dotée par la nature, qui constituera une force et
une ressource pour l'avenir, et que Ton pourra
faire des Annamites des sujets fidèles de la
France.
LIVRE 111
DES RAISONS ET DE LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER
SES RICHESSES ÉCONOMIQUES
CHAPITRE PREMIER
Le problème agricole. — Pourquoi le riz sera encore pen-
dant longtemps la principale culture de Tlndo-Chine.
— Dans quel sens devons-nous diriger notre effort ? —
Peut-on espérer amener TAnnamite à varier ses cul-
tures. — Avenir du coton, de la canne à sucre, du ta-
bac, etc. — L'Annam et ses cultures. — Les arbres h
huile.
Quand on aborde Tétude du développement
économique et des richesses naturelles de llndo-
Chine, une question vient immédiatement à Tes-
prit. Pourquoi, jusqu'ici, les indigènes n'ont-ils pas
songé — il est, j'en conviens, des exceptions qui ne
font, du reste, comme toujours, que confirmer la
règle — à d'autres cultures que celle du riz et
peut-on espérer qu'ils modifieront un jour leur
mode unique, d'exploitation ? Cette question pose
72 l'indo-chine
tout le problème agricole de Flndo- Chine.
La nourriture presque exclusive du peuple anna-
mite, sa grande, son unique, sa constante préoc-
cupation, doit être de n'en point manquer. C'est
donc le riz qu'il cultivera de préférence à tout
autre produit. D'autre part, la culture en est sé-
culaire ; elle s'est transmise, à peu près intacte,
de génération en génération. Grâce à la compo-
sition chimique du sol, aux alternances régulières
du climat et aux éléments nutritifs de l'eau de
pluie qui, périodiquement, tombe, elle n'exige ni
préparation spéciale, ni effort soutenu, ni connais-
sances particulières. Tout nhà-quê peut préparer,
semer et récolter son riz.
L'Annamite est, au surplus, d'une insouciance
absolue. Il n'a aucune notion d'épargne. Il est un
peu comme la cigale de la fable. L'idée ne lui
viendra jamais de songer à la saison nouvelle.
Encore moins escomptera-t-il les bénéfices que
pourrait lui procurer un produit assuré de plus
grands profits que le riz. Mais s'il ne pense pas au
lendemain, il est une chose qu'il ne négligera ja-
mais, c'est sa nourriture de chaque jour. C'est
pour elle seule qu'il travaille, qu'il repique son
riz et qu'il bêche son casier, après l'avoir, au préa-
lable, longuement inondé.
Et quelque mirage que vous lui présentiez, il ne
perdra pas de vue tous les aléas que présentent
LE PROBLÈME AGRICOLE 73
les cultures actuellement préconisées en Indo-
Chine et dont on lui vante — peut-être avec
excès — les avantages, les profits certains, telles,
par exemple, que le coton ou le tabac. Un instant sé-
duit, son insouciance et sa légèreté ne Tempêche-
ront pas cependant d'envisager tous les dangers
qu'offrent ces cultures tant prônées. Et si de sa
rizière, il en fait demain un champ de coton
qu'arrivera-t-il en cas de mauvais temps ? Que
deviendra-t-il si quelque catastrophe atmosphé-
rique vient à détruire sa récolte? Non seulement
toutes ses espérances seront détruites, mais —
et c'est ce qu'il retiendra davantage — ayant sa-
crifié le certain pour le probable, c'est-à-dire sa
rizière, il sera exposé à manquer de riz et, par suit
à mourir de faim. Voilà ce qu'il ne manquera pai
de se dire, et il ajoutera que s'il s'était contenté de
cultiver tranquillement son riz, comme par le
passé, quel qu'eût été le fléau dont sa terre eût
eu à souffrir, et quels qu'eussent été les dégâts
commis, il eût toujours sauvé de sa récolte ce qui
était nécessaire à sa subsistance et à celle des
siens.
D'autre part, l'indigène ne peut pas attendre.
Pourquoi? Parce qu'il faut qu'il mange et que,
ne se nourrissant que de riz, la terre seule, ou plu-
tôt sa rizière, le nourrit. Il ne peut cultiver qu'un
produit qui lui rapporte dès la première année. II
74 l'indo-chine
lui faut des rendements immédiats. Pourquoi ?
Parce qu'il n'a pas de crédit. Où emprunterait-il?
A son voisin? Mais celui-ci est aussi pauvre que
lui. A la commune ? Mais elle a plus de charges
parfois que ses ressources ne lui en permettent.
Si encore il existait un crédit agricole, ou une
banque qui lui fasse des avances! Mais rien de
tout cela n'existe encore ni n'est près d'exister. Il
ne peut s'adresser qu'à lui-même, recourir qu'à
ses propres ressources. La terre est son unique
banquier. Si elle ne lui donne rien, c'est la faim,
c'est la misère, c'est la mort.
Aussi comprend-on qu'il soit si profondément
attaché à sa rizière qui, non seulement chaque
année, mais quelquefois même deux fois l'an, lui
fournit de quoi subvenir à son existence et le met
à l'abri du besoin. Que lui importe que dans
deux ans, trois ans peut-être, grâce à son inces-
sant labeur, à son obstiné courage, sa terre lui
réserve de plus p^ros proQts, s'il est exposé à n'a-
voir pas de quoi vivre pendant qu'il lui faudra
ainsi attendre.
Et voilà pourquoi il se montre si rebelle à toute
innovation, voilà pourquoi il est si étroitement,
si jalousement attaché à sa rizière qui est sa grande
nourricière, qui fait partie intégrante de la fa-
mille, dont il a éprouvé la fidélité et sur laquelle,
quoi qu'il arrive, il sait qu'il pourra compter.
LE PROBLÈME AGRICOLE 75
Le mode d'exploitation est intimement lié, chez
r Annamite^ à sa mentalité. Et je n'ai pas parlé
de toutes les superstitions, préjugés, prophéties,
qui sont comme autant de motifs déterminants
de son inertie, de sa routine et de sa Gdélité aux
traditions.
Il faut avoir vu TAnnamite, le corps à demi
plongé dans Teau, aidé du buffle massif qui est en
Indo-Chine son compagnon de misère et de foyer,
se livrer, avec une patience que rien ne lasse,
aux durs travaux de repiquage ou au pénible effort
du labour. Il faut Tavoir vu, sous les rayons brû-
lants du soleil ou sous la pluie diluvienne, rester
des heures entières^ courbé sur son casier^ prépa-
rer la moisson future. Il faut avoir vu sa sobriété,
son endurance, son opiniâtreté pour comprendre
son profond attachement au passé et la force puis-
sante de Tatavisme.
Le jour où Ton arrivera à obtenir de TAnnamite
qu'il cultive un produit différent de celui auquel
il est habitué, on aura résolu le problème agricole,
tel qu'il se présente à cette heure. Il y aurait une
façon, ai-je lu quelque part, d'avoir raison de ses
craintes ou de son inertie : ce serait de lui assurer
à l'avance sa provision de riz. Il n'est pas douteux
que si Ton garantissait à l'indigène qui, par
exemple, se livrerait à la culture soit du coton, soit
du tabac, qu'en cas de perte de sa récolte, l'Etat
76 L*INDO-CHINE
lui donnerait ce qu*il eût récolté de riz, on n'arrivât
à déterminer un courant favorable à l'extension
des cultures. Mais, il ne faut pas se le dissimuler,
— outre que la charge qu'assumerait ainsi FEtat
serait singulièrement onéreuse, — un pareil chan-
gement dans les mœurs d'un peuple demandera
du temps. Ce n'est pas du jour au lendemain que
l'on peut ainsi modifier un genre de vie qui cadre
si bien avec la cérébralité d'une race, et qui, tout
en n'entraînant qu'un minimum d'efforts^ assure
toujours la sécurité et la quiétude.
A la faveur de la tranquillité — aujourd'hui
complète — qui règne dans toute la colonie, incités
par des exemples que l'administration doit avoir
le souci d'encourager, beaucoup croient que l'in-
digène arrivera à se départir de la rigidité et de
l'immutabilité de ses habitudes.
Ce changement s'opérera, sans doute, si l'in-
digène voit , par exemple, beaucoup de colons
se livrer avec succès à la culture du coton *
et du tabac, s'il peut en calculer les résul-
tats certains, s'il prend lui-même confiance
1. C'est ainsi qu'encouragées par des tentatives européennes,
on peut voir dans le châu de Ghièn-ton (Cercle de Bao-Ha) plus
de deux cents familles s'adonner exclusivement à la culture du
coton et en récolter suffisamment pour en trafiquer après
avoir fabriqué leurs vêtements. Ce coton serait, m'a-t-on dit,
assez recherché par les Japonais pour leurs fils et leurs tissus.
Il paraît très blanc et exempt d'impuretés.
LE PROBLÈME AGRICOLE 77
dans l'avenir de ces deux cultures. Peut-être cette
évolution serait-elle hâtée si les colons avaient le
bon esprit d'intéresser les indigènes à leurs
propres essais, de leur abandonner une partie dos
bénéfices et par suite de les amener à apporter
aux nouvelles cultures le soin et le dévouement
dont ils font preuve pour leurs rizières.
Le mode d'exploitation, le plus en usage à cet
heure en Indo-Chine, est le métayage. Il paraît
devoir donner d'assez bons résultats. Les essais
qui ont été faits jusqu'à ce jour sont satisfaisants»
Chacun sait en quoi consiste le métayage : le pro-
priétaire fournit des terrains, une habitation, les
instruments de travail, les provisions, les avances
nécessaires au métayer et à sa famille durant la pre-
mière année. Il paie, d'autre part, les impôts, iour-
nit les animaux et les avances de semence. La pre-
mière récolte est, tout entière, laissée au métayer.
En retour, celui-ci supporte tous les frais de l'ex-
ploitation et doit entretenir la ferme, rembourser
graduellement les avances reçues et payer, chaque
année, une redevance, fixée au tiers delà récoltt\
D'une façon générale, les semences consenties an
métayer ne le sont que la première année seulemen t.
On ne saurait trop encourager le système du
métayage qui, en même temps qu'il associe
étroitement le colon cultivateur à l'indigène, peut
favoriser le groupement sur certaines terres jus-
/
78 l'indo-chine
qu'alors inhabitées de familles indigènes, quelque
chose comme un petit village en raccourci.
Nous avons visité une de ces exploitations. Là,
on ne se livre qu'à la culture du riz. Sur la plaine
verte, les chétives paillottes des métayers se
dressent au milieu de cocotiers et d'aréquiers.
Une multitude d'enfants, tout nus, jouent dans la
mare ou poursuivent le cochon craintif; Thomme
est dans la rizière, avec le buffle.
Les avances faites sont modestes : le proprié-
taire donne par mois, à chaque famille, 8 glas de
paddy, soit 144 kilog. Au début, on leur a fourni
de la paille et du bambou pour construire la
hutte. Lorsque le métayer n'est pas occupé su^;'
son lot, il peut travailler comme coolie à la ferme
centrale, au compte du propriétaire, et gagner
par jour de 20 à 30 cents de piastres (la piastre
peut être calculée au taux de 2 francs). Chaque
famille reçoit cinq hectares ; on estime qu'au bout
de quatre ans, lorsque la rizière est en pleine va-
leur, elle a reçu de 150 à 200 piastres d'avance;
le gia de riz avancé lui était compté un peu plus
cher que le cours du moment : lors de notre vi-
site, 75 cents contre 65 sur le marché.
Le métayer doit payer sa dette en paddy. Les
deux premières années, il est difficile de rien lui
demander. La troisième, il pourra sans doute
s'acquitter en partie et donner au propriétaire
LE PROBLÈHE AGRICOLE 79
environ 10 gias, ou 240 kilog. par hectare : la
quatrième et les suivantes, le métayer achèvera
de payer sa dette et versera 30 gias ou 420 kilog.
par hectare. A ce moment, la terre sera en plein
rapport, et pourra produire, par hectare, 150 gias
ou 4.690 kilog. Toute cette production devra
être vendue au propriétaire à 15 cents le pieul
de 64 kilog. au-dessous du cours.
Ce contrat de métayage, essentiellement varia-
ble selon les régions et la valeur des terres, peut
donner une idée de la manière avantageuse dont
les Européens trouvent à exploiter les rizières.
Sans parler du bénéfice réalisé sur la vente obli-
gatoire du riz du métayer au planteur, ce dernier
recevra pour sa part une vingtaine de piastres de
paddy, à Thectare, au cours actuel. C'est un beau
revenu, si on songe à la modicité des avances
faites, et qui doivent d'ailleurs être remboursées.
Mais, daUvS beaucoup de cas, le sol exige d'abord
de coûteux travaux de drainage et de canahsation.
En outre, la direction d'une métairie à paddy
n'est pas aussi simple qn'elle le paraît au premier
abord. Souvent les indigènes engagés disparais-
sent avec les semences, sans qu'il soit possible de
les rechercher ; souvent il faut, pour permettre la
mise en valeur des plaines intérieures de la Co-
chinchine, creuser des canaux et opérer d'autres
travaux généraux qui dépassent absolument les
80 l'inoo-chine
moyens financiers et l'initiative propre de Tindi-
gène. Il devra donc être aidé, soutenu, et quel-
quefois secouru.
L'indigène n'est pas de parti pris fermé ou hos-
tile au progrès. Il fera rarement, j'en conviens,
preuve d'initiative. Mais si on a la patience de lui
expliquer, de lui enseigner les avantages d'une
réforme, d'un changement, d'une nouveauté quel-
conque, si ces avantages surtout se traduisent
par quelque chose de visible, de palpable, de
matériel, soyez assuré qu'il se laissera gagner et
qu'il ne tardera pas, à son tour, à essayer et à
imiter.
Il faut avouer qu'aucune tentative vraiment
sérieuse n'a encore été faite dans le domaine agri-
cole. Loin de nous la pensée de vouloir pousser
l'Annamite à abandonner sa rizière ou à trans-
former ses casiers en de vastes cotonnières. Ce
serait lui demander de renoncer à tout ce qui a
constitué sa force, sa grandeur, à tout ce qui l'a
fait vivre, à toutes ses croyances, à toutes ses
illusions, à toute sa raison d'être, ce serait lui
demander, en un mot, de n'être plus lui.
Ce serait aussi l'exposer à de redoutables
éventualités. La question est beaucoup plus
simple. Il existe de nombreuses terres encore en
friche, sur tout le territoire de l'Union. Leur
abandon est dû à des causes multiples. Quelque-
LE PROBLÈME AGRICOLE 81
fois la terre appartient à des colons qui Font oc-
cupée et ne Font jamais travaillée; quelquefois
aussi elle est la propriété des indigènes ou de la
commune, qui faute d'argent, de bras ou même
de besoins, la laissent ainsi en jachère.
C'est sur ces terres que doivent être tentées les
expériences nouvelles, c'est là que doivent être
pratiqués les essais, les modes et les méthodes de
culture. C'est là que l'initiative gouvernementale
peut utilement s'exercer. C'est un champ d'expé-
riences profitable à tous.
Et il ne s'agit pas de procéder à la légère,
car l'indigène, attentif, observera vos fautes et
notera vos insuccès. L'eflFort sera d'autant moins
grand, pour le déterminer à essayer à son
tour, que les premiers résultats auront été plus
décisifs.
Des erreurs ont été très souvent commises en
ces dernières années. Dans difiérentes provinces
on a voulu implanter la culture du café, bien qu'il
ait été à peu près démontré que cette culture
n'avait, sauf sur certains points exceptionnelle-
ment situés, aucune chance de s'acclimater véri-
tablement en Indo-Chine. La discussion, sur ce
point, paraît à peu près close.
Les premiers essais ont été désastreux. On
s'est obstiné. Et c'est ainsi que le voyageur qui
parcourt le Tonkin, en particulier^ peut voir en
6
82 l'indo-ghine
maints endroits de lamentables caféiers tordant
leurs maigres tiges, au bout desquelles pen-
dent, lamentablement, des feuilles précocement
desséchées. Il est certain que de pareilles
tentatives ne sont pas faites pour encourager et
entraîner Tindigène, et il serait à souhaiter qu'on
lui évitât le spectacle de ces avortements. Puis-
que le pays ne paraît pas devoir favoriser la cul-
ture du café, il est plus sage d'y renoncer fran-
chement et de porter un effort, ainsi inutilement
dépensé, sur d'autres cultures, telles que le coton
et le tabac qui se développent pleinement et qui
peuvent donner, dans des conditions déjà très
bonnes et qui iront en s'améliorant tous les
jours, d'excellents rendements.
Il est, également, une culture que l'on pour-
rait très facilement développer dans toute Tlndo-
Chine, au Tonkin, et surtouten Annam. C'est celle
de la canne à sucre. Celle-ci vient partout en abon-
dance et pourrait se répandre encore davantage
dans tout l'Annam central, où le terrain est très
sec, et par conséquent tout particulièrement
apte à son extension. Et qui ne voit les consé-
quences industrielles que cette culture générale
pourrait avoir par la création de raffineries de
sucre, où l'on amènerait les indigènes à apporter
leurs matières premières.
Il ne s'agit pas de faire concurrence à la mé-
LA CULTURE DU TABAC 83
tropole, il s'agit simplement d'alimenter la con-
sommation locale et de la soustraire au marché
de Hong-Kong. Il s'agit en outre de donner aux
indigènes un débouché facile, commode, tout à
leur portée, d'un produit qu'ils récoltent à peu
de frais, qu'ils ne transforment et ne peuvent
transformer qu'imparfaitement *, et dont ils sont
loin de tirer à cette heure un prix vraiment rému-
nérateur. Et l'indigène participera sans difficulté
à l'utilisation sur place de la canne à sucre, parce
qu'il y trouvera à s'employer, tout en augmen-
tant le rendement de ses propres produits. Il y
aura tout bénéfice pour lui, sans compter,
comme nous le verrons plus loin, les avantages
matériels de toute nature que l'installation d'une
raffinerie pourra lui procurer.
Nous parlions tout à l'heure de la culture du
tabac. Elle est à peine pratiquée en Indo-Chine.
Et cependant tout se prête à son développement.
Le Tonkin offre un sol admirablement préparé
pour sa propagation ^.
Bien que cultivé et employé par les Annamites
depuis les temps les plus reculés, cette culture est
1. Il s'exporte annuellement de Quang-Ngaï pour plus de
10.000 tonnes de cassonade.
2. Nous devons quelcpies-uns des renseignements qui vont
suivre à l'obligeance de M. Lecacheux, un des rares jeunes colons
indo-chinois qui aient compris la colonisation. Qu'il trouve
ici nos remercîments et nos félicitations.
84 l'indo-chine
rarement pratiquée sur de vastes étendues. En
revanche, il n'y a guère de cultivateur indi-
gène, qui, autour de sa can-hia, n'ait quelques
pieds de café. Cela fait partie du « home »,
comm^/fe buffle, le plant de bananier et d'aré-
Or^ si l'on songe que le tabac peut se cultiver
indifféremment en plaine ou en montagne, à la
condition que le terrain soit riche en humus ou
qu'il contienne des alluvions sablonneuses, des
sables et des graviers perméables, on ne peut que
déplorer l'indifférence dont il a été jusqu'à ce jour
Tobjet.
Fortement disséminée dans toute la Cochin-
chine, la culture du tabac occupe une place plus
grande dans la province de Bien-Hoa, où elle re-
couvre une centaine d'hectares. On le plante le
plus souvent dans les rizières, après la récolte du
riz.
D*après une communication officielle, relative
à la province de Bentré, on peut, dans un hectare
de terrain, planter de 11 à 12.000 pieds de tabac,
qui seront récoltés au bout de 2 mois et 20 ou 25
jours.
Les salaires pour les coolies qui arrosent le
tabac s'élèvent environ à 180 ou 200 piastres.
LA CULTURE DU TABAC 85
Dépenses pour le fumier.
Piastres.
Fumier de tourteaux d'arachides . . 120
Fumier de buffle 12
Fumier de poisson 12
Achat de seaux pour arrosage ... 12
Pépinières 30
Soit une dépense de 366 $ ou 386 $
Récolte, — On cueille en moyenne 8 feuilles
par pied, soit 96.000 feuilles; on les coupe et on
les met en petites tablettes, celles-ci au nombre
d'environ 20.000, qui seront vendues au plus bas
prix, soit p. 03 la tablette. D'où un rendement
de 600 piastres par hectare.
Déduction faite des dépenses, le planteur aura
un bénéfice de 234 piastres environ. Malheureu-
sement, aucun planteur ne plante plus de 3 công
(20 ares).
Au Tonkin, la production est en proportion des
besoins locaux. Elle est, par suite, essentielle-
ment variable. C'est ainsi qu'on a pu la voir, à
certains moments, atteindre des chiffres relative-
ment très élevés, puis, sans qu'on puisse déter-
miner très exactement la cause de variations
aussi brusques, diminuer dans des proportions
considérables.
Dans le Delta, on ne rencontre guère de véri-
m:
86
L INDO-CHINE
tables cultures dignes d'attention, que dans les pro-
vinces de Thaï-Binh, Hai-Duong et Phu-liên. C'est
surtout dans les huyêns de Thuy-anh * et de Tien-
hai, que les indigènes de Thaï-Binh s'adonnent à la
culture du tabac : ils choisissent les terrains sa-
blonneux avoisinant la mer. » Les semis ont lieu
au commencement de la saison sèche et la ré-
colte est faite en juin. Les ventes s'effectuent à
raison de fr. 20 le « cân » (0 kilog. 600) pour
le tabac en feuilles et de fr. 22 pour le tabac
préparé. Les 45.000 habitants du huyên de Vinh-
Bao (Hai-Duong) plantent presque exclusivement
du tabac ; ce dernier huyên est également près de
la mer. La production annuelle serait de
70.000 kilogrammes et la superficie cultivée, de
400 hectares. D'après un état établi par le rési-
*\,
1. La culture du tabac est en particulier très répandue dans
le huyên de Thuy-anh (province de Thaï-Binh), où elle paraît
déjà donner d'excellents résultats. La cueillette s'y fait en
juin. Les producteurs roulent ensuite les feuilles et en font
des sortes de cigares monstres, ayant une longueur de deux
h trois mètres. On laisse le tabac ainsi fermenter pendant
quarante-huit heures environ. Il est ensuite livré à des ou-
vriers spéciaux, loués à la journée, qui le coupent en menues
tranches régulières ; puis, on Tétend sur des claies et on le
laisse exposer au soleil deux ou trois jours. Il ne reste plus
ensuite qu'à le mettre en paquets et à le porter sur les mar-
chés dans des feuilles de bananier. Depuis quelque temps des
ventes importantes sont signalées. Au mois de juillet 1902, le
bureau des douanes de la circonscription a enregistré pour
23.000 kilogrammes de tabac vendu.
LA CULTURE DU TABAC 87
dent, 150 hectares de terrain seraient réservés au
tabac, dans la province de Phu-liên.
La région montagneuse, Backan, Cao-Bang, etc.,
paraît propice au tabac; les plants y sont plus
beaux que dans le Delta et la récolte y est plus
abondante. On cite le cas d*un officier qui étudia
cette culture dans le territoire de Bao-Lac. Il fit fa-
briquer par ses soldats plus de 30.000 cigares. Ces
cigares avaient un bel aspect et revenaient, tous frais
compris, à moins d'un demi-sou pièce. De pareilles
tentatives ont été faites à Bac-kan. Les produits
obtenus rappelaient un peu le tabac de Manille.
L'Annamite adore fumer. On peut dire que
c'est son occupation favorite. Ce fait apparaît
surtout lorsqu'on voyage dans le pays. Partout où
vos porteurs ou vos coolies xhé peuvent s'arrêter,
partout où ils trouvent un abri, leur premier soin
est de confectionner une pipe à Taide d'un mor-
ceau de bambou. L'Annamite aisé, lui, fume pres-
que tout le jour, tantôt la cigarette, tantôt la
pipe à eau^ genre narguilé.
Les cigarettes ont la forme d'un cornet fin et
allongé et sont roulées à l'aide de papier de Chine
que le fumeur déchire au moment de s*en servir.
Cette façon de fumer est surtout en honneur en
Cochinchine. Au Laos, les indigènes confec-
tionnent de grosses cigarettes avec des morceaux
de feuilles de bananier.
88
LINDO-CfflNE
La pipe à eau en usage en Annam et au Tonkin
se compose d'un réservoir percé de deux trous à
sa partie supérieure ; Fun situé au centre reçoit la
pincée de tabac, Tautre placé sur le côté sert à
l'introduction du tuyau d'aspiration constitué gé-
néralement par un bambou de faible diamètre.
En faïence chez le pauvre, la pipe à eau (câi
dieu nuôc) chez le riche a souvent une grande va-
leur ; le réservoir est alors en fer ou en cuivre et
placé dans une boîte ou un cylindre de bois de
gù ou de tréc incrusté de nacre et garni d'argent.
L'Indo-Chine est loin de pouvoir suffire à la
consommation des Annamites. Ceux-ci ont recours
aux tabacs, connus en douane sous le nom de
tabacs chinois. L'importation a été en 1901 de
près de 400.000 kilos estimés à un peu plus d'un
million de francs.
La plus grosse partie du tabac employé en
Indo-Chine, en dehors des tabacs dits chinois,
est d'origine algérienne. La douane accuse une
importation de 236.000 kilos en 1901. Singapoure
et Hong-Kong en expédient également. Les
tabacs venus directement de France représentent
35.428 kilos.
Pourquoi Tlndo-Chine n'arriverait-elle pas à
alimenter elle-même la consommation locale,
puisqu'il est établi que le tabac y vient tout aussi
bien qu'ailleurs?
LA CULTURE DU TABAC 89
C'est moins la culture du tabac, à laquelle l'in-
digène se livrera de lui-même dès qu'il verra qu'il
peut vendre sa récolte, que l'utilisation du pro-
duit qu'il s'agit de poursuivre en Indo-Chine, afin
de pouvoir donner, sur place, aux Européens, un
tabac susceptible de remplacer le tabac d'expor-
tation, dont la qualité, par suite du transport, est
toujours médiocre.
Ce qui a manqué jusqu'ici, ce sont des entre-
prises à base scientifique, en dehors de tout em-
pirisme indigène, et d'après les procédés et les
modes adoptés ailleurs. Car il ne suffit pas de
planter le tabac, de surveiller sa croissance, il
faut encore que le produit soit soumis à des ma-
nipulations conduites scientifiquement. Tout cela
demande des connaissances spéciales, des capitaux
suffisants et une installation appropriée. Des
essais ont actuellement lieu. On ne peut encore
rien en déduire. Ils témoignent en tout cas d'une
activité et d'une recherche qui ne peuvent être
que de bon augure.
Une manufacture dont il sera intéressant de
suivre plus tard le développement est celle de
Phea-Ly, fondée il y a quelques mois. C'est une
société, composée exclusivement d'indigènes et
formée d'actions de 100 piastres. Elle dispose
d'un capital de 2.500 piastres.
On y fabrique des cigares et des cigarettes. Le
90 l'indo-chine
tabac est acheté dans la province de Cho-bo^ aux
Muongs qui le cultivent dans la montagne. La
manufacture emploie déjà une trentaine d'ou-
vriers qui confectionnent par jour 400 cigares et
2.000 cigarettes, pesant ensemble 5 kilogrammes
environ. Actuellement les frais généraux se mon-
tent, par mois, à 150 piastres environ; la société
verse à l'administration des Douanes et Régies
70 piastres de droits et ne vend que pour 60 pias-
tres de cigares et cigarettes. Il est vrai qu'elle n'est
qu'à ses débuts. Le tabac a bon goût, mais les ou-
vriers ne sont pas encore bien habiles et les cigares,
trop serrés et humides, se fument mal. Les ciga-
rettes se vendent plus facilement à la troupe.
La manufacture fabrique également du tabac
pour la pipe indigène, mais elle a à lutter avec
les marchands ambulants qui ont le droit de
transporter et de vendre jusqu'à 10 kilogrammes
sans payer de droits.
Tl serait à souhaiter que de semblables initia-
tives se renouvellent souvent. La culture du tabac
est connue des indigènes depuis des temps très
éloignés et ils n'ont pas attendu notre arri-
vée dans la colonie pour connaître l'utilisation
pratique de la feuille. Il s'agit aujourd'hui,
par des encouragements bien ordonnés, de les
amener à fabriquer, non plus seulement pour
leur propre consommation, mais en vue de satis-
LA CULTURE DU TABAC 91
faire aux besoins toujours croissants du marché.
Ce qu'il faut également leur conseiller dans la
préparation c'est d'opérer une sélection parmi les
tabacs indigènes qui sont toujours mal fermentes
et mal préparés.
Mais la culture indigène elle-même est suscep-
tible d'être améliorée et de donner des feuilles de
meilleur rendement, plus facilement utilisables.
Cette amélioration peut résulter surtout du
mode de fumure et surtout de l'écimage. L'éci-
mage est une opération très délicate, dont Tin-
fluence sur le rendement en qualité et en quantité
est considérable. Le planteur indigène est loin
d'y apporter tous les soins qu'elle réclame. De là
les déconvenues, les mécomptes, les qualités in-
férieures de la feuille. Et toutes les manipulations
ne rendront pas ensuite à celle-ci les qualités
qui lui manquent.
En résumé, la culture du tabac, facilement
abondante et productive dans toute l'Indo-Chine,
pourra donner, le jour oii elle aura été améliorée
et soustraite au traditionalisme indigène, de
très bons résultats. Elle permettra d'alimenter,
d'autre part et dans des conditions relativement
excellentes, toutes les manufactures qui pourront
s'installer dans la colonie.
Préoccupé avant tout du Tonkin, il arrive très
souvent que Ton néglige les cultures de l'Annam,
92 l'indo-chine
également très fertile, car les plaines, nom-
breuses, y sont riches et sillonnées de canaux.
L'Annam central *, en particulier, produit en
abondance la canne à sucre, le poivre, le thé, le
riz, rindigo, le tabac, le café, le coton, la soie, et
un produit que Ton ne rencontre que rarement
ailleurs, la cannelle. On la trouve surtout dans la
haute région et principalement chez les Moïs. Les
Chinois de Tourane vendent aux cultivateurs de
cannelle les produits qu'ils importent de Hong-
Kong, surtout des cotonnades et des outils, et se
font payer en cannelle qu'ils exportent ensuite en
Chine. Il se fait de la sorte un commerce très
actif, ainsi que l'attestent les douanes de Tou-
rane. Les Chinois sont, en effet, très friands de
cannelle, et comme ils en récoltent très peu chez
eux, ils absorbent, à eux seuls, toute celle que
produit TAnnam.
1. n y a, dans rAnnam, différentes régions. Au Nord de
Hué, se trouvent les Mois, peuple à demi-barbare, refoulé sur
les montagnes, et dont Tunique nourriture est le riz. Us sont à
peine vêtus. On les rencontre à environ une heure et demie de
marche du tombeau de Gia-Long. Ils ont été pendant si long-
temps rançonnés et pillés par les Annamites cpi'ils en ont de
nos jours encore conservé la plus grande terreur.
Au Sud, sont les Tiams. On les évalue à à peu près 40.000.
Ils descendraient des premiers Malais établis dans le pays.
Leurs villages se distinguent par Tabsence de toute végétation
autour des habitations. Ce n'est que du sable. Nulle culture.
De peau très blanche, leur figure rappelle celle des Malais.
Mentionnons, au centre, les Sédangs.
LES CULTURES DE l'aNNAM 93
Sur presque toute son étendue, la côte d'Annam
est sablonneuse. Ce sont des dunes. Toute la rade
de Tourane, et presque toute la route terrestre de
Hué à Tourane, par le col des Nuages, est envahie
par le sable. Là, le cocotier pourrait être cultivé
avec profit. Il demande, en effet, un terrain sablon-
neux et pas trop sec. Or, toute cette région est par-
courue par de nombreuses rivières ou cours d'eau,
qui descendent de la chaîne annamitique. Seule-
ment, le cocotier ne rapporte qu'au bout de
7 ou 8 ans, et Ton aura toujours beaucoup de
peine à obtenir des colons qu'ils fassent ainsi des
cultures à long terme. Et cependant, on a calculé
que chaque plant de cocotier rapporterait une
moyenne annuelle de deux piastres. Rien assuré-
ment ne serait plus facile, en Annam, que d'en
couvrir des milliers d'hectares.
Nous ne pouvons pas, sans dépasser le cadre
assigné à cette étude, énumérer toutes les ri-
chesses agricoles de Tin do-Chine susceptibles
d'aider à l'activité économique de ce pays, et dont
l'exploitation pourrait devenir, à bref délai, une
source certaine de profits.
Il convient cependant de dire quelques mots
des arbres à huile, si nombreux, soit au Tonkin,
soit en Annam. Le jour où l'industrie, tant euro-
péenne qu'annamite, se portera du côté des
plantes oléagineuses, aujourd'hui délaissées ou
94 l'indo-chine
uniquement subordonnées aux besoins locaux, une
source nouvelle de profits s'ouvrira pour Tlndo-
Chine. Tel est le cas, en particulier, pour l'huile em-
ployée dans la préparation de la laque, dontl'usage
est si répandu dans tout TExtrême-Orient.
Cette huile est due à un arbre qui croît, à Fétat
spontané, dans les forêts du Tonkin. C'est le Cây-
Trau, ou encore Câu-dâu-Son (arbre à huile pour
la laque), des Annamites, le Yu-Tung ou Tong-
Chou des Chinois, le Wu-Long des Japonais. Le
nom botanique, généralement adopté, est celui
,à!Aleurites cordata. On l'appelle improprement,
parmi les colons du Tonkin, « bancoulier », par
suite d'une confusion facile avec une espèce voi-
sine.
C'est un arbre de taille moyenne, atteignant trois
ou quatre mètres sous branches, à rameaux
étages ascendants, à feuilles longuement pé-
tiolées, éparses, glabres, ondulées. Le limbe est
cordé, généralement divisé en cinq lobes, souvent
moins, quelquefois entier. Il mesure, quand l'arbre
est vigoureux, vingt centimètres de largeur. A son
insertion avec le pétiole se trouvent deux glandes
rouges saillantes. Souvent les jeunes feuilles sont
légèrement teintées de lie de vin, entre les ner-
vures, à la face inférieure, et couleur de rouille à
la face supérieure. Adultes, elles sont d'un vert
glauque en dessous, d'un vert mat en dessus.
LES ARBRES A HUILE 95
Les fleurs apparaissent dans le courant de mars,
quelquefois avant les feuilles ou en même temps.
Elles sont réunies en corymbe à Textrémité des
rameaux. D'un blanc éclatant^ marquées intérieu-
rement de rouge sous chaque onglet, elles at-
teignent deux centimètres de diamètre. Le fruit
ressemble à peu près à celui du noyer : il a les
mêmes dimensions^ mais présente trois valves au
lieu de deux. Sa surface est comme ratatinée. A
rintérieur de la partie qui correspondrait au brou
de la noix, sont trois coques dures, osseuses, cha-
grinées, de la grosseur du pouce, renfermant
chacune une amande oléagineuse. La récolte a
lieu à la fin d'août.
C'est de ces sortes d'amandes grossièrement
pilées, soumises à l'action de la vapeur d'eau et
pressées, que les divers peuples de l'Asie Orien-
tale, par un procédé toujours sensiblement le
même et peu perfectionné, retirent l'huile con-
nue sur les marchés sous le nom de Wood Oil.
C'est en réalité une oléomargarine. Il ne faudrait
pas la confondre avec les oléorésines envoyées
de rinde et de la Malaisie en Europe sous le nom
de Wood Oil, ou huile de bois véritable, et qui
sont extraites du tronc même de certains arbres.
Un nombre relativement important de ces der-
niers existe aussi dans les forêts de l'Indo-Chine
et s'y exploite.
96 L*INDO-CHINE
L'huile de Trâu a beaucoup d'analogie avec
Thuile de bancoulier, connue depuis longtemps
en Europe. Elle est jaunâtre, visqueuse, combus-
tible^ beaucoup plus siccative. On l'emploie en
Extrême-Orient pour enduire les bois et les cor-
dages exposés à Thumidité, les meubles, ou pour
rendre imperméables les papiers, les vêtements,
les récipients en bambou. On Tutilise encore dans
la fabrication du mortier. La cathédrale de Can-
ton, construite toute en pierres de taille, il y a
plus de quarante ans, n'a pas eu d'autre mortier.
Elle n'a jamais bougé . On l'emploie aussi
comme mastic pour fixer les vitres. Les grandes
raies blanches que l'on voit à l'extérieur des
jonques chinoises proviennent du calfatage par ce
mastic.
Mais son principal débouché est la fabrication
des vernis par son mélange avec des composés
métalliques, et surtout avec la laque après
cuisson.
Il n'existe point de marché local, ni pour les
graines, ni pour l'huile à proprement parler. Les
prix varient, à quelques lieues de distance, du
simple au double.
Le Tonkin est très bien placé pour prendre pos-
session de ce marché. Il n'a pour concurrents que
la Chine et le Japon, où l'industrie des oléagineux
demande encore à être perfectionnée.
LES ARBRES A HUILE 97
Un autre arbre à huile se rencontre très fré-
quemment en Indo-Chine. C'est le « bancoulier »
ou « noyer des Moluques », espèce très voisine du
Tràu, mais beaucoup plus répandue. Originaire ,
de rindo-Chine et de la Malaisie, il a été intro- '^
duit sur un grand nombre de points des régions îi
tropicales. On le rencontre dans toutes les co- i
lonies d'Océanie, aux Antilles, dans Tlnde, aux ;'
Mascareignes. C'est le « candle-mit-tree bel- ;
gaum» ou «Indian walnut» des Anglais, leCay-
lai des Annamites, le Shih-leih des Chinois, le
Tairi-Tahu des Taïtiens. j
Le nom scientifique qu'on lui applique le plus
souvent est Aleurites triloba Forst (Syn. Aleu-
rites moluccanu Wild; Telopia perspicua So-
land, etc.).
C'est un arbre de dimensions analogues à celles ;
du précédent. Les rameaux sont fréquemment l
inclinés. Les feuilles sont éparses, souvent à trois
lobes, surtout dans le jeune âge, celui du milieu
plus grand, deltoïde, ou à deux lobes seulement.
Comme celles du Trâu, elles ont une glande de
chaque côté de l'insertion du pétiole. Elles peu-
vent atteindre vingt centimètres de longueur sur
quinze de largeur.
Les fleurs sont blanches, beaucoup plus pe-
tites que dans la première espèce, disposées à
l'extrémité des rameaux. Le fruit se rapproche.
98 l'indo-chine
comme forme et comme dimensions, de celui du
Trâu. Les noix sont à Tintérieur en nombre va-
riable, parfois isolées, le plus souvent par deux
ou cinq.
L'huile est très fluide. Une simple filtration lui
donne une grande limpidité. Elle est de couleur
ambrée, d'une odeur agréable et sans saveur
quand les noix sont fraîches, insoluble dans Tal-
cool, facilement saponifiable. Après cuisson, elle
devient tellement siccative, dit Janneney, qu'elle
sèche entre deux marées, ce qui la fait employer
comme préservatif des navires. Elle brûle avec
une flamme claire et brillante. Ses propriétés sont
nombreuses et ses applications varient à l'infini.
Elle est supérieure à Thuile de colza pour
l'éclairage, et à l'huile de lin au point de vue sic-
catif. On l'emploie dans l'éclairage, la peinture,
l'industrie du savon, la fabrication des vernis. En
Extrême-Orient, elle sert à falsifier l'huile de
Trâu. C'est un purgatif très usité dans les pays de
production. Un chirurgien anglais la regarde
comme un excellent isolant pour les ulcères.
Le tourteau constitue un engrais de premier
ordre. Il renferme de S à 6 pour 100 d'azote et
1,40 à 1,60 d'acide phosphorique.
Les coquilles de noix brûlent en dégageant une
fumée noire épaisse, et une chaleur considérable.
C'est donc un combustible utile à l'occasion. En
LES ARBRES A HUILE 99
vieillissant, abandonnées à elles-mêmes, elles se
couvrent d'efflorescences blanchâtres. Traitées
par Talcool, elles forment un précipité gommeux,
astringent et salé, et laissent se dissoudre une
belle couleur rouge tenace.
Jusqu'à ce jour, on ne connaît d'autres exploi-
tation ou utilisation de ces deux produits, que
celles laissées à l'initiative des indigènes, et
celle-ci est des plus limitées.
En réalité, tout se borne à la confection de la
laque, obtenue par des mélanges, savamment do-
sés, avec le produit du « Cayson » ou arbre à
laquer. Or, on sait que la laque est une spécialité
des pays asiatiques ; elle fait partie des vieux
usages et des habitudes séculaires. Elle se pra-
tique en grand dans toute Tlndo-Chine, et ses
productions varient à Tinfini. Elle sert à protéger
jusqu'aux dents des indigènes. Là encore, il
pourrait y avoir, quelque jour, tout profit pour
la Colonie à encourager cette industrie et à l'ali-
menter par une production plus abondante des
matières qui la font vivre.
Le problème serait double: il faudrait, d'une
part, multiplier les plantations et surveiller la
reproduction; de l'autre, encourager l'installa-
tion de fabriques pour la fabrication de la laque.
L'indigène se sentirait naturellement porté vers
une industrie qui lui appartient pour ainsi dire
100 l'indo-chine
en propre, mais qu'un défaut d'outillage, un
manque d'habitude, une ignorance presque com-
plète a laissé jusqu'à ce jour à l'état à peu près
improductif et rudimentaire. L'utilisation des
arbres à huile est une de celles qui peuvent
donner le plus de résultats positifs et immédiats.
Elle s'inscrit, en première ligne, au programme
de demain.
CHAPITRE II
De la propriété foncière et du régime des concessions. —
La main-d'œuvre indigène. — - Ses qualités, son mode,
— Nécessité d'en assurer la réglementation. — L'Indo-
Chine a moins besoin de colons que de capitaux.
On a longtemps cru, surtout dans les années
qui suivirent la conquête — alors que Tonn^avait
que des connaissances forcément restreintes sur
les ressources du pays, Tétat des propriétés, la
valeur des terres, les modes de culture — que le
moyen le plus sûr d'aider à la colonisation du
pays, à sa mise en valeur, à son exploitation, tant
agricole qu'industrielle, était d'y attirer les Eu-
ropéens, et, pour les retenir dans la Colonie, de
leur concéder ensuite largement, gratuitement,
d'immenses étendues de territoires. Et c'est ainsi
que l'on fut conduit à aliéner en très peu d'an-
102 l'indo-chine
nées, une partie assez considérable du domaine
public : moyennant quoi, pensait-on, la superfi-
cie cultivée dans la Colonie allait décupler, cen-
tupler, sans qu'il en coûtât rien au budget.
Hélas ! L'expérience a prouvé combien ce calcul
répondait peu aux conditions économiques de
rindo-Chine. D'abord, que se passa-t-il ? C'est que
le colon que l'on avait appelé, à qui Ton avait géné-
reusement abandonné des centaines, voire même
des milliers d'hectares, ne sut tout d'abord quel parti
tirer de sa propriété. Il ignorait tout de ses nou-
velles terres, tout jusqu'à leur véritable situation.
Les cartes ne lui donnaient que de vagues indica-
tions, peu susceptibles de contrôle. Quelques-uns
faisaient le voyage pour se rendre compte du ca-
deau que l'administration leur avait fait; d'autres,
plus nombreux, se contentaient des renseignements
incertains que les documents leur donnaient.
Les années passèrent, et les terres ainsi concé-
dées, après un semblant d'exploitation ou un simu-
lacre d'entreprise, restèrent en friche. La plupart y
sont encore, car bien rares sont les colons qui ont
jusqu'ici essayé de profiter du généreux abandon
fait par l'administration, pour débroussailler et cul-
tiver les terres immenses dont ils sont devenus pro-
priétaires. Il est à craindre que ces aliénations
n'aient été ainsi faites au détriment de l'indigène qui
eût pu, peut-être, à la faveur de la tranquillité, les
l'état des terrgs 103
travailler, ou tout au moins en commencer le dé-
frichement. Les chiffres du reste sont éloquents.
A la date du l®"" janvier 1902, la superficie des
terres gratuitement concédées, dans le Tonkin
seul, s'élevait à près de cent quatre-vingt deux
mille hectares, dont plus de cinquante mille
dans la partie la plus riche, la plus dense, le
Delta, Ainsi s'est peu à peu constituée une énorme
propriété européenne, à peu près inactive ou in-
culte, dont le plus sûr résultat paraît être, jus-
qu'à présent, d'entraver la colonisation indigène.
C'est cependant cette colonisation qu'il faudrait
aider et favoriser, parce que c'est celle qui peut,
seule, donner des avantages réels et immédiats.
Alors que les colons européens en Indo-Chine
n'ont pu mettre en culture, dans l'espace de dix
ans, que 27.000 hectares de rizières, veut-on sa-
voir combien les indigènes, en trois ans, ont défri-
ché dans la seule province de Tanan? 70.000 hec-
tares. Citerai-je d'autres exemples? En 1900, on
a concédé aux indigènes 11.000 hectares dans
l'arrondissement de Sadu. A cette heure, ces
terres sont en pleine production.
C'est en J896 que le régime des concessions,
assez incertain et flottant jusqu'alors, fut réelle-
ment réglementé. L'arrêté du 16 août 1896édicta,
en effet, toute une série de stipulations dont on
peut dire que l'esprit, d'un libéralisme impré-
104 l'indo-chine
voyant, tua la lettre parfois plus perspicace. C'est
ainsi qu'on ne peut qu'attribuer aux mesures pré-
vues par Tarrêté précité, en vue de la délimita-
tion des concessions, la plupart des erreurs ou des
abus qui ont été relevés dans ces dernières an-
nées. Il n'est procédé, en effet, qu'à une vérifica-
tion sommaire de l'exactitude des indications
fournies par les pétitionnaires, sur la surface, les
limites et la situation des concessions demandées
(art. 5) ; ce sont les intéressés eux-mêmes qui
marquent sur le sol, d'une façon apparente et
réelle, les limites de leurs concessions (art. 6) ; les
arrêtés de concession définitive ne sont signés
qu'après la production d*un plan en double expé-
dition, mais dont l'exactitude n'est pas nécessaire-
ment contrôlée (art. 10). L'insuffisance de ces
dispositions éclate visiblement. Elle explique que
des terrains n'ayant pas tout d'abord un caractère
domanial, aient pu être primitivement concédés,
puis rétrocédés, après vérification ultérieure. Toute
opération de délimitation devrait, à défaut de ca-
dastre, — dont il serait cependant urgent de s'oc-
cuper, au lieu d'en ajourner constamment la con-
fection sous prétexte que Ton n'a ni l'argent ni le
temps pour l'entreprendre, — s'appuyer sur des
plans aussi exacts et précis que possible, et
cela dans l'intérêt même des concessionnaires,
toujours menacés de se voir expulsés de ter-
l'état des terres 105
rains indûment donnés, et aussi du protectorat,
très souvent exposé, lui aussi, à voir des co-
lons chercher à étendre leurs droits et à empiéter
sur les terrains voisins de leurs concessions. A plu-
sieurs reprises, les indigènes ont protesté contre
ce qu'ils considéraient, non sans raison peut-être,
comme de véritables usurpations. La question
est malheureusement toujours au même point.
Ils ne travaillaient pas leurs terres, répond-
on? C'est vrai. Mais leur avez-vous, en quoi que ce
soit, donné les moyens ou la faculté de les tra-
vailler, leur avez-vous témoigné le moindre appui,
le plus petit encouragement? Et êtes-vous bien
sûrs que si vous les aviez traités avec la faveur
et la générosité que vous avez marquées depuis
aux colons, les indigènes ne seraient pas arrivés à
des résultats autrement probants que ceux que
vous pouvez invoquer à cette heure ?
Les articles 14 et 15, de Tarrêté précité du
18 août 1896, prévoient certaines réserves pour
les voies de communication, les tombeaux, les
constructions affectées au culte. On ne s'explique
pas que rien n'ait été spécifié pour ce qui est des
réserves de terrains indispensables au développe-
ment éventuel des villages indigènes. Cette omis-
sion est profondément regrettable. Resserrés entre
des concessions européennes, les villages sont
fatalement voués à l'immobilité. Nulle expansion
106 l'indo-chine
possible, nulle activité à espérer. C'est Tengour-
dissement certain, c'est la vie éternellement pa-
reille, sans possibilité d'échapper à cette limite
qui l'enserre et Tétouffe.
Cette situation est déjà intenable dans Tétat de
bon voisinage entre européens et indigènes. Que
sera-ce en cas de désaccord^ quand les indigènes,
réduits à la seule possession de leur sol, se trou-
veront isolés au milieu d'une concession fertile,
loin de tous moyens d'approvisionnement, privés
de toutes communications avec le dehors, traqués,
affamés par des voisins chez qui la quasi-certitude
de l'impunité accroît encore les exigences ?
Il y a, heureusement, moyen de pallier aux la-
cunes et aux oublis de l'arrêté organique. Et rare-
ment la prévoyance de l'administration trouvera
une plus belle occasion de s'exercer. Déjà, en intro-
duisant diverses clauses dans les arrêtés qui approu-
vent les concessions provisoires, on a tâché de remé-
dier, dans une certaine mesure, aux inconvénients
delà réglementation existante; les droits des tiers
sont expressément réservés et la colonie ne garantit
nullement les concessionnaires contre les troubles,
évictions ou revendications; les limites des conces-
sions font souvent Pobjet d'une description dé-
taillée ; les réserves des villages sont énumérées
avec soin et des opérations de barrage sont im-
posées aux concessionnaires sous peine de dé-
l'état des terres 107
chéance. Il n'y a^ pour Tinstant, qu'à persévérer
dans cette voie.
D^ailleurs, les difficultés provenant des actes
qui fixent le régime des concessions n'ont qu'une
importance relative en regard de celles que créent
les prétentions manifestées par les concession-
naires à l'occasion de leurs rapports avec les po-
pulations annamites. Ces prétentions ne tendent
à rien moins qu'à faire de chaque concession un
véritable fief sur lequel le colon exercerait une
souveraineté à peu près absolue. On a vu, en
effet, dans maintes circonstances, ceux-ci s'attri-
buer le droit de régler seuls les relations qu'ils
peuvent avoir à entretenir avec les chefs de vil-
lages, ainsi que celui de faire la police sur leurs
terres, au moyen des forces dont ils disposent, de
lever l'impôt et de le verser eux-mêmes au Tré-
sor. En un mot, ils veulent, à l'égal de petits po-
tentats, régenter à leur façon et la vie des indi-
gènes et les biens dont ils sont détenteurs. De
telles exigences sont inadmissibles, et ce serait
aller à Tencontre du but que la France poursuit
en Indo-Chine, que de les tolérer plus longtemps.
Il ne faudrait pas que des exemples comme ceux
que l'on a eu l'occasion de relever se renou-
vellent souvent pour que l'indigène, dont l'ac-
tivité et le zèle se manifestent depuis quelques
années pour le plus grand profit de la colonisa-
108 l'indo-chine
tion, revienne à ses habitudes de méfiance et
d'inertie qui ont longftemps paralysé nos efforts.
Et cette question des rapports à entretenir entre
indigènes et Européens nous amène à aborder un
autre problème, étroitement lié, lui aussi, à l'a-
venir même de llndo-Chine, parce que de sa solu-
tion peut dépendre le développement agricole et
industriel du pays. Nous voulons parler de la
main-d'œuvre. C'est un des sujets les plus con-
troversés et un de ceux qui ont fait couler le plus
d'encre, tant en Indo-Chine qu'en France. Il ne
suffit pas seulement, à cette heure, d'attirer des
colons dans la colonie, de leur concéder des
terres très vastes, de leur donner tous les encou-
ragements et toutes les facilités possibles • La ques-
tion est beaucoup plus haute, et il convient d'avoir
le courage de l'exposer avec franchise. Il faut, à
tout prix, quelles que soient les récriminations que
l'on doive provoquer, se préoccuper sérieusement
du sort de l'indigène. Il faut, en défendant le co-
lon et tout en l'aidant, permettre à l'indigène de
vivre et aussi d'améhorer sa situation. C'est en
s'inspirant de ces idées que Ton arrivera à asso-
cier étroitement l'indigène à notre œuvre de co-
lonisation, et à en faire un des instruments actifs
de notre prospérité et de notre accroissement.
La main-d'œuvre est facile et abondante dans
toute l'Indo-Chine. Elle ne manque ni d'habileté, ni
LA main-d'œuvre 109
d'expérience. Elle est souple et disciplinée. Ce
qu'elle n'a pas, c'est un mode, une réglementation
susceptible de protéger Touvrier et de défendre le
colon. L'un n'est pas exclusif de l'autre. Nous
avons contracté des devoirs de protection vis-à-vis
des populations indigènes, et jamais ils n'auront
une plus belle occasion de se manifester que vis-
à-vis des paysans annamites, si dignes d'intérêt.
Voici comment s'exprimait sur leur compte un
de ceux qui ont vécu au milieu d'eux et qui, ayant
participé à leurs travaux, ont pu les apprécier et
les juger * :
« Habitué à tourner, depuis des siècles, dans
un faible rayon autour de son village (la plupart
ne l'ont jamais quitté), soumis à des lois^ traditions
ou habitudes, non seulement bien définies, mais
encore parfaitement entretenues sous la sévère dis-
cipline du conseil des notables de chaque village,
notre indigène vit presque sans préoccupations :
à date fixe, il ensemence ou il récolte ; il va au mar-
ché ou à la pagode, il paye ses impôts et accomplit
ses prestations : ce sont là ses seuls soucis.
» Mais, faites-le sortir de son village, rompez ce
faisceau d'habitudes et de traditions qui l'enve-
loppe, la nostalgie s'empare de lui et vous le voyez
\. De la main-d'œuvre agricole dans les Colonies^ par M. Du-
chemin, planteur à PhuDoan. -- Paris, Société de Géographie
Commerciale. Page 3.
110 l'indo-chine
dépérir comme un enfant brusquement sevré.
» II est inquiet, il n'aime et ne cherche que le
changement d'occupations jusqu'au jour où vous
apprenez qu'il est parti.
» Toutefois, TAnnamite est respectueux des con-
trats écrits lorsqu'ils sont sanctionnés par l'admi-
nistration. Il reste donc là où il est engagé réguHè-
rement, nous en avons la preuve avec les miliciens
et les tirailleurs tonkinois qui sont astreints à plu-
sieurs années de service parfois loin de leur pro-
vince.
» Je puis assurer que, dans les conditions ac-
tuelles^ alors qu'aucun règlement de main-d'œuvre
n'existe et que les coolies sont libres de faire ce
qu'ils veulent, plus de 95 pour 100 ne restent pas
un an sur la plantation. Je puis aussi affirmer que
sur ceux que l'on a pu conserver deux ans, il y
en a au moins 90 pour 100 qui s'installent, font
venir leur famille et arrivent à faire corps avec
l'exploitation. »
La population de l'Indo-Chine est une popula-
tion essentiellement agricole et le sera longtemps
encore. Il faut donc la traiter comme telle. Sa
densité, extrême en particulier dans le delta, et
dans certains centres, a provoqué une division
presque infinie de la propriété. Si bien que par-
tout, on ne rencontre que le travail familial ou
individuel. C'est donc ce mode de travail qu'il
LA MAIN-D*OEUVRE 111
faut autant que possible employer. Pour les tra-
vaux des champs, il est des plus faciles. Son ex-
pression la plus naturelle est le métayage. Nous
avons dit que c^était la forme à peu près courante
des exploitations agricoles.
Pour rindustrie et les mines, ce mode de tra-
vail ne présente plus les mêmes avantages. Là, il
faut recourir au système des agglomérations et
des grandes équipes. Et cela ne va pas toujours
sans difficulté.
Sortez les indigènes de leur milieu ; vous avez
de grands enfants, un peu déroutés d'abord, mais
qui ne tardent pas, du fait de leur groupement, à
devenir indisciplinés.
Comme des enfants, ils commencent par com-
mettre des fautes légères, puis, peu à peu, ils s'en-
hardissent, et si la punition méritée n'est pas de
suite infligée, c'est peut-être le désordre à bref délai.
Or, dans un différend entre blancs et hommes
de couleur, une loi indigène peut difficilement
être appliquée. Il en résulte que Ton est obligé,
soit de fermer les yeux sur les fautes et délits re-
levés, soit d'en appeler à des lois européennes sou-
vent inapplicables : c'est la ruine de toute disci-
pline chez les ouvriers, de toute sécurité pour les
patrons.
La question est, on le voit, plus délicate qu'elle
n'apparaît tout d'abord. Elle demande, par suite,
112 l'indo-chine
à être étudiée avec soin, à être débattue avec
attention.
La main-d'œuvre indigène et asiatique, — car il
n'y a pas seulement à se préoccuper du travail-
leur annamite, mais encore des recrues chinoises,
très abondantes en Indo-Chine, — est régie par un
arrêté en date du 26 août 1899 dont l'expérience
a fait ressortir l'insuffisance et les lacunes.
Cet arrêté a institué, pour tout travailleur en
service, l'obligation du livret, qui existe du reste
dans presque toutes les colonies anglaises ou
allemandes. Ce procédé d'immatriculation, à dé-
faut d'autres avantages plus réels, a tout au moins
celui d'établir — ce qui n'est pas toujours facile
— l'identité de l'employé, de renseigner sur la
nature du travail à fournir, sur le salaire et son
mode de paiement, sur la régularité du travail.
Il constitue en tout cas, pour l'employé fidèle, le
meilleur des certificats, et pour l'engagiste un
renseignement relativement sûr.
Mais ce que l'arrêté n'a jamais pu, et ne pouvait
stipuler^ c'est la garantie de l'exécution des con-
trats. Il n'est pas rare en effet — et pour qui con-
naît le tempérament des Annamites la chose n*a
rien de surprenant — que l'employé indigène dis-
paraisse subitement d'un atelier, d'une usine ou
d'un champ, abandonnant sans motif le travail
commencé, pour aller s'embaucher là où il y a
LA main-d'œuvre 113
un travail plus rémunérateur ou simplement moins
pénible.
L'engagiste est évidemment désarmé. Comment,
en effet, obtiendra-t-il de son employé qu'il re-
prenne le travail. Les indigènes savent fort bien
qu'on ne peut les y contraindre, et, en grands en-
fants qu'ils sont, insouciants du lendemain, ca-
pricieux et légers, que leur importe le préjudice
qu'ils causent à l'employeur et qu'ils se font aussi à
eux-mêmes. Sur ce point, on ne saurait contester
que les réclamations des colons ou industriels ne
soient fondées. Avec beaucoup déraison, ils de-
mandent que le contrat de travail soit un engage-
ment bilatéral et qu'il y ait une sanction, non illu-
soire ou vaine, mais réelle et efficace, à toute vio-
lation, qu'elle émane de Tengagiste ou de Tengagé.
La formule est à trouver. Quoique délicate, elle
n*est pas impossible. En tout cas, la situation
actuelle, — et sur ce point tout le monde est
d'accord — ne saurait se prolonger sans danger.
Bien qu'elle soit partout abondante, il arrive
parfois que la main-d'œuvre devient d'un recru-
tement difficile, par suite de l'hostilité, plus ou
moins manifeste, des villages. D'où l'utilité d'ins-
tituer, par exemple, certaines primes, dont le
mode resterait à déterminer et qui seraient distri-
buées aux villages qui auraient facilité le recru *
tement de la main-d'œuvre. Si Ton rechercha
-es op*
m l'indo-chine
eflFet, les causes de l'insuccès de Tarrêté du
26 août 1899, on est amené à reconnaître qu'elles
proviennent pour la plupart de Tignorance où se
trouvent les travailleurs des avantages qui leur
sont consentis par les chefs des exploitations agri-
coles ou industrielles. Il n'est pas défendu de
penser que, mieux connus, ces avantages pour-
raient être de nature à vaincre la répugnance, ins-
tinctive, qu'éprouvent les indigènes à se trans-
porter dans certaines rizières éloignées de leur
lieu d'origine. Il y aurait donc lieu de donner la
plus large publicité possible, dans les provinces,
aux offres d'embauchage et aux demandes de
main-d'œuvre émanant des colons ou des indus-
triels. Or qui peut mieux favoriser cette publicité
que les autorités indigènes de la commune et du
canton? Ne sont-elles pas les conseillers auto-
risés et écoutés des indigènes? Aussi ne saurait-
on trop, par de bons procédés, des promesses de
récompense, provoquer le zèle de ces autorités et
les amener à prêter leur concours et leur influence
aux besoins de la colonisation européenne.
L'Indo-Chine étant appelée à bénéficier avant
peu d'une accentuation très sérieuse du mou-
vement industriel, depuis longtemps constaté,
j> la main-d'œuvre indigène, en partie absorbée
d'uu'^tuellement par les grosses entreprises officielles,
comme, à un moment donné, devenir insuffisante.
DU RÔLE DES CAPITAUX IIS
Il y a donc lieu de se préoccuper de rélément
asiatique, et en particulier de Télément chinois,
susceptible de suppléer à la pénurie annamite et de
satisfaire aux demandes de l'industrie privée. Quoi
qu'on fasse, le recrutement de cette main-d'œuvre
ne laisse pas que d'être onéreux, car les taxes
exigées par l'administration chinoise, et les frais
de voyage et de nourriture, sont considérables.
Or, il est de toute nécessité, pour l'instant, d'avoir
de la main-d'œuvre, afin de pouvoir continuer
et développer les travaux privés, parallèlement
au grand essor économique, imprimé à tout le pays,
par les constructions de chemins de fer, de routes
et de canaux. Il importe donc, si l'on ne veut pas
s'exposer à ce que certaines entreprises particu-
lières manquent de bras, et à ce que la main-
d'œuvre annamite, par voie de conséquence,
hausse ses prix, de créer, en particulier au Ton-
kin, — appelé plus immédiatement que TAnnam
et la Cochinchine à bénéficier de l'élan indus-
triel, — un courant de main-d'œuvre chinoise, au-
jourd'hui des plus précaires, malgré la proximité
des frontières de Chine. On pourrait, par exemple,
exonérer de l'impôt de capitation les Chinois qui
viennent en Indo-Chine pour s'embaucher, soit
dans les exploitations agricoles, soit dans les en-
treprises industrielles. L'émigration de cet élé-
ment a soulevé, à maintes reprises, de fortes op*
116 L*INDO-CHINE
positions. D'aucuns veulent y voir un danger so-
cial et politique. Pour eux, les Chinois devien-
dront fatalement des commerçants, et en très peu
de temps passeront du rang d'ouvrier à celui de
boutiquier, détaillant, prêteur à la petite semaine,
exploitant et ruinant FAnnamite, et drainant, en
Chine, tout Targent qu'ils amasseront ainsi sans
profit, ni pour la Colonie, ni pour Tindigène. L'ob-
jection est vraie quant au fond et ces craintes ne
sont pas absolument chimériques. Il n'est pas ce-
pendant démontré que Ton ne puisse parvenir, à
Taide d'une bonne réglementation, à atténuer,
sinon à écarter le danger. Au surplus, la présence
du Chinois peut être à un moment donné très
utile, en ce sens qu'elle peut nous aider à secouer
le peuple annamite de sa torpeur séculaire, de son
insouciance et de sa timidité.
Le Chinois est actif, laborieux, et s'il est âpre
au gain, il est dur à la besogne. L'Annamite le
craint et le redoute. On a partout en Indo-Chine
gardé le souvenir des exactions et des rançons
passées. Aujourd'hui, l'indigène n'est plus isolé.
Il est soutenu et protégé. Il faut qu'il comprenne
qu'il peut et qu'il doit lutter contre le Chinois, et
au contact de celui-ci, il peut lui emprunter quel-
ques-unes de ses qualités. Le Chinois peut être,
en un mot, l'excitant et le modèle.
On évalue à 180.000 environ le nombre des
DU RÔLE DES CAPITAUX 117
Chinois qui sortent, tous les ans, de l'Empire pour
aller travailler au dehors. Sur ce nombre, quel-
ques milliers tout au plus viennent en Indo-Chine.
Tout le reste s'écoule vers Singapoure, Bangkok,
Sumatra, Ceylan, etc. Il y a lieu de se préoccuper
de cette pénurie et de favoriser en Indo-Chine une
émigration qui, répétons-le, bien réglementée et
surveillée *, ne peut, en Tétat actuel de la main-
d'œuvre annamite, que donner d'excellents résul-
tats.
A cette heure, il faut nous préoccuper, non de
faire venir, quelquefois à grands frais, des colons
en Indo-Chine, mais d'y attirer des capitaux.
Tout l'avenir de Tlndo-Chine est là. Il faudrait
que la métropole le comprît et s'en souvînt.
La population annamite est suffisamment dense
pour répondre à tous les besoins. L'argent seul
fait défaut. C'est avec des capitaux que Ton pourra
utiliser ces milliers de bras indigènes, tout prêts
à travailler, et ces richesses naturelles dont ITndo-
Chine pourrait être si prodigue. C'est en intéres-
sant le Français aux entreprises industrielles et
agricoles, en lui montrant qu'à la faveur de l'ab-
1. Une mesure qui paraît avoir réussi dans d'autres colonies
est la création de congrégations chinoises. On pourrait en
provoquer rétablissement, dans chaque agglomération agricole,
industrielle ou minière du Tonkin, avec un chef responsable
vis-à-vis du Protectorat, et l'obligation pour chaque engagé
d 'avoir un livret individuel avec photographie.
118 l'indo-chine
solue sécurité il peut, non plus risquer, mais pla-
cer ses capitaux dans Toeuvre de colonisation qui
commence, que Ton donnera à Tlndo-Chine les
moyens qui, jusqu'à présent, lui ont manqué pour
se lancer dans la voie de la mise en valeur.
L'Indo-Chine fait, en effet, exception à la règle
coloniale commune. Tandis qu'au Soudan, à Ma-
dagascar, sur la côte d'Afrique, — colonies dé-
peuplées — il est indispensable d'y appeler des
colons, de les y installer et de les fixer, le Tonkin,
TAnnam et la Cochinchine ont tout ce qu'il faut
pour s'en passer. Une population 4)rolifique et la-
borieuse y est partout répandue. Que faut-il pour
assurer leur prospérité ? Que les capitaux y pénè-
trent et y soient utilisés. Telle est la formule du
moment. Elle traduit exactement la situation éco-
nomique actuelle de la colonie et exprime la donnée
véritable du problème qui reste à résoudre. Une
ère de richesses incalculables sera la conséquence
immédiate de l'effort capitaliste qui sera tenté.
CHAPITRE m
Comment agrandir le domaine agricole de l'Indo-Chine.
— Les cultures textiles : abaca, ramie, jute, bana-
nier, etc. — Dans quelles conditions sont-elles suscep-
tibles d'exploitation. — Débouchés et utilisations. —
Statistiques concluantes. — L'amiante et ses applica-
tions.
Nous avons vu pour quelles raisons on s'était
pendant longtemps obstiné à ne voir dans l'Indo-
Chine qu'un vaste champ rizicole. Et cela paraissait
si vrai que les colons ou les planteurs avaient à peu
près renoncé à essayer autre chose. Il convient tou-
tefois d'observer que des tentatives sérieuses ont
été récemment faites pour acclimater ou expéri-
menter, soit au Tonkin, soit en Annam, quelques
cultures nouvelles en dehors de celles connues ou
exploitées jusqu'ici. On savait depuis longtemps
que les dififérents sols indo-chinois, sous l'action
des pluies defévrieretdemarsd'unepart, de juil-
let et d'août de Tautre, se fertilisent cependant assez
120 l'indo-chine
pour permettre, par exemple, à l'agriculteur de ten-
ter avec succès la culture des textiles. Il est vrai que
les textiles épuisent rapidement les terrains qui
les nourrissent, et qu'après quelques années de ren-
dement, ceux-ci doivent être abandonnés en ja-
chères ou soumis à des engrais actifs et puissants.
Or, le cultivateur annamite a une telle con-
fiance dans son sol, qu'il ne se sert que rarement
des fumures, les réservant exclusivement pour
son riz. Peut-être, un jour, quand il aura appris à
quels usages le commerce français destine les tex-
tiles, quand il saura quels profits certains il en
peut lui-même retirer, changera-t-il de méthode ?
On verra alors très certainement se produire de
grandes modifications dans les cultures indi-
gènes ; à la richesse déjà notoire du Tonkin pour
sa denrée vitale, s'ajoutera une richesse insoup-
çonnée et plus grande encore, qui proviendra des
cultures, généralisées et suivies, de nombreux tex-
tiles dont les débouchés et l'utilisation iront en se
développant chaque jour.
Et si l'on remarque que le jute, Tabaca, la ramie,
vendus à des prix souvent assez élevés sur les mar-
chés locaux, ne sont pas encore l'objet d'une culture
intensive, on peut facilement augurer d'une plus
grande production, entraînant des profits élevés
et certains avec la quantité, une fois l'indigène au
courant des méthodes susceptibles de restituer au
LA CULTURE DES TEXTILES 121
sol les éléments emportés par les cultures. lien ré-
sultera, par suite, deux grandes sortes de cultures,
d'une part, le riz, produit de consommation qui ne
fera qu'augmenter de valeur par des engrais miné-
raux appropriés et par la sélection des graines ;
d'autre part, des produits d'industrialisation, sans
grande complication dans la manipulation, comme
les textiles.
Car nombreux sont les textiles qui peuvent être
utilement introduits en Indo-Chine, si Ton en juge
par les essais — bien que timides — qui ont
été déjà faits. Nous allons les examiner successi-
vement, en nous servant d'études faites sur place
et de renseignements récemment publiés.
L'Abaca. — L'abaca est une sorte de bananier
originaire des Philippines. Il constitue ce qu'on
appelle communément le chanvre de Manille. C'est
la grande source de revenus de cette ville et c'est
aussi son orgueil. Elle aurait exporté, en 1897,
jusqu'à 231 millions de kilogrammes de chanvre
ou abaca, au prix moyen de fr. 50 le kilog., soit
115 millions de francs. Ce chiffre est assez élo-
quent pour fixer la valeur et l'utilité de l' abaca,
qui paraît devoir, de plus en plus, concurrencer le
chanvre d'Europe. Il explique aussi les efforts
faits par les Philippins pour décourager les ini-
tiatives du dehors et conserver le monopole exclu-
sif de la fabrication. Ce fut à grand peine que le
122 l'indo-ghine
gouvernement de Tlndo-Chine put calmer leurs
méfiances et obtenir quelques plants. L'essai tenté
dans le sol du jardin botanique à Hanoï donna les
meilleurs résultats. On le renouvela sur différents
points. Les conclusions furent partout les mêmes.
L'abaca était acclimaté. Voici ce que dit, à ce su-
jet, un des premiers colons qui aient essayé au
Tonkin la culture de ce textile :
« Plantés dans un très bon sol, meuble, humide
et bien fumé, en quelques mois mes six plants
avaient formé six belles souches d'une belle ve-
nue. Malheureusement l'hiver 91-92 fut assez
rude, il gela presque, et, un beau matin, j'éprou-
vai la désillusion de voir mes abacas complète-
ment rôtis — comme une vigne sous les baisers
d'avril et de la lune rousse.
» J'étais navré et doublement, car je perdais en
même temps un millier de caféiers libérias plan-
tés sur le même terrain, les uns et les autres vic-
times de cette température qui, autant que je me
rappelle, était tombée à 2 degrés.
» Cependant, après quelques jours, je m'aper-
çus que tout n'était pas perdu — pour les abacas
seulement — des rejets naissaient à nouveau ; les
racines du pied étaient donc demeurées indemnes;
seules les feuilles et leurs gaines avaient été im-
pressionnées. Un peu plus tard, je pus faire la
transplantation d'une douzaine de plants, lesquels
LA CULTURE DES TEXTILES 123
me faisaient espérer une rapide multiplication.
» Vint rinondation exceptionnelle de 1893 ; —
nouvelle déception, cette fois plus aiguë : les tiges
furent englouties sous les eaux, mais cette fois
encore les pieds restèrent intacts, et, le temps ai-
dant pour la troisième fois, je vis des rejets s'é-
lever. La leçon était bonne et, doublement ins-
truit, à peine mes abacas ressuscites, je me hâtai
de les transporter sur un terrain mieux doué, à
Tabri des plus hautes eaux et des grands vents du
nord. Là, je n'eus plus d'inconvénients, mes aba-
cas prospérèrent dans des conditions inespérées,
et à l'heure actuelle, après sept ans d'essais et de
soins minutieux, j'ai une plantation qui comporte
un millier de souches, chacune composée de 8 à
12 jets susceptibles d'être isolés; c'est dire qu'il
me faudra encore deux à trois années avant la
période de rapport — ceci pour les administrateurs
qui s'étonnent des insuccès des premiers colons.
« Ainsi, la culture de Tabaca devra être entre-
prise, de préférence, dans les vallées du Fleuve-
Rouge et de la Rivière-Claire, et suivant certaines
limites ; les aléas seront vraisemblablement plus
nombreux au nord et à Test du Tonkin. Les ter-
rains plus spécialement affectés à cette culture
seraient les flancs intérieurs à pentes douces de
collines boisées formant criques, des dépressions
à flanc de coteaux, des gorges de vallonnements,
124 l'indo-chine
lieux où sont entraînés et condensés parles pluies
les humus des crêtes, généralement meubles sur
une profondeur appréciable, conservant parfaite-
ment rhumidité de fond et absorbant facilement
rhumidité de Pair.
» L'abaca peut être repiqué dans sa première
année, quand les rejets ont atteint de 60 à 70 cen-
timètres de hauteur. Sa durée de croissance est
de quatre ans, caractère qui le différencie des
musa comestibles ou sauvages. C'est dans sa
quatrième année qu'il émet son bourgeon termi-
nal et est mûr pour Tindustrie. Ses fibres s'ex-
traient des gaines foliaires qui forment le tronc.
Pour cela, on coupe le tronc au niveau du sol et
au nœud de diffusion de feuilles, on détache suc-
cessivement les feuillets parenchymateux qu'on
presse entre deux cylindres de bois. Ainsi broyés
et réduits, on les fait macérer dans une lessive de
calcaire faible pendant deux ou trois jours, — opé-
ration qui tend à assurer Timputrescibilité de la
fibre, — on les lave ensuite à grande eau pour les
débarrasser d'excès de parenchyme, et on les fait
sécher au soleil. Puis, on les broie à nouveau au
marteau de bois jusqu'à ce que les fibres soient
complètement libres.
» On le voit, ce procédé de décortication, quoi-
que rudimentaire, estsuffisant, et une main-d'œuvre
exercée accomplit ce travail avec une rapidité telle
LA CULTURE DES TEXTILES 125
qu^elle peut dispenser d'une machine coûteuse dans
des plantations peu étendues. C'est cette simplicité
de culture et de décortication qui explique la va-
leur de Tabaca et les gains qu'il procure à ses pro-
ducteurs, débarrassés d'onéreux intermédiaires. »
Ce qu'il faut en définitive, c'est rechercher des
sols forestiers profonds, silico-argileux, le plus
chargés d'humus possible. Laprésencedu fer dans
le sol est un indice de sa fécondité, car les oxydes
de fer tonkinois renferment de l'apatite ou phos-
phate de fer sous forme de cristaux très petits, ca-
chés, disséminés à l'infini.
D'une enquête que nous avons faite, il résulte
que l'exploitation de l'abaca est soumise à des
conditions de culture dont il nous paraît utile
d'énumérer les principales.
Autant que possible, il conviendrait de choisir
des vallonnements boisés à pentes très douces,
baignés, au pied, par des cours d'eau ou thalwegs
humides, les sommets restant boisés après défri-
chement des pentes. Il en résulte que les pentes
sur lesquelles s'étageront les abacas resteront
humides par infiltrations ou endosmose. Une
terre constamment soumise aux réactions sous
l'influence d'une humidité décèle toujours une
force nutritive considérable.
Il y aura lieu aussi, font observer les plan-
teurs déjà éprouvés, de soustraire le plus pos-
126 l'indo-ghine
sible Tabaca au vent du nord, et Ton devra tou-
jours préférer les vallonnements et vallées fermés
à tous les versants situés d'ordinaire trop à
Touest. La tige de Tabaca se flétrit et sèche com-
plètement sous une température maximum de 3
degrés. En raison de cette sensibilité, il sera peut-
être bon d'ombrager ou d'abriter les plantations
à Taide d'arbres à feuillage épais.
il n'y a qu'une saison, assure-t-on, pour
planter le rejet d'abaca, c'est la saison pendant
laquelle Findigène plante lui-même ses bananiers,
c'est-à dire en juillet, août et septembre. Dans
le cas où Ton voudrait semer^ il vaudrait mieux
le faire en février ou mars pour la sécurité de
la germination.
En admettant que l'on puisse trouver de suite
100.000 rejets d'abaca au moment le plus pro-
pice, c'est-à-dire au mois d'août, on peut déter-
miner, après plusieurs expériences renouvelées,
l'évolution que suivrait la plantation et sa situa-
tion au bout de trois ans*. On sait que c'est dans
la troisième année que l'on coupe la tige pour en
extraire les fibres.
En août 1903, 100.000 pieds — à raison de
2.000 par hectare, — exigeront SO hectares.
1. Je dois ces indications à M. Rémery, dont j'ai visité la
plantation à Tuyên-Quang et qui, grâce à une activité inlas-
sable, commence à obtenir d'excellents résultats.
LA CULTURE DES TEXTILES 127
En août 1904, — après multiplication, les rejets
croissant au pied de la tige mère, à raison de 3,
4 ou 5 sur chaque pied et par an, la plantation
comportera en moyenne 350.000 pieds sur 125
hectares.
En août 1905 — un million de pieds sur
lesquels on pourra prélever pour décortication
150.000 tiges, soit les 100.000 de la plantation
initiale, plus 50.000 tiges hâtives. On évalue le
rendement moyen de fibre par tige à 150 grammes,
d'où 10 tiges pour 1 kil. 500 et 150.000 francs
pour 22.500 kilogrammes.
Les prix de Tabaca ont varié beaucoup depuis
quelques années, c'est-à-dire depuis la guerre
hispano-américaine. Au beau temps de la prospé-
rité de Manille, Tabaca était coté 600 francs la
tonne-minimum. La cote a atteint 1.800 francs.
On estime, d'après les derniers rendements, que
le chiffre de 1.000 à 1.200 francs se maintiendra
pendant longtemps. Actuellement, à Manille et à
Hong-Kong, selon des renseignements récents, le
prix serait de 1.500 francs.
Ainsi, en trois années, une exploitation créée
sur le pied de 100.000 tiges, suivant une progres-
sion ascendante rationnelle, rapporterait de 20 à
26.000 francs. Ce rapport augmentant propor-
tionnellement au développement de la plantation,
la dépense initiale peut se décomposer ainsi :
128 l'indo-chine
Piastres. Francs.
Concession et immeubles ... 5 . 000 »
Gestion et frais généraux . . . 5.000»
Achat de 100.000 pieds à Ofr.15. 13.000 »
Défrichement de 50 hectares à
raison de 25 francs par hec-
tare 1.250 »
26 250 » ou 52.500 »
Dépense réduite la seconde an-
née aux frais de gestion et de Francs,
défrichement de 100 francs —
soit 5.000 »
Plus 2.500 ».
Les rejets provenant de la
plantation même 7.500 »
15.000 » 15.000 »
Dépense réduite la troisième
année aux mêmes frais, soit
également 15.000 »>
82.500 »
Duquel il faut déduire le pro-
duit de la vente exposée ci-
dessus 25.000 »
Total 57.500 »
Ainsi, d'après les renseignements donnés après
expérience, en cinq ans, six ans au plus, le capital
de 100.000 francs employé pourrait être amorti,
et la plantation ne serait pas loin de valoir près
d'un million.
Même en tenant compte, d'une part, des dé-
chets et des frais imprévus, et de l'autre de cer-
LÀ CULTURE DES TEXTILES 129
taines exagérations provoquées par un enthou-
siasme généreux, il n'est pas douteux qu'un avenir
des plus séduisants s'ouvre pour les planteurs
d'abaca, possédant les aptitudes et les capitaux
suffisants. Et par aptitudes, il faut entendre les
connaissances que le planteur devra forcément
posséder, non seulement au point de vue théo-
rique, mais, ce qui est plus essentiel, au point de
vue pratique.
Suivant des informations venues de Manille,
on pourrait compter, en bonne terre, 1.800 pieds ^
d'abaca par hectare, et ceux-ci rendraient en
moyenne près de 450 kilogrammes de filasse mar-
chande ou kil. 250 par pied.
Une remarque s'impose ici :
C'est que cette production de 450 kilogrammes
de filasse sèche et peignée d'abaca à l'hectare, ne
classe pas l'abaca parmi les plantes textiles à
gros rendements. En effet, d'après les chiffres
admiis par la Commission permanente des valeurs
en douane de France, — dont les travaux ont par-
tout une si grande autorité, — la production
moyenne du lin en filasse par hectare est de 600 ki-
logrammes, et celle du chanvre, en France, dans
les régions où il est encore cultivé, de 700 kilo-
grammes de filasse à l'hectare (rapport de 1898).
La production du coton (en coton égrené) à Fhec-
tare^ est, il est vrai, beaucoup plus faible: 214 kilo-
9
130 l'indo-chine
grammes, d'après un document officiel américain.
Ce cfiiffre est une moyenne de dix-sept ans d'obser-
vations dans les dix principaux états cotonniers de
rUnion. Pendant cette même période, la moyenne
maxima de production a été de 279 kilogrammes
de coton égrené à l'hectare (Louisiane), et la
moyenne minima de 139 kilogrammes à l'hec-
tare (Alabama). Mais il faut cependant accepter
ces moyennes avec discernement. car, en 1894 par
exemple, la production du Texas a atteint jusqu'à
430 kilogrammes de coton égrené à l'hectare, et
cet état a représenté, cette même année^ 33 pour
100 de la production totale des États-Unis.
Quoi qu'il en soit, et pour en revenir à la cul-
ture de l'abaca en Indo-Chine, ce qui importe le plus
à cette heure, si l'on veut sérieusement s'adonner
à son exploitation, c'est le choix approprié et rai-
sonné du sol. Ici, on se heurtera peut-être au scep-
ticisme et aux haussements d'épaules de ceux
qui, ayant tout tenté en Indo-Chine, ont tout
abandonné. Leur découragement est sombre.
Pensez donc, tout férus de science agronomique,
ils avaient successivement essayé tabac, arrow-
root, riz, café, bancouliers, abaca et jute. Ces
planteurs ont eu tout ce qu'il fallait pour réussir
et développer sérieusement l'agriculture au Ton-
kin; ils ont eu des subventions, des encouragements
et la protection des résidents ; ils ont eu à maintes
LA CULTURE DES TEXTILES I3i
reprises des commandites sérieuses. Eh bien, ces
planteurs ont échoué. Pourquoi ? Parce qu'ils se
sont butés et qu'encore aujourd'hui, ils se butent
aux détails de la science pratique. Ils ignorent ce
qu'est un sol, ils ignorent la culture dans ce qu'elle
a de plus vivant, son adaptation au sol et les soins
que peut exiger une culture, à une heure donnée.
Et ainsi s'expliquent certaines réponses faites à
ceux qui poussent à la colonisation de Tlndo-Chine :
i< Mais, voyons, disent-ils, vous n'y pensez pas;
voyez un tel qui est un maître, vous ne le niez pas,
qui a la science et l'argent depuis de nombreuses
années et qui n'a réussi à rien et ne réussira jamais
à rien. Votre Tonkin est néfaste, son sol est un
engloutisseur de fortunes, comme il a été un en-
gloutisseur d'hommes. Son climat débilite tout,
plantes et hommes... » C'est la vieille légende,
fausse comme toutes les légendes; chiendent de
l'histoire, elle a longtemps fait loi en Indo-Chine.
Grâce à des efforts persistants, et à des tentatives
répétées et concluantes, son règne, à cette heure,
est heureusement près de finir.
Ramie. — La ramie, cultivée un peu partout au
Tonkin, est la ramie blanche iVevé«, très reconnais-
sable au verso blanc d'argent de sa feuille. C'est
une ortie communément appelée ortie de Chine.
Elle se plante par graines ou par transplantation
de rhizomes ou griffes et croît d'autant plus acti-
132 l'indo-chine
vement qu'elle se trouve dans des terres humides
et perméables. Elle affecte alors la forme de touffes
épaisses et les tiges peuvent atteindre jusqu'à
1 mètre 50 de hauteur. On la cultive, en général,
dans toutes les terres plus ou moins amendées ou fu-
mées et de préférence dans les pays intertropicaux,
où Ton peut obtenir trois et parfois quatre coupes
par an, tandis que dans les pays trop secs, on ne peut
faire qu'une ou deux coupes médiocres. Llndo-
Chine présente, à cet égard, des conditions de cul-
ture éminemment favorables*, mais il ne suffît pas
d'assurer la récolte, il faut pouvoir en utiliser
le produit. Et c'est ici où gît toute la difficulté.
On distingue plusieurs procédés de décortication
selon qu'on extrait la fibre en vert, c'est-à-dire sur
place, on qu'on, lui fait subir préalablement di-
verses opérations de rouissage et dégommage.
Décortiquer en lanières, à l'état vert, ou défi-
brer et peigner également à l'état vert sont les
seuls procédés qui puissent être accessibles à l'An-
namite à qui le temps et les instruments man-
quent pour une manutention plus raffinée.
1. Elle est actuellement entreprise sur plusieurs points : dans
la province de Barla en Cochinchine, dans le massif qui sépare
la Sesane de la Srépock, et sur les pentes du plateau des Bolovens
au Laos, — où elle donne lieu à une petite ' exportation sur le
Cambodge — sur plusieurs points de la côte annamite, et au
Tonkin où on la trouve à Tétat sauvage, dans le bassin de la
rivière Noire notamment. Mais nulle part elle n'a encore donné
lieu à une culture intensive pratiquée sur de grands espaces.
LA CULTURE DES TEXTILES 133
D'ailleurs, les filateurs, acheteurs de la matière
première, ont paru d'accord pour reconnaître qu'il
valait encore mieux acheter les lanières ou les
filasses non entièrement dégommées, quitte à se
charger eux-mêmes de cette opération, chacun
ayant sans doute son système particulier de dé-
gommage.
L'industrie de la filature paraît assez dis-
posée à prendre laramie comme matière, sous au
moins deux formes :
1** La lanière dépelliculée, sèche ;
2^ La filasse sèche ou China grass (plus ou
moins dégommée).
Au Bengale, oii la culture de la ramie se pra-
tique dans de très vastes proportions, on est
arrivé à des résultats qui semblent devoir assurer
avant peu à la ramie des débouchés nombreux en
la mettant directement en concurrence avec le
chanvre et le lin, tant pour le rendement en filasse
— qui est de 1.900 kilogrammes par hectare, soit
plus du triple du rendement moyen du lin — que
pour le prix de revient. Il est, en effet, un point
qui mérite de fixer l'attention en France, c'est
l'estimation de ce que peut coûter la pousse de
filasse de ramie au Bengale : 330 francs.
Or cette même filasse est actuellement cotée
600 francs environ la tonne, en Europe. Même
en tenant compte du fret, on voit donc quelle
134 l'indo-ghine
belle marge de bénéfice laisserait cette culture.
Ce prix de 600 francs serait un minimun^ car
il est inférieur au prix moyen de la tonne de lin
peigné russe qui varie de 7 à 900 francs, depuis
trois ans (prix d'importation en France, d'après la
Commission des valeurs en douane). Le prix du
chanvre importé varie de 500 à 700 francs pour
le chanvre broyé ou teille, et, pour le chanvre
peigné, de 1.200 à 1.470 francs la tonne. Ce sont
des points de comparaison qu'il ne faut jamais
perdre de vue dans la question de la ramie. Il
faut ajouter que, jusqu'à présent, le prix infé-
rieur offert pour la ramie (sous forme de china-
grass), par les industriels, est dû aux opérations
complémentaires qu'elle nécessite avant le pei-
gnage et la filature *. Or, depuis de longues
années, des groupes de producteurs et de consom-
mateurs se sont érigés en Congrès de Ramie,
offrant des primes aux inventeurs qui trouveraient
le moyen le plus économique de décortication, et
il semble qu'on ne soit pas éloigné d'avoir atteint
le but.
Nombreuses sont les applications pratiques
qu'offrent la ramie et Tabaca. On écrirait des pages
!.. Autre détail qui a son importance . Le rapport du fil de
lin au fil de ramie est de 6 à 10, c'est-à-dire que : 1 kilogramme
fil de lin n" 10 = 6.000 mètres de longueur ; 1 kilogramme fil
de ramie = 10.000 mètres de longueur.
LA CULTURE DES TEXTILES 135
entières sur Tutilisation de ces deux textiles.
Dirai-je les ressources qu'offre en particulier la
ramie pour la fabrication du linge de table et les
fort beaux tissus que Ton est arrivé à fabriquer?
Les services de table en ramie sont devenus, à
cette heure, un des principaux produits de Canton,
et la quantité débitée, chaque année, est considé-
rable, car la ramie, chacun le sait, a des qualités
de brillant, de finesse, de douceur au toucher, de
ténacité et en même temps d'élasticité qui la ren-
dent supérieure au lin. En outre — et ceci est à
considérer — elle ne pourrit jamais.
Rappellerai-je, d'autre part, les essais heureux
tentés dans la fabrication des cordes, cordages,
sacs, et autres objets d'une résistance et d'une
solidité éprouvées. Si Ton songe que la consom-
mation annuelle du lin et du chanvre treilles,
auxquels la filasse de ramie peut être au moins
partiellement substituée, atteint actuellement,
dans la métropole seule, de 70 à 90.000 tonnes,
représentant de 30 à 65 millions de francs, on voit
quelle source de revenus et quelle activité écono-
mique peut trouver le Tonkin — si bien préparé
par son humidité — dans le développement déci-
sif de la ramie.
Banai^ier sauvage. — Il arrive très souvent que
l'on confond l'abaca avec une sorte de bananier
sauvage, très abondant dans tout le Tonkin^ princi-
136 l'indo-chine
paiement dans les vallées basses et chaudes et
appelé suivant les uns Musa sylvestre. Musa
paradisciaca, suivant les autres. La filasse du ba-
nanier sauvage se rapproche en effet beaucoup,
comme aspect, force de résistance et longueur des
fibres d'abaca. Tout permet donc de croire qu'elle
pourrait être également utilisable pour la fabrica-
tion des cordages.
C'est dans Plnde — où les bananiers sont par-
ticulièrement abondants — que l'attention avait
été attirée sur cet aspect de la culture du bananier
dès 1822. En 1851, à l'Exposition Universelle
de Londres, le D"^ Hunte, de Madras, avait exposé
des échantillons très remarqués de gros cordages,
cordes, ficelles, et de papiers de diverses qualités
fabriqués avec les graines et les feuilles de bana-
nier.
Dans les Antilles, et particulièrement à la Ja-
maïque, l'abondance extraordinaire des bananiers
a fait également étudier la question de son emploi
comme textile.
Il ne semble pas qu'on ait encore trouvé un pro-
cédé véritablement économique d'extraction de
la fibre du bananier, et Ton rapporte qu'il existe
plus de 2 millions de troncs de bananiers inutilisés
annuellement à la Jamaïque.
Néanmoins, la possibilité de tirer parti du bana-
nier, à cepointde vue, reste certainement acquise.
LA CULTURE DES TEXTILES 137
Aux Indes, dans la Péninsule Malaise, dans les
Iles de la Sonde, aux Philippines, à Formose,
dans la Chine méridionale, tous les auteurs et
voyageurs sont unanimes à signaler l'existence
de cordages et d'étoffes de fibres de bananiers-
11 s'agit de savoir si ces produits peuvent être
fabriqués économiquement, de façon à pouvoir
lutter contre les produits similaires connus.
Peut-on décortiquer à bon marché et avec profit ?
A cette heure, toute la question est là. Étant
donné le nombre considérable de bananiers tex-
tiles qui se trouvent partout en Indo-Chine, le
problème vaudrait la peine qu'on l'étudiât. Il peut
y avoir là les éléments d'une industrie textile qui
trouverait, sur place même, de très rapides débou-
chés, ne serait-ce que dans la fabrication des cor-
dages, sacs et même dans celle du papier.
Le Jute. — C'est la grande richesse de Cal-
cutta, qui est le grand marché exportateur de
l'Extrême-Orient *. Il peut devenir demain une
source de profits incalculables pour Tlndo-Chine.
A peu près analogue au chanvre français, le
jute vient très bien dans toutes les terres, soit col-
1. Le marché de Calcutta enregistre, chaque année, un
trafic, sur place, de 1.200.000 à 1.300.000 tonnes métriques de
filasse de jute. 600.000 sont exportées. Le reste est utilisé par
les industries locales.
La moyenne des prix est de 20 à 22 francs les 100 kilo-
grammes .
138 l'indcmîhine
lines, soit rizières, inondées ou un peu arrosées.
Il a avant tout besoin d'humidité. Sa tige atteint
alors une hauteur de 4 m. 50 à 6 mètres.
C'est à tort que Ton a présenté le jute comme
une plante fort épuisante, puisque le bois qu'il
donne contient très peu d'éléments minéraux; il
brûle comme de Tamadou, presque sans laisser
de cendres.
Un terrain bien meuble, maintenu propre, afin
que la plante y développe librement son pivot et
ses racines latérales pourrait à la rigueur fournir,
pendant longtemps, du beau jute, d'autant que
cette culture est sur pied à Tépoque où les pluies,
fréquentes et abondantes, lui apportent quantité
d'éléments de fertilité *.
Mais, comme il s'agit d'obtenir une croissance
très considérable en fort peu de temps, il est pra-
tique de donner des fumures très assimilables :
cendres, fumier frais, engrais humains, qui four-
nissent des rendements maxima.
Pour la fumure, il faut considérer quelle cul-
ture on fera après le jute : s'il s'agit de rizières,
les cendres sont tout indiquées. Au contraire les
fumiers d'étables, de porcheries et les détritus
conviendront pour les terrains que l'on voudrait
1. Notice sur la culture du jute, par M. E. Duchemin. Im-
primerie Gallois, Haïphong, 1903.
LA CULTURE DES TEXTILES 139
planter en patates ou en maïs, alors qu'ils nui-
raient à la rizière.
Le jute pourrait être cultivé dans toutes les pro-
vinces fertilisantes et humides du Bas-Delta. Des
essais ont été faits à Nam-Dint et ont parfaitement
réussi. Il faudrait maintenant les étendre. Les in-
digènes décortiquentle juteà sec en lanières avec
un simple couteau. Les lanières ainsi obtenues sont
très résistantes ; vendues sur les principaux mar-
chés du Tonkin, elles servent à la confection des
hamacs et des cordes.
Sa culture facile et à la portée de tous, son
rendement rapide, sa faculté de résister aux
inondations prolongées, même à celles qui détrui-
sent les cultures de riz, de maïs, de ricin, enfin
ses débouchés presque illimités — fabrication des
sacs, toiles, ficelles, étoffes d'ameublement, tapis,
moquettes, etc., etc. — font du jute une culture
susceptible de contribuer puissamment au déve-
loppement économique du Delta. Ce qui est utili-
sable dans la tige ce sont précisément les fibres
qui, sous une écorce gommeuse, courent dans
toute la longueur. Encore ici, — et chaque fois
qu'il sera question des textiles, on se heurtera
aux mêmes difficultés — il s'agit, avant tout, de
trouver la meilleure méthode pour la décortication
et surtout la décortication à bon marché. Cette
opération est délicate et exige une surveillance de
140 L*INDO-CHINE
tous les instants pendant le séjour des tiges dans
Teau. Le degré de décomposition de la cellulose
varie suivant que l'eau est stagnante ou courante.
Il faut retirer les tiges à temps donné. Un trop
court séjour rendrait plus difficile le défibrage; un
trop long séjour amènerait, par contre, une dé-
composition susceptible d'endommager les fibres.
Or l'indigène, assez insouciant, est mal préparé
pour ce travail qui veut de la patience et du coup
d'œil. Il y aura lieu de faire son apprentissage et
son instruction.
Le jute, cultivé en Indo-Chine, pourrait trouver
un débouché naturel et immédiat dans la fabrica-
tion des sacs grossiers qui servent, en si grand
nombre,'au transport des riz indo-chinois et aussi
des poivres, du coprah, etc., etc. Les sacs em-
ployés aujourd'hui viennent de Calcutta. Les deux
sortes les plus usitées à Saigon, soit le Heavy C de
40 pouces anglais sur 28 et pesant 2 livres un
quart (1 mètre sur m. 70 — 1 kilogramme), et
le Light C (de mdmes dimensions, mais ne pesant
que kil. 906) ont variée sur le marché de Cal-
cutta, en 1900 (au change de 1 roupie = 1 fr. 70)
le Heavy C de 37 à 44 francs les 100 sacs, et le
Light C de 36 à 42 francs.
Ces mêmes qualités valaient, vers le milieu
de 1900, sur le marché de Saigon (Cholon), les
Heavy C — 19 (soit au change de 1 $ = 2 fr. 50 :
LA CULTURE DES TEXTILES 141
47 fr. 50) et les Light C, une piastre de moins
(45 francs) les 100 sacs.
Or, on estime que la Cochinchine et le Cam-
bodge seuls consomment de 10 à 15 millions de
sacs de jute par an. On voit tout de suite les dé-
bouchés locaux qu'aurait déjà l'industrie du jute,
en attendant son expansion forcée au dehors.
Amiante ou Asbeste ou Byssolite ou Coton mi-
néral. — C'est un composé de silicate double de
chaux et de magnésie que l'on trouve en touffes
floconneuses ou en filaments dans les veines de
certains calcaires. Fusible au chalumeau, Tamiante
a un aspect grisâtre à reflets métalliques et s'étire
en fils dans un sens perpendiculaire à son lit.
On le rencontre aussi dans les anfractuosités ro-
cheuses. D'utilisation toute récente, ses applica-
tions sont de plus en plus étendues. On en fait des
mèches incombustibles, des tissus qui résistent
également à la flamme. On le mélange à l'argile
pour donner aux poteries plus de ténacité, et de
la légèreté. Depuis peu, par compression on en a
obtenu des plaques pouvant remplacer les tuiles.
On a trouvé de Tamiante dans les environs de
Cao-Bang, mais la grossièreté de ces minéraux,
dont les fils n'étaient pas suffisamment soyeux,
ni assez longs, n'a pas permis de le faire appré-
cier. Le jour où Ton se livrera à des recherches
sérieuses, on le rencontrera, en abondance, dans
142 l'indo-chine
toute rindo-Chine. Et là encore se trouvera une
source nouvelle de productions pratiques et de
débouchés industriels.
Il résulte de tout ce qui précède que Tlndo-
Chine est éminemment favorable à la culture des
textiles. Reste la question de la décorti cation
des fibres. Évidemment, tout le problème est là
et il ne faut pas s'en dissimuler Fimportance.
Il s'agit, à cette heure, de produire vite et à
bon marché. Il s'agit de donner, d'autre part,
à rindigène le moyen pratique d'utiliser faci-
lement les fibres. Suivant des bruits récem-
ment rapportés de Manille et d'Amérique * , on
aurait trouvé la machine susceptible de donner ce
double résultat. Si cela est, et il n'y a pas de raisons
pour que cela ne soit pas, l'utilisation de la ramie,
de l'abaca et du jute est désormais possible. Or, nul
pays — et sur ce point, la démonstration est au-
jourd'hui acquise — n'est et ne peut être mieux
placé que l'Indo-Chine pour tirer parti de cette
nouvelle invention, qui peut devenir la source
d'une puissante industrie. La matière première
est inépuisable, les débouchés nombreux, les dé-
penses — après celles nécessitées par l'achat et
l'installation de la machine — à peu près nulles,
la main-d'œuvre déjà famiharisée, les profits lar-
1. La Rangoon Gazette^ dans son numéro du 16 mars 1903,
donnait la chose comme im fait certain.
LA CULTURE DES TEXTILES 143
gement rémunérateurs. Rival avantagé de l'Inde,
le Tonkin peut en très peu d'années lui disputer
le marché de TAsie. L'indigène pourra peut-
être se montrer réfractaire au début. On va
heurter ses traditions, ses préjugés, son mode de
travail. Il sera dérangé dans des habitudes où il se
complaît. Mais s'il voit que l'œuvre est durable,
que la tentative est sérieuse, qu'il y atout bénéfice
pour lui à la favoriser, il aura vite fait le sacrifice
de sa mare, où il péchait avec tant d'amour la cre-
vette et où il baignera désormais les fibres de jute.
Car celles-ci, en colorant l'eau, tuent le poisson,
ce qui attriste son âme. Mais s'il réfléchit, par ail-
leurs, qu'il pourra les utiliser sur le champ, grâce
à la machine qui fonctionne à côté, il ne manquera
pas de s'apercevoir qu'elles lui rapporteront, tôt ou
tard, plus que ne pourront jamais lui donner ses
crevettes, si jolies soient-elles. Et ce raisonnement
aura raison de ses dernières faiblesses au souvenir
d'un passé auquel il est resté si longtemps attaché.
CHAPITRE IV
Autre source de richesse pour Tlndo-Ghine. — La culture
du mûrier et l'industrie de la soie. — L'Annam pour-
rait devenir un des premiers pays séricicoles. — Ma-
gnaneries et filatures. — Quelques chiffres. — Possibi-
lités d'avenir.
Après avoir parlé des plantes textiles et avoir
montré le profit industriel qui peut résulter pour
rindo-Chine de leur culture largement pratiquée,
il nous faut dire maintenant quelques mots d'un
problème, en rapports constants avec les précé-
dents, dans l'œuvre économique à réaliser : nous
voulons parler du problème séricicole.
Il ne s'agit pas ici, comme pour les tex-
tiles, de création nouvelle, d'expériences ou
d'essais, mais d'utilisation de ce qui est, de
ce qui a toujours existé, de ce qui a tou-
jours constitué une des richesses premières de la
l'industrie de la soie 145
vieille terre d'Annam. La culture du mûrier et
l'industrie de la soie existent, en effet, en Indo-
Chine depuis des temps immémoriaux. Si Ton en
croit les récits de certains auteurs, lorsqu'après
la guerre de Taï-Son et la disparition des Châms,
les Annamites vinrent occuper ce pays, ils trou-
vèrent des magnaneries et des plantations de mû-
riers toutes installées. D'ailleurs, descendus du
nord^ ils connaissaient déjà l'utilisation du ver à
soie que les Chinois leur avaient sûrement en-
seignée.
Il y a également tout lieu de croire que les
Châms tenaient leurs connaissances des Chinois
eux-mêmes et qu'ils n'avaient fait que mettre en
pratique les leçons qu'ils en avaient reçues.
On n'est pas autrement fixé sur l'origine du ver
à soie qui, au dire des indigènes^ constituerait
une race aborigène. Cette prétention ne paraît
guère soutenable, car si cela était, il serait
étrange qu'il ne se trouve pas une espèce de
ver, particulière au pays, vivant à l'état sau-
vage et que Ton aurait remarqué à la suite des
recherches qui ont été faites. On ne peut en effet,
ranger parmi les vers à soie une chenille spé-
ciale au pays d'Annam, que l'on rencontre dans
les montagnes et qui fournit une espèce de
cocon, tantôt blanc, tantôt jaune. Cet insecte est
beaucoup plus grand que le ver à soie connu, et
10
146 l'indo-chine
son cocon plus volumineux. Il diffère, en outre,
complètement de mœurs, et au lieu de recourir
au mûrier pour se nourrir, se contente de la nour-
riture des feuilles de quelques arbres de forêt.
On est assez disposé à admettre aujourd'hui que
la race annamite a été importée en Chine, il y a
sans doute plusieurs siècles. Les sujets se repro-
duisant toujours entre eux sans que Ton ait ja-
mais songé à établir le moindre croisement,, il en
est résulté un appauvrissement et une dégéné-
rescence presque complète. Il importe, dès lors, si
Ton ne veut pas que la race soit vouée à un dépé-
rissement absolu, de pratiquer de sérieux croise-
ments avec celle de Chine ou du Japon, et aussi
de se livrer à une sélection microscopique sévère,
quelques sacrifices qu'il en doive coûter au début.
Tout Tavenir de Tindustrie séricicole' en Indo-
Chine est là, on l'écrivait dès 1883 *. On ne sau-
rait encore trop le répéter; à cette heure, tout
le problème consiste :
1° A modifier la culture du mûrier et à intro-
duire des espèces nouvelles en arbres.
2^ A régénérer la race actuelle des vers à soie
par un hivernage artificiel bien entendu et paral-
lèlement à ces essais, à faire des croisements avec
d'autres races, en recourant de préférence à des
1. Rapport de M. Ogiiastro à la Chambre de commerce de
Saïgon.
l'industrie de la soie 147'
races nouvelles auxquelles on conserverait leur
caractère par Thivernage artificiel des semences.
Dans toutes les provinces du Tonkin et de FAn-
nam S partout en Indo-Chine, on pratique, à des
degrés différents, il est vrai, la culture du mû-
rier; rélève des vers à soie et le filage des cocons.
On ne peut, pas plus du reste que dans toute
autre évaluation, exactement estimer la produc-
tion de rindo-Chine. On ne pourrait y arriver
qu'en établissant avec précision, pour chaque pro-
vince, la superficie des terrains cultivés en mû-
riers. Et c'est précisément là qu'est la difficulté.
Car les déclarations que Ton peut obtenir à ce
sujet des mandarins, chefs de canton ou de vil-
lages, sont rarement conformes à la réalité. On
peut toutefois, en restant dans le domaine des ap-
proximations, estimer à 35 kilogrammes de soie
grège le rapport d'un hectare de terrain planté de
mûriers. Si l'on avait, par conséquent, le chifi*re
des superficies consacrées à cette culture, il suffi-
rait de le multiplier par 35 pour avoir le rende-
1. A la suite d'une étude plus attentive faite en Annam, on
a pu établir une classification, sinon rigoureuse, du moins ap-
proximative. C'est ainsi qu'on a pu diviser le pays en trois ré-
gions : !• Région à culture très développée : provinces de
Quang-Nam, de Bin-Dinh et de Phu-Yen ; 2'* région à culture
médiocre : provinces de Thanh-Hoa, de Nghé-An. de Quang-
Ngai et de Quang-Diu ; 3» région à la culture presque nulle :
provinces de Ha-Tinh, de Quang-Binh, de Quang-Tri, de Nha-
Trang et de Binh^Thuên»
148 L*INDO-CHINE
ment total pour llndo-Chine de la production de
soie grège. Sur ce point les données précises
manquent encore.
D'après les calculs les plus récents, faits à la
suite des enquêtes les plus minutieuses et du con-
trôle le plus rigoureux, on évalue de 300 à
40Ô.000 kilogrammes la moyenne de soie grège
produite annuellement par TAnnam. Le Tonkin
présente un chiffre sensiblement égal. Et ce ré-
sultat est des plus appréciables si Ton songe que,
d'une part, le mûrier est appauvri par un long
bouturage et une culture précaire et que le ver à
soie, d'autre part, est dégénéré par une reproduc-
tion incessante, faite au hasard, sans méthode et
sans soin.
Le cocon, de forme ovoïde et irrégulière, est
formé d'un tissu lâche, floconneux, sans résis-
tance, rappelant un peu les premiers fils que le
ver français jette autour de lui pour se fixer sur
la bruyère avant de filer son cocon. On estime
qu'il n'a que le quart de la richesse en soie des
cocons communs *.
Que dire aussi de la méthode rudimentaire sui-
vie par les Annamites et des procédés de fabrica-
tion. Ceux-ci filent les cocons dans des bassines à
feu. La soie s'enroule en un petit dévidoir et mal-
1. Son rendement en filature est de 20 à 22 kilogrammes de
cocons frais pour 1 kilogramme de soie grège.
l'industrie de la soie 149
gré ces insuffisances de préparation^ le produit
obtenu est d'assez bonne qualité, la soie d'Annam
en particulier, pour que les petites industries lo^
cales puissent s'en servir. Le marché français tou-
tefois n'a pas encore pu l'utiliser, tant elle est
restée défectueuse * et difficile à manier. Et l'on
ne peut que le regretter, car la France tributaire
de Canton et du Bengale, eût pu être, depuis long-
temps, un débouché tout naturel pour la séricicul-
ture indo-chinoise. Il faut donc agir sans retard,
car l'amélioration de la filature annamite profitera
tout à la fois à la colonie dont elle augmentera la
richesse au point de vue agricole, commercial et
industriel, et à la métropole. Et, en même temps
qu'elle fournira aux négociants français un nou-
veau centre d*achat pour des soies qu'ils sont obli-
gés d'acheter hors de France, elle procurera aux
navires d'Extrême-Orient un complément appré-
ciable de fret de retour.
Il n'existe pas, à proprement parler, de marchés
spéciaux, en Indo-Chine^ pour l'écoulement de la
soie. Quelques rares quantités en cocons, soie grège
ou tissée, apparaissent, de temps à autre, dans quel-
ques centres importants où elles servent d'échange
1. La soie d'Annam est quelquefois comparée à la soie de
Canton. Elle s'en différencie toutefois, car le marché français,
qui absorbe annuellement plus d'un million de kilogrammes
de soie cantonaise, n'a pu encore se décider à accueillir celle
d'Annam.
150 l'indo-chine
avec les produits que les peuplades mois viennent
y livrer. Les Chinois font des achats à domicile,
mais le plus grand nombre de producteurs portent
^eur récolte chez le tisserand, soit pour en obte-
nir des vêtements à leur usage, soit pour lui en
faire sur place la vente ou rechange.
L'exportation est, en réalité, tout entière di-
rigée par les. Chinois, que l'on peut voir, à cer-
taines époques de l'année, parcourir les villages
et acheter, au jour le jour, toutes les quantités,
petites ou grandes, qu'ils rencontrent. Us dirigent
ensuite leurs expéditions soit sur Hong-Kong, soit
sur Saïgon. Une partie toutefois de la soie pro-
duite par les Annamites, en particulier la bourre
de soie et la soie grège, est acheminée sur les
marchés de Binh-Dinh, d'où elle s'écoule rapide-
ment dans tout le pays. Car l'Annamite apprécie
les étoffes de soie et ne recule pas devant le prix.
C'est ainsi que les tisserands, pour répondre au
goût des indigènes, sont arrivés à donner à leurs
étoffes des nuances variées et toujours éclatantes.
Dans bien des cas même, ils n'ont pas hésité à
recourir à l'aniline. Mais les couleurs ne sont pas
fixées. Elles ternissent à la longue et disparaissent
même, soit par l'exposition à la lumière vive du
jour, soit au lessivage. Et, chose plus singulière,
les étoffes de soie fabriquées par les procédés an-
namites ne sont pas susceptibles d'être teintes en
l'industrie de la soie 151
France. Les raisons données sont de deux sortes.
Les uns affirment que ce défaut provient de l'apprêt
spécial usité dans le pays, et sur lequel les mor-
dants chimiques n'ont pas d'action. D'autres l'at-
tribuent à l'insuffisance du dévidage et à la pré-
sence d'enduits glutineux ou gommeux imparfai-
tement enlevés.
Il convient d'observer que toute la soie
que les Annamites produisent et utilisent pour
leurs besoins personnels, n'est pas toute due
au dévidage des cocons. Une grande partie est
d'origine végétale; elle provient, dans ce cas,
du duvet qui enveloppe les graines de cer-
taines plantes d'espèce textile. On en fabrique
également avec la fibre d'aloès. Cette dernière
est la plus répandue. Il est encore un textile,
sorte de sansevière, très commun sur les bords
des chemins et très employé en Annam, où il sert
à la fabrication de certaines soies de qualité très
secondaire, que l'on peut rencontrer dans quel-
ques maisons de Quin-hon.
Il est bon d'ajouter que l'Annam et le Tonkin
réunissent des conditions climatériques qui les
destinent à devenir une des régions les plus
riches de tout l'Extrême-Orient pour la culture du
mûrier et l'éducation des vers. Au Tonkin, en
eflfet, la feuille du mûrier pousse avec une rapi-
dité exceptionnelle et permet de faire quatre et
*52 l'indo-chine
jusqu'à cinq élevages dans la même année. On ne
saurait donc trop s'appliquer à favoriser cette cul-
ture, à améliorer les procédés employés et à per-
fectionner l'outillage. Les magnaneries sont en
effet installées dans des conditions les plus défec-
tueuses. L'Annamite, sur ce point, est tout à fait
inexpérimenté*. Les vers à soie ne sont jamais à
l'abri des variations brusques de température ou
des intempéries de Tair. Il en résulte une grande
incertitude dans la production, dont on ne peut
jamais préjuger l'importance et par conséquent
déterminer la valeur. Quant aux instruments en
usage dans les filatures annamites, ils sont vrai-
ment d'un primitif achevé. La description en a
trop souvent été faite pour qu'il y ait lieu d'y re-
venir, et l'on ne peut que s'étonner des résultats
auxquels, néanmoins, on arrive. Avant tout, il y
aurait à faire l'éducation séricicole de l'indigène.
Il est à craindre que l'on n'ait, sur ce point, à lut-
ter contre des habitudes séculaires, des pro-
cédés invétérés, des préjugés fanatiques et des
résistances locales. Peut-être arriverait-on à
vaincre plus aisément ces difficultés en instituant
des primes qui seraient distribuées à ceux q^ui ap-
porteraient le plus de zèle et d'intelligence dans
l'application des mesures nouvelles, soit à la cul-
1. C'est pour aider à son éducation que le Gouvernement gé-
néral avait créé à Nam-Dinh une magnanerie modèle.
l'industrie de la soie 153
ture des mûriers,soit à Téducation des vers à soie^
soit à Tutilisation des cocons.
Nous n'hésitons pas à le dire. Avec les avan-
tages de toute nature qu'offre Tlndo-Chine pour
le développement de la sériciculture, Tindustrie
de la soie, le jour où des méthodes modernes et
des machines européennes seront mises à la por-
tée des indigènes, peut, par sa production d'abord
et, plus tard^ par sa qualité, devenir une des
grandes manifestations économiques de la colo-
nie. Le terrain est tout préparé. Que nos indus-
triels y apportent leur intelligence, leurs connais-
sances pratiques, l'outillage nécessaire et aussi, et
surtout — devrait-on dire — leurs capitaux, et l'on
verra, en quelques années, le marché indo-chinois
devenir, pour la soie, un des premiers du monde
entier. Tous les éléments de vitalité se trouvent
rassemblés là. Peut-on, en effet, citer un pays où le
mûrier soit aussi répandu et se développe dans de
plus belles conditions et où la main-d'œuvre soit
aussi abondante, en même temps, qu'habile, com-
pétente et à bon marché?
CHAPITRE V
Travaux d'irrigation et d'assèchement. — Difficultés et
controverses. — Comment se pose le problème. — L'ir-
rigation du Delta. — Ses conséquences.
Une des questions les plus controversées à cette
heure est certainement la question des irrigations.
Prônée par les uns^ attaquée par les autres, elle
retient et occupe l'opinion. Elle est loin pourtant
d'être nouvelle. Elle a déjà fait couler des flots
d'encre et, malgré tout ce qu'on en a pu écrire, elle
n'est pas encore près d'être résolue. C'est que
sur ce point, plus peut-être que sur beaucoup
d'autres, apparaît avec la force de l'évidence,
l'erreur — peut-être inévitable — qui a été com-
mise en Indo-Chine, dès le début de notre occu-
pation, et qui est et sera pendant longtemps en-
core, une cause de faiblesse, de gêne et de retard
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 155
dans la grande œuvre de colonisation qui est en-
core à faire.
L'erreur a consisté à vouloir faire trop vite, à
vouloir agir avant de savoir, à décider avant de
connaître, en un mot à vouloir commencer la
mise en valeur, l'appropriation avant qu'un inven-
taire général ait été dressé, avant qu'on ait eu le
temps de parcourir le pays, de se renseigner sur
le genre de vie des habitants^ leurs mœurs, leurs
habitudes, leurs besoins, et aussi sur ce qui exis-
tait déjà et sur le parti que Ton en pouvait tirer
dans l'œuvre à entreprendre.
Deux choses s'imposaient quand nous nous
sommes établis définitivement en Indo-Chine et
auraient dû passer avant toute autre considéra-
tion : dresser la triangulation du pays; établir
un cadastre.
C'étaient là deux instruments indispensables de
pénétration, deux documents de précision et de
certitude, deux bases infaillibles d'édification et
d'amélioration.
C'est pour avoir ajourné ces deux mesures, c'est
pour avoir voulu entreprendre sur-le-champ de
très grands travaux, sans enquête préalable, sans
étude lentement mûrie, sans certitude que Ton ré-
pondait à des besoins ou à des nécessités reconnues,
que cette œuvre, à peine ébauchée, s'est heurtée
à toutes sortes de difficultés, à toutes sortes
156 l'indo-chine
de surprises, qui en ont retardé rachèvement.
Nombreuses sont les raisons données pour
expliquer cette hâte, cette fièvre, devrait-on dire,
et il sera toujours bien difficile à tout esprit im-
partial de ne pas les admettre. Car il ne faut pas
juger le passé sur le présent, ni croire que ce qui
paraît facile et réalisable aujourd'hui Tétait autant
il y a quelques années. Il s'est trouvé un moment
dans rhistoire de Tlndo-Chine française où il a
fallu agir sous peine d*étoufiFer, où il a fallu
prendre des résolutions sans avoir pu au préa-
lable rassembler toutes les données qui eussent
peut-être été nécessaires et que Ton n'a pu obtenir
par la suite. Et dans le domaine des irrigations
plus que partout ailleurs, on a été exposé, par voie
de conséquence, à des tâtonnements et à des à-peu
près.
Lorsqu'on examine le problème des irrigations,
il est bien rare qu'on ne l'envisage pas au point
de vue de Tlndo-Chine tout entière. C'est tomber
dans recueil que nous venons de signaler. Avant
de songer à faire des irrigations ou simplement
d'en étudier la possibilité, il est de toute néces-
sité que Ton connaisse d'abord le nivellement du
pays où l'on veut les entreprendre. Or cette étude
préliminaire n'est pas complètement faite. Elle
demandera encore de longues années. Il faut donc
attendre d'avoir une carte géodésique exacte et
LA QUESTION DES ffiRIGATIONS 157
précise de llndo-Chine pour pouvoir examiner la
question dans son ensemble. A cette heure, la
triangulation seule du Delta est achevée. C'est, on
le sait. Tune des parties les plus riches, les plus
peuplées, les plus fertiles de Tlndo-Chine. Pour
cette partie de la Colonie, le problème peut donc
nettement se poser; c'est celui qu'il faut dès lors
aborder, et circonscrit seulement à la superficie
du Delta, il n'en est pas moins encore des plus
intéressants et des plus importants *.
Le Delta représente, en effet, un million d'hec-
tares, presque tous en rizières. Sa population, très
dense, est concentrée dans les villages, très nom-
breux, disséminés un peu partout, et reliés entre
eux par des digues de différentes largeurs. C'est
1. Tout un programme de travaux hydrauliques avait été
dressé, un moment. Il comportait :
!• Dans les provinces d'Hanoï, Bac-Ninh et Hung-Yen, un
réseau de canaux permettant l'irrigation de plus de 100.000 hec-
tares. La dépense était évaluée à 5 millions de francs.
2° Dans la région de Kep et de Voï, la construction d'un bar-
rage sur le Song-Thuong, à Gaù-son, et d'un canal d'amenée.
Environ pour 675.000 francs.
.3« Dans la province de Vinh-Yen, rétablissement d'un bar-
rage sur le Long Pho-Day, en vue de Tirrigation d'une sur-
face de six mille hectares.
L'exécution de ce programme exigeait un délai de dix ans.
Les dépenses qu'il eût nécessitées devaient être imputées
d'abord sur les fonds de l'emprunt de 80 millions et ensuite
sur les crédits inscrits annuellement au budget.
A la suite d'un examen plus approfondi, il n'a pas paru que
ce programme répondit, en son entier, aux besoins les plus
immédiats.
158 l'indo-chine
aussi la partie la plus arrosée qui soit, grâce
aux fleuves et aux arroyos qui la sillonnent
en tous sens et qui rompent l'inévitable mo-
notonie de l'immensité verte . C'est d'abord
le Fleuve-Rouge, au débit irrégulier et au
cours sinueux, et ses tributaires le Day, le Song-
Calo, le Song-Cau, le Thai-Binh, le Song-Kinh-
Thai, pour ne citer que les plus importants. Il
y a encore le canal des Rapides et tout un
faisceau de rivières transversales, les unes
et les autres bordées de digues, destinées à pro-
téger les rizières contre les crues. La hauteur
de ces digues est essentiellement variable. A
peine élevées dans le bas Delta, elles atteignent
des dimensions considérables dans la partie su-
périeure où il n'est pas rare de voir des crues
s'élever jusqu'à 9 mètres. Toutes les terres sont
orientées suivant une pente générale, mais très
irrégulière, allant du sommet du Delta vers la mer.
Cette pente est^ à vrai dire, à peine sensible, car le
sommet proprement dit, qui est à plus de cent
kilomètres de la mer, est à quelques mètres au-
dessus des hautes mers, 4 ou 5 tout au plus.
C'est plutôt une inclinaison qu'une pente. Ainsi
s'expliquent l'insalubrité des régions basses et les
difficultés rencontrées dans leur assainissement.
Quand on dit que le Delta est une des plus
riches régions de Tlndo-Chine, il faut entendre au
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 159
point de vue de la culture du riz. On y fait,
en eflfet, deux récoltes normales par an. Cette
particularité est devenue une règle dans les
rizières du bas Delta, plus particulièrement
favorisées. Les casiers y sont presque tous
entourés d'arroyos qui, grâce au jeu des ma-
rées, peuvent écouler en été, à basse mer,
le trop-plein de leurs eaux pluviales et profiter,
au contraire, l'hiver des hautes mers pour lais-
ser remonter Teau dans leurs canaux d'alimen-
tation. »
Ces deux récoltes se font à des époques à peu
près invariables. La première a lieu en juin,
c'est la récolte d'hiver. On la désigne sous le nom
de récolte du 5® mois, l'année annamite commen-
çant au mois de lévrier. La seconde se produit
au mois de décembre. C'est la récolte d'été. Elle
est connue sous le nom de récolte du dixième
mois. Celle-ci est de beaucoup la plus importante,
car elle se pratique sans exception non seulement
dans tout le Delta, mais aussi dans toute l'Indo-
Chine. C'est elle qui fait vivre la colonie tout
entière. C'est la grande bienfaitrice. Si elle vient
à faire défaut, soit par suite de [sécheresse, soit
par suite d'inondations, dues à la rupture des
digues, il peut en résulter de véritables catas-
trophes. Car avec le caractère insouciant de l'in-
digène, il ne faut pas compter qu'il fasse jamais
160 l'indo-chine
la moindre réserve. C'est donc, en cas de disette,
une population de plusieurs millions d'êtres hu-
mains, irrémédiablement condamnée à mourir de
faim. Et ces calamités sont d'autant plus épou-
vantables que Ton est impuissant à les prévenir ou
à les arrêter. Peut-on lutter contre la sécheresse
et y a-t-il un moyen d'empêcher le riz, calciné
par un implacable soleil, de pourrir sur la
tige *.
Tout le monde a encore présente à l'esprit, en
Indo-Chine, la terrible disette qui désola l'An-
nam, il y a quelques années à peine et en parti-
culier la province de Quang-Tri. La sécheresse
fut telle que non seulement la récolte du riz,
mais toutes les autres récoltes furent anéanties.
Les habitants réduits à manger des racines tom-
baient d'inanition sur les routes. En vain multi-
plia-t-on les secours, en vain envoya-t-on du riz
des provinces avoisinantes. Rien n'y fit.
La misère était trop grande, le désastre trop
général. Et les habitants, condamnés aune longue
privation, ne moururent plus faute de nourri-
ture, mais des suites d'un jeûne épuisant. Et
longtemps, le voyageur put voir sur les routes
1. Il y aurait toutefois, je n'oserais pas dire un remède,
mais une atténuation à de pareils fléaux, dans rétablissement
de grands magasins de réserve où l'administration, plus pré-
voyante que rindigène lui-môme, lui constituerait des provi-
sions qui empêcheraient la famine;
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 161
suivies par les indigènes, les cadavres des mal-
heureux, lentement terrassés par la mort.
Il est rare que Ton ait à craindre de pareils
désastres pour la récolte du cinquième mois. A
vrai dire, le bas Delta seul la pratique. Elle se
fait par suite sur une moins vaste échelle. Les
terrains bas gardent d'ordinaire pendant la sai-
son sèche hivernale assez d'eau pour que le riz
puisse germer et se développer.
Ainsi donc le Delta peut se diviser en deux
grandes régions : le bas Delta où l'on arrive à
faire la récolte d'hiver et la récolte d'été ; le haut
Delta où Ton ne fait que la récolte d*été.
Il convient d'ajouter une région intermédiaire,
située dans les terrains bas, qui pourrait être
rangée dans la première, si Ton y pouvait égale-
ment pratiquer régulièrement la récolte d'été.
Malheureusement, les terrains sont à cette épo-
que complètement noyés, la plupart des cours
d'eau qui les limitent étant en crue pendant
toute la saison chaude. Il faudrait, d'une part,
de très grands travaux pour faire des assèche-
ments avant la fin des crues, ce qui assurerait la
deuxième récolte et, d'autre part, pour ne pas
compromettre de ce fait la première récolte, y
entreprendre une irrigation d'hiver.
De ce qui précède^ découle l'ensemble de tra-
vaux qu'il y aurait à faire pour obtenir d'un pays,
11
162 l'indo-chine
merveilleusement servi par la nature, le maximum
de rendement.
Le problème se ramène, en effet, à assécher
d'une part et à irriguer de Tautre. Assécher,
comme nous venons de le voir, les terrains bas
inondés Tété afin de leur permettre de faire les
deux récoltes^ celle d'été et celle d'hiver. Irriguer,
en vue d'assurer^ en tout temps, la récolte d'été et
aussi pour favoriser, sur certains points qui ne
peuvent encore l'obtenir, la récolte d'hiver.
Toutefois, pour ce qui est de la régularisation
des deux récoltes annuelles dans tout le Delta, il
résulte d'une enquête très sérieuse faite récem-
ment, que cette conception présenterait plus d'in-
convénients que d'avantages, en ce sens que la
continuité des deux récoltes finirait par appau-
vrir la terre et, finalement, par compromettre la
qualité du riz. Aussi a-t-on à peu près renoncé à
en poursuivre la réalisation. Et c'est sagesse. Du
reste, sur ce point, le sentiment des indigènes,
mieux placés que qui que ce soit pour en bien
juger, n'a jamais varié. Il a toujours été nette-
ment défavorable.
Mais si l'on considère que la récolte d'été est la
seule qui fasse véritablement vivre les populations
du Delta, on est alors amené à reconnaître que
tout l'effort doit porter sur les travaux d'irrigation
qui auront pour effet de régulariser cette récolte.
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 163
Cette régularisation aurait, — si Ton en croit les
dernières études faites — pour résultat certain
une augmentation du cinquième du produit total
de la récolte. Si Ton admet que la récolte
moyenne est de 9 piculs * de paddy par mâu, soit
27 piculs par hectare, et si, d'autre part, on évalue
à une piastre et demie le prix moyen du picul,
on voit que l'augmentation du rendement par hec-
tare serait de :
1/5 27 X 1,50 = 8 $ 10 = 16 fr. 20.
Le problème est cependant beaucoup plus com-
plexe qu'il ne paraît tout d'abord, et il ne faut
pas perdre de vue que, dans la grande générahté,
si Ton ne veut pas aggraver la situation des
terrains bas, ces travaux d'irrigation devront être
complétés, — il vaudrait mieux dire précédés, —
surtout lorsqu'ils intéresseront une vaste surface,
par des travaux de dessèchement permettant
d'évacuer l'eau en excès.
Nombreux sont les projets qui ont été présen-
tés en ces dernières années, en vue d'arriver à
assurer, par des irrigations partielles, la régulari-
sation de la principale récolte du Delta, c'est-à-
dire, en l'espèce, du Haut Delta.
1. Un arrêté du gouverneur général a récemment fixé à
80 kilos la représentation légale du picul.
164 l'indo-chine
Les uns ont, par exemple, proposé d'établir de
grands barrages au sommet du Delta afin de per-
mettre la distribution, partout où besoin serait, des
eaux du Fleuve Rouge; d'autres, d'alimenter les
réseaux de canaux à Taide de machines élévatoires,
placées sur différents points du même fleuve. Des
compagnies concessionnaires furent, un instant,
instituées. Des essais furent même tentés. L'échec
fut à peu près général. A cette heure, le pro-
blème reste entier. Certes, il est singulièrement
délicat et compliqué et ce qui paraît aisé en
théorie offre, — il faut bien en convenir, — dès
que Ton entre dans le domaine pratique, de sin-
gulières difficultés.
Il est une idée en tout cas qui semble aujour-
d'hui irrémédiablement condamnée, c'est celle qui
consistait à vouloir faire payer par les indigènes,
sous forme de redevance, Teau qui leur aurait
été distribuée. Il faut vraiment ne pas connaître le
caractère du paysan annamite pour s'imaginer
qu'il paiera quoi que ce soit pour avoir de l'eau.
A-t-il besoin de cette eau? « Non, » répond-il.
Comment alors espérer la lui faire payer? Comme
il ne se plaint pas de manquer d'eau, que son opti-
misme ne se dément jamais, il ne demande, à vrai
dire, qu'à cultiver et à arroser comme ses ancêtres
ont fait, comme lui-même a fait jusqu'à ce jour.
Il y a donc lieu de trouver autre chose, car sur
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 165
ce terrain, il ne faut pas compter que l'indigène
entende jamais raison. Une suggestion a été pré-
sentée dans ces derniers temps.
Pourquoi, s'est-on demandé, ne ferait-on pas
participer les indigènes aux dépenses à l'aide de
l'impôt foncier, variable, on le sait, suivant la
classe des terrains, et que l'on augmenterait par
un déclassement raisonné des rizières irriguées'.
D'une façon générale, on peut dire que les Anna-
mites sont décidément hostiles aux travaux d'irri-
gation. Consultés sur leur utilité, ils répondraient
négativement, avec un ensemble parfait, d'abord
par insouciance, puis aussi par peur d'avoir fina-
lement à payer une dépense dont l'importance
ne leur échappe pas. On donne quelquefois une
autre raison à leur opposition, la superstition,
entretenue par les pronostics testamentaires du
1. C'est ce qui a été fait aux Indes et en Egypte. Le rap-
port de l'impôt foncier, comprenant les taxes d'irrigation pour
l'usage libre de l'eau des canaux et du produit brut moyen
des terres, est :
INDES NÉERLANDAISES (Java et Madoera).
Pour toutes les cultures 20 pour 100
HAUTE et BASSE EGYPTE
Pour toutes les cultures (non compris les
frais d'élévation mécanique de l'eau). 13 pour 100
INDES ANGLAISES (Madras).
Pour les rizières 13,6 pour 100
TONKiN (Delta).
Pour les rizières 4,15 pour 100
166 l'indo-chine
troisième régent d'Annam, Nguyên-Trong-Hiêp,
divulguée à sa mort par ses fils.
Quoi qu'il en soit, et quelque hostilité que té-
moignent les Annamites, le problème ne peut pas
être indéfiniment retardé. Il faut sortir de Tindé-
cision et faire quelque chose. Convient-il de re-
noncer au projet de grandes irrigations portant
sur tout le Delta, ou vaut-il mieux s'en tenir à
des travaux de dessèchement, à une utilisation
raisonnée de certains cours d'eau ou rivières ? Si
Ton considère la difficulté d'une entreprise d'en-
semble et les sommes considérables qu'il faudrait
lui consacrer, la deuxième solution paraît préfé-
rable. Puisque nous avons limité Tefifort à faire à
la régularisation de la récolte d'été, si même cette
régularisation n'était assurée que sur une fraction
tant soit peu notable du pays, l'effort obtenu se-
rait suffisant pour compenser les mauvais effets
que pourrait donner une sécheresse sur d'autres
parties.
Au surplus, il ne faut pas oublier que dans le
Tonkin toutes les terres produisent largement; il
n'y aurait par suite qu'à améliorer ce qui existe.
En revanche, il y a ailleurs des régions — la
plaine des Joncs par exemple — oîi tout est in-
culte. Nulle part plus que là les travaux d'assè-
chement et d'irrigation ne seraient justifiés. Et
rien ne serait plus utile ni plus urgent. Là, du
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 167
moins, il n'y aurait pas à craindre la résistance
des indigènes comme dans le Delta où, étant tou-
jours assurés de leurs récoltes, ils n'ont rien à
attendre des travaux d'assèchement.
Un premier pas vient d'être fait avec le canal
de Xano, dont l'inauguration a eu lieu au mois de
juillet dernier. Ce canal est le plus important tra-
vail de ce genre qui ait été exécuté dans la colonie
depuis l'origine de l'occupation française. Sa lon-
gueur est de quarante kilomètres. Il mesure une
largeur de trente mètres sur une profondeur
de près de cinq mètres. Les déblais se sont
élevés à 5.400.000 mètres cubes et la dépense
à 3.800.000 francs. Les travaux ont duré deux
ans et demi. Il relie un des bras du Mékong, le
Bassac, par l'intermédiaire de son affluent, le
Rach-Cantho, à Tune de ces rivières de Cochin-
chine qui sont presque des fleuves, le Rach-Cai-
lon. Il va rapprocher d'une douzaine d'heures,
tout au plus, de Saigon, Rach-Gia, le chef-lieu de
la riche province de ce nom.
Le canal de Xano n'est pas seulement une voie
de communication, un organe de transport. Il est
encore, disons mieux, il est surtout, un canal
d'assèchement.
Dans la vaste presqu'île que forment, au sud
de Saigon, les provinces de Soc-Trang, de Bac-
Lieu, de Cantho et une partie de celles de Mytho
i 68 l'indo-chine
et de Tan-An, s'étend une vaste plaine. C'est la
plaine des Joncs dont nous parlions plus haut.
Elle vaut, en superficie, plus du tiers du Delta.
Mais les terres en sont entièrement impropres à la
culture, tant par suite des eaux stagnantes qui les
recouvrent que par les principes alcalins qu'elles
contiennent. Pour transformer ces plaines stériles
et lamentables en belles et grasses rizières, il
suffit — ainsi que l'expérience Ta démontré —
d'y creuser des canaux pour ouvrir une issue aux
eaux qui les recouvrent. Les pluies, si fréquentes
en Indo-Chine pendant une partie de Tannée,
lavent ensuite les terres et les dépouillent, par
une action continue, de tout élément nuisible. On
assiste alors à un spectacle singulier. Les indi-
gènes, attirés par un défrichement facile et
exceptionnellement rémunérateur, s'établissent
en nombre sur les terres nouvellement conquises.
Le vert des rizières s'étend, comme une marée
montante, sur les vastes étendues hier encore
mornes et désolées.
Le canal de Xano, sur toute sa longueur, tra-
verse la plaine des Joncs. Il faut qu'il devienne
désormais l'artère principale d'où partiront, pour
créer au loin dans les provinces, de nouvelles
richesses, les canaux secondaires creusés par la
main-d'œuvre prestataire, aidée des contributions
des budgets provinciaux.
LA QUESTION DES IRRIGATIONS 169
Le problème en tous cas est aujourd'hui posé.
Il faut se décider et choisir. Ce ne sont pas les
projets qui manquent. Peut-être même y en
a-t-iltrop. Et si Ton considère le peu de résul-
tats pratiques auxquels on est arrivé jusqu'ici,
on peut se demander s'il n'y aurait pas lieu
de se souvenir davantage de ce qui a été
fait dans cet ordre d'idées à Java, où d'admi-
rables irrigations ont porté partout l'abondance et
la fécondité. Pourquoi l'administration de l'Indo-
Chine ne se renseignerait-elle pas auprès des in-
génieurs hollandais et n'utiliserait-elle pas, le
moment venu, pour le plus grand profit de la Co-
lonie, l'expérience qu'ils ne pourraient manquer
de lui apporter.
En attendant, des irrigations partielles ont été
projetées, les plans sont faits. Allons toujours au
plus pressé et exécutons d'abord ces premiers
travaux. On pourrait ainsi, soit dans certaines
régions du Tonkin, soit dans les vastes et riches
plaines de l'Annam, en tirant partie des cours
d'eau qui partout abondent, commencer cer-
taines irrigations qui augmenteraient encore la
force productive de ces régions, en même temps
qu'en Cochinchine, on poursuivrait l'assèchement
de la plaine des Joncs.
Certes, ce ne sont pas là des plans grandioses,
mais ils n'en sont peut-être que plus pratiques, et
170 l/iNDO-CHINE
si, d'une part, ils ne grèvent pas le budget, de
l'autre, on peut être sûr qu'ils apporteront, par-
tout avec eux, un peu plus de bien-être et un
peu plus d'activité.
CHAPITRE VI
Matières premières et richesses minières. — Causes des
retards apportés dans leur mise en valeur. — Ce qu'il
y aurait à faire. — Gîtes métallifères et charbonnages.
— Leur importance et leur rôle économique. — Vaste
champ ouvert à l'industrie et aux exploitations agri-
coles. — L'avenir économique du pays servi par les
qualités propres à la race annamite.
Llndo-Chine est-elle un pays minier? Cette
question, agitée déjà depuis plusieurs années, est
aujourd'hui résolue, et résolue par raffîrmative.
Toutes les recherches faites, toutes les expériences
entreprises, toutes les enquêtes ordonnées, ont
abouti au même résultat : à savoir que le sous-sol
indo-chinois renfermait de très nombreux et de
très importants gisements miniers. Bien avant
notre installation en Indo-Chine, ces ressources
minières étaient connues et exploitées, mais soit
172 l'indo-chine
que les mines fussent dans les mains des indi-
gènes, ou dans celles des Chinois, les travaux
entrepris ou les fouilles opérées ne permettaient
pas d'arriver, en dépit de quelques cas isolés ou
d'exemples accidentels, à des conclusions bien
nettes. Il semble bien, toutefois, que les premiers
détenteurs de ces mines, dans le champ très res-
treint de leur exploitation, en aient su retirer de
très grands profits, et Ton cite tel Chinois ou tel
Annamite qui réalisèrent, de ce fait, de véritables
fortunes. Si Ton en croit un vieux document re-
latif à la situation minière * de TEmpire d'Annam,
vers la seconde moitié du siècle dernier, le
nombre de mines, alors connues et exploitées, s'é-
levait à cette époque à cent trente- quatre, pouvant
se répartir de la façon suivante :
Mines d'or 34
.— de fer 38
— de nitre 20
— d'argent 14
— de cuivre 9
— de zinc 7
— de plomb 8
— de soufre 2
— de mercure 1
— d'étain 1
Total 134
1. Ce document était rédigé en chinois. On le découvrit après
la prise delà citadelle d*Hanoï. Traduit en français, il fut pu-
blié il y a un peu plus de 20 ans.
RICHESSES MINIERES 173
Dans cette énumération ne figurent aucune des
mines de charbon, de manganèse, et d'antimoine,
dont Texistence est aujourd'hui reconnue, et qui
devaient certainement l'être aussi à Tépoque où
ce document fut rédigé.
11 semble que, suivant en cela le mouvement
qui porte tous les peuples, les Annamites aient,
tout au début de leurs recherches, dirigé leurs in-
vestigations du côté des gisements aurifères. On
en mit à découvert sur tous les points, à peu
près, de Tempire, mais pour beaucoup tout se
borna à de simples constatations. Le nombre
des gîtes où Teffort fut suivi et continué est allé
en diminuant chaque année. Il y a plusieurs rai-
sons à ce fait. La première c'est que, quel que
soit le bon marché de la main-d'œuvre, un travail
comme celui-là exige des dépenses assez élevées
et une première mise de fonds devant laquelle
beaucoup reculent. La seconde, c'est que, jusque
dans ces derniers temps, les moyens de transport
ou d'accès n'existaient pas ou laissaient fort à
désirer. Cela occasionnait, par suite, un surcroît
de charges, de dépenses ou d'aléas qui faisaient
hésiter les plus résolus. Suivant un relevé officiel
publié en 1885, on comptait à cette époque seize
mines d'or encore exploitées. « Le revenu de
l'une d'elles, appelée Thanh-Da, dans la province
de Cao-Bang, nous est inconnu. Les quinze autres
174 l'indo-chine
rapportaient au Gouvernement Annamite, sans
compter l'impôt de capitation des mineurs, cent
cinquante-trois onces d'or. Deux de ces mines
étaient exploitées en régie. Elles étaient situées :
une à Bac-Ninh; cinq à Thaï-Nguyen; trois à
Lang-Son ; quatre à Cao-Bang ; deux à Hung-Hoa
et quatre à Tuyen-Quang. »
La plupart de ces exploitations, depuis lors,
ont été abandonnées ou délaissées. Un instant, on
a pensé qu'il y aurait quelque profit à recueillir les
paillettes charriées, soit par le Fleuve Rouge, soit
parla Rivière Claire, que Ton disait très riches en
alluvions aurifères. Mais les tentatives n'ont pas
répondu aux efforts. Faute de capitaux, toutes les
exploitations jadis dirigées parles Chinois, et où
des villages entiers parfois constituaient la main-
d'œuvre nécessaire pour assurer le travail,
passent, une à une, à l'état de souvenirs. Une
exception doit être faite en faveur de la mine de
Bong-Miù, située non loin de Fai-Foo, un petit
port de la côte d'Annam, voisin de Tourane.
D'après certains renseignements recueillis sur
place, au cours de cette année, cette exploitation
serait actuellement en pleine activité. Voici, en
effet, ce que l'on peut lire dans un document ré-
cemment paru : « Un premier système de filons
orientés S.-O. à N.-E. est constitué par plusieurs
couches minéralisées, dont l'épaisseur varie de
RICHESSES MINIERES 175
m. 80 à 2 mètres. Ce sont des quartz aurifères
imprégnés de pyrite de fer et de galène, égale-
ment aurifères. Un second système de filons croi-
seurs des premiers est orienté N.-O. à S.-E.^ mais
cette fois avec présence d'arsenic. La société con-
cessionnaire a commencé l'exploitation des filons
non arsenicaux en 1896. »
« Elle a entrepris, au moyen d'une usine d'es-
sai, le traitement complet des minerais par la
cyanuration, et les résultats qu'elle a obtenus jus-
qu'à ce jour ont été assez satisfaisants pour
qu'elle ait jugé utile d'augmenter l'importance de
son usine de façon à pouvoir arriver à traiter,
d'ici la fin de cette année, SO à 60 tonnes de mi-
nerai par jour, soit de 18 à 20.000 tonnes
par an. »
« La teneur moyenne de ces minerais est d'en-
viron 14 grammes d'or à la tonne avec une pro-
portion double d'argent, et les frais d'exploitation
(y compris l'extraction, le roulage, le transport
du minerai à l'usine, son traitement complet et
tous les frais généraux) ne dépassent guère
15 francs par tonne. En admettant le chiffre très
modeste de 3 francs pour le gramme d'or, on voit
que ce chiffre de 15 francs par tonne correspond à
une extraction de 5 grammes d'or par tonne, c'est-
à-dire à peine 36 pour 100 de l'or contenu. Les
essais les moins favorables ont accusé un rende-
176 l'indo-chine
ment de plus de 53 pour 100, et l'on compte
qu'avec les nouvelles installations et les différentes
modifications que l'on apporte au traitement chi-
mique du minerai, ce rendement s'élèvera en
marche normale à 80 pour 100. »
« Le tonnage du minerai en vue, prêt à abattre
tout de suite, a été estimé à plus de 745.000
tonnes; c'est démontrer pleinement la viabilité
de cette entreprise. »
Voilà donc une première expérience, tentée il
y a près de sept ans, et qui paraît devoir donner
avant peu des résultats sérieux.
Combien il est regrettable qu'il n'y ait pas eu
d'autres essais, et surtout que l'on n'ait pas cher-
ché, en présence des débouchés métallurgiques
qu'offre notre colonie asiatique, à faire quelque
effort du côté des mines de fer si abondantes, si
riches, sur toute la surface indo-chinoise. On
objectera la nécessité d'une mise de fonds parfois
très élevée, et aussi le danger que peut rencontrer
rindustrie métallurgique métropolitaine à trop fa-
voriser l'éclosion, en Indo-Chine, d'établissements
qui seraient comme autant de concurrents préjudi-
ciables. L'argument ne résiste pas à une simple
analyse des faits. En présence du développement
que prend en ludo-Chine la construction de voies
ferrées^ de ponts, d'oeuvres d'art de toute nature,
quelle que soit la prospérité des établissements mé-
RICHESSES MINIÈRES 177
tallurgiques qui pourraient s'y monter, il faut bien
se dire que jamais ils ne pourront suffire aux be-
soins de la consommation locale. On devra tou-
jours recourir à la métropole. D'autre part, n'y a-t-il
pas là, aux portes mêmes de llndo-Chine, un im-
mense empire, la Chine, aux mines improductives
parce qu'inexploitées, qui lui aussi est en plein dé-
veloppement économique et qui absorbera, pour la
construction des immenses lignes de chemins de
fer projetées, bien au delà de ce que l'industrie
française pourra jamais lui fournir. Les craintes
inspirées par la prétendue concurrence indo-chi
noise ne doivent donc, et cela pour de très longues
années encore, retenir nos industriels.
Il convient d'ajouter qu'en ce qui concerne en
particulier la construction du réseau indo-chinois,
le fret est tellement onéreux qu'il y aurait un
avantage indiscutable à produire sur place au heu
d'importer, d'autant plus que le charbon peut se
trouver également sur place et à bon compte. Il
est, en outre, établi que les moyens de transport
vont, en Indo-Chine, en s'améliorant chaque
jour, tant au point de vue de la rapidité qu'au
point de vue du prix, et que la batellerie peut en-
core rendre de très réels services. Enfin, il existe
de très nombreuses mines de fer, dont la richesse
est suffisamment établie, qui se trouvent aujour-
d'hui dans des conditions extrêmement favorables
12
178 l'indo-chine
à rexploitation. La main-d'œuvre est là toute
prête, abondante, disciplinée et à très bas prix.
C'est dire qu'on ne peut trouver des circonstances
véritablement plus encourageantes, et qui sollici-
tent plus sérieusement l'attention de nos indus-
triels.
Les mêmes observations s'appliquent aux mines
de cuivre, très nombreuses, très riches, mais éga-
lement abandonnées ou laissées aux mains des
indigènes qui s'y livrent à une exploitation rudi-
mentaire, et malgré tout rémunératrice. Elles
abondent en particulier dans tout le bassin de la
Rivière Noire, et elles ont longtemps enrichi les
mandarins et les Chinois qui y étaient établis. Les
plus importantes sont, dans cette région, celles
de Van Say et de Van Linh, qui sont loin d'être
épuisées, bien qu'elles aient été très longtemps
exploitées. Il résulte des renseignements qui ont
été recueillis à différentes reprises, que presque
tous les gîtes connus sont extrêmement riches, et
que rien ne s'opposerait, si un essor sérieux
venait à se manifester, à songer à exploiter les
minerais en Europe, au cas où, faute de capitaux
suffisants, il ne serait pas possible d'installer des
usines sur place.
Le gisement de Van Say, au dire des ingénieurs
qui y sont venus, « est formé par une série de
filons deO m. 80 al m. 50 d'épaisseur, orientés
RICHESSES MINIÈRES 179
S. S.-O. à N. N.-E. et que Ton a reconnus sur
une très grande étendue. Dans les parties non
décomposées, les différentes sortes de minerais
reproduisent à peu près toute la série des sul-
fures , : chalcopyrite, érubescite ou phillipsite,
chalcosine; dans les parties plus exposées aux
agents externes, les minerais ont subi un com-
mencement d'altération, qui a pu être plus ou
moins profonde, et qui a peu à peu transformé
ces sulfures en oxyde ou en carbonates ; ceux que
Ton rencontre le plus fréquemment sont : la
cuprite, la malachite et Tazurite. — Dans les par-
ties tout à fait décomposées, au contraire, le
cuivre a fini par disparaître presque complètement,
pour ne laisser que du fer sous forme d'une ocre
jaune très friable, ou sous la forme d'un cha-
peau de fer stérile qui couvre les parties superfi-
cielles des filons, sur une épaisseurde 10 à 30 cen-
timètres, et dont on trouve des débris à chaque
pas.
» La gangue du minerai est constituée par des
schistes plus ou moins ocreux, du quartz parfois
aurifère, de la chlorite et de la dolomie, dont on
pourrait très bien trouver l'emploi comme fon-
dant ».
» Les différentes analyses faites ont donné des
résultats assez semblables ; on peut les grouper
de la façon suivante, d'après la nature de leur
180 l'indo-chine
gangue, point qui présente une certaine impor-
tance pour leur traitement :
» Minerais schisteux: 18à31,5 p. 100 de cuivre;
» Minerais quartzeux: 12 à 27 p. 100 de cuivre;
» Minerais dolomitiques : 5 à 7 p. 100 de cuivre.
» On peut compter sur une teneur moyenne à
peu près uniforme de 15 à 18 pour 100, qu'il
serait facile d'augmenter par un simple triage sur
le carreau de la mine, et de porter à 20 ou 25
pour 100.
» En comparant cette teneur moyenne à celle
de bien des gisements analogues, on sera frappé
de voir les conditions favorables dans lesquelles
se présentent ces mines. A Rio Tinto, par exemple,
on exporte à Swansea, en Angleterre, tout le
minerai dont la teneur est sensiblement comprise
entre 3 et 6 pour 100. »
Et la mine de Van Say n'est pas la seule à pré-
senter un rendement aussi favorable. Toutes les
exploitations cuprifères que Ton rencontre le long
de la Rivière Noire sont également riches et éga-
lement bien situées. Pourquoi faut-il. que tous ces
gisements restent improductifs, pourquoi faut-il
que malgré toutes les facilités accordées *, tout se
1. Le décret du 25 février 1897 prévoit comme principal mode
d'acquisition des mines et minières, en Annam et au Tonkin,
celui par voie de recherches en périmètre réservé en terrains
libres de droits antérieurs.
Le centre du périmètre doit être marqué sur le terrain par
RICHESSES MINIERES 181
soit borné jusqu'ici à de vagues inspections de
prospecteurs ou à des demandes de pure forme?
Continuerai-je cette énumération de gîtes mé-
tallifères; dirai-jeTabondance des mines d'argent,
la plupart constituées par des gisements de galène
argentifère, et dont l'exploitation pourrait encore
un poteau signal avec écriteau indiquant : le nom donné au
périmètre, le nom de l'explorateur, la date de Toccupation, le
rayon du cercle qui ne peut dépasser quatre kilomètres.
Une déclaration de recherches doit être déposée à la Rési-
dence de la province dans la quinzaine de l'occupation.
Le Résident fait dresser un procès-verbal de constat, puis
inscrit la déclaration sur le registre ad-hoc. Il en délivre
récépissé contre paiement d'un droit fixe de fr. 05 centimes
par hectare.
Copies de la déclaration du procès-verbal du constat et du
plan sont ensuite adressées au Résident supérieur, qui les trans-
met au Directeur des travaux publics, service des mines, où la
déclaration est définitivement inscrite si elle est reconnue
valable.
Toute déclaration de recherches en périmètre réservé est
annulée de plein droit (art. 15) au bout de trois ans, si elle n'a
pas donné lieu à une demande en délivrance de la propriété
de la mine.
Les propriétés minières donnent lieu au paiement d'une
redevance de :
1 franc par hectare pour les mines de houille.
2 francs pour les mines d'autres substances.
Cette redevance est doublée à partir de la cinquième année
et triplée à partir de la dixième.
Pour les mines acquises par voie d'adjudication, à la suite de
réserves par le Gouvernement général, de reprise ou dé-
chéance, de déshérence, etc., la redevance est fixée par l'adju-
dication.
L'autorité judiciaire est seule compétente en matière de con-
testations entre particuliers au sujet des minés.
182 l'indo-chine
donner d'excellents résultats, si, en raison de la
dépréciation de Targent, on voulait seulement se
borner à traiter le minerai de plomb? Il m'a été
donné de voir les mines de plomb argentifère du
Haut-Tonkin montagneux, et plus particulièrement
celles situées dans le cercle de Ngan-Son, qui est
bien la région la plus pittoresque du Tonkin.
Ngan-Son est comme posé au fond d'un vallon,
dominé par des mamelons herbeux et baigné par
une rivière, au cours sinueux, le Bac-Giang. Le
blockhaus, perché sur un pic isolé, rappelle ces
vieux donjons féodaux, comme on en rencontre
encore en France. Et avec son drapeau qui claque
au vent, on pense à quelque sentinelle avancée
chargée d'annoncer et de surveiller Tennemi. On
est là au centre même du bassin minier. Les gise-
ments argentifères y sont extrêmement nombreux
et riches, tels sont ceux deBan-Chang, de Na-Hin,
de Phuc-Son*. Sous le poste militaire même,
existe une mine de même nature, dénommée La
Lucie, Envahie par les eaux il y a sept ou huit
ans, elle a dû être définitivement abandonnée.
Toutes ces mines ont été jadis exploitées par
les Chinois qui obtenaient une main-d'œuvre
abondante en pressurant la population. Us terro-
1. Les gens du pays m'ont également parlé des groupes de
Coum Pi, de Cou Phon et de Kim Hi pour les alluvions auri-
fères.
RICHESSES MINIÈRES 183
risaient à tel point le pays que les habitants n'o-
sent encore aujourd'hui parler d'eux sans frémir.
Ils y auraient, dit-on, réalisé de très grosses for-
tunes. Je le crois bien. Chassés par notre occu-
pation, ils auraient emporté avec eux le secret
de l'extraction. On les accuse même d'avoir pro-
voqué l'envahissement des eaux.
A cette heure, les mines de la région de Ngan-
Son sont pour la plupart concédées à des particu-
liers français, mais il en est peu qui les exploitent.
La raison ? Hélas, la même partout : le manque
d'argent. Mais, sur ce point, il convient de signa-
ler en outre la pénurie, plus forte au Tonkin que
partout ailleurs, des moyens de transport.
Ce qu'il faudrait, c'est pouvoir transporter faci-
lement le minerai jusqu'à Bac-Kan, où la voie flu-
viale le descendrait ensuite à Haïphong. Les Chi-
nois n'y allaient pas par quatre chemins : ils ré-
quisitionnaient les habitants qu'ils transformaient
en véritables bêtes de somme. Ils ont, il est vrai,
épuisé la race. On comprend que la France ré-
pugne à de pareils procédés ; mais rien n'empê-
cherait de faciliter l'exploitation minière — appe-
lée sans aucun doute à favoriser le développement
économique de toute une région et son repeuple-
ment — par une appropriation raisonnée et une
utilisation pratique des voies terrestres et flu-
viales. D'autant que tout le pays environnant est
184 l'indo-chine
habité par les Mans, une des meilleures popula-
tions de rindo-Chine *.
A quelque distance de Ngan-Son, se trouve le
groupe minier de Ha-Hieu. Des prospections ré-
centes ont signalé sur ce point de nombreux gise-
ments où. dominent le fer et l'or et dont celui de
Ha-Giah constituerait le noyau. Comme celles de
Ngan-Son, ces mines ont été très longtemps aux
mains des Chinois. Dépossédés de leur exploita-
tion, ces derniers se sont depuis retirés en Chine,
d*où ils n'ont cessé de soudoyer, jusqu'en ces der-
nières années, des bandes de pirates qui long-
temps désolèrent la région, grossis parfois des
ouvriers occupés jadis dans les mines et qui, pri-
vés de travail, n'ayant plus de moyens d'exis-
tence, se laissaient facilement séduire et enrôler.
Peut-être aurait-il été possible d'éviter cet
exode, en intéressant les Chinois, jusqu'alors
seuls détenteurs des mines, au nouveau régime
d'exploitation ? Peut-être aurait-il été possible de
les retenir dans le pays et de leur laisser conti-
nuer, en les surveillant, une industrie qu'ils sa-
1. Divisés en Mâns-Thien, enMâns-Goc et en Mâns-Théo, ils
constituent la véritable race aborigène, le Chinois et l'Anna-
mite composant le groupe mongolique envahisseur. Dans les
premiers siècles de Tère chrétienne, ils auraient peuplé le Yun-
Nan et le Quang-Si. Refoulés par les Mongols, ils se réfugiè-
rent au Tonkin et, pour se soustraire à la servitude, se retirè-
rent sur les hauts monts, où ils vécurent depuis lors à peu près
indépendants.
f
RICHESSES MINIÈRES 185
valent rendre si prospère et si lucrative? Ce fut là
un de ces malentendus comme il y en eut tant au
début de notre installation. Mais pourquoi récri-
miner?
Ce qui importe dès maintenant, c^est de tirer
parti des richesses que renferme le sol indo-chinois
et que Ton s'accorde à dire considérables. L'œu-
vre est belle et séduisante. Elle est digne de
fixer l'attention de nos industriels, que la lutte
continentale étouflFe de jour en jour. C'est en
multipliant les moyens de transport, en amé-
liorant les routes, en reliant, si possible, cer-
tains centres miniers, par des chemins de fer ou
des tramways, au Delta et aux grands marchés
exportateurs, c'est enfin en rendant possible l'uti-
lisation des cours d'eau et des rivières qui sillon-
nent en tous sens l'Indo-Chine, que Ton pourra
imprimer au mouvement minier une impulsion
vigoureuse et durable. Pourquoi, dès lors, les ca-
pitaux français, qui vont si facilement à l'étranger
aider et soutenir les entreprises minières, n'i-
raient-ils pas en Indo-Chine, s'il est établi^ qu'à
égalité de risques, les avantages immédiats sont
encore plus sérieux?
Et dans la rapide énumération précédente, nous
n'avons parlé ni des mines de zinc qui partout
abondent *, ni des mines d'étain dont on com-
1. Le zinc est le métal le plus répandu en Indo-Chine, et
186 l'indo-chine
mence à s'occuper au Tonkin et au Laos où de
récentes prospections ont fait découvrir, dans la
vallée du Nam-Hin-Boum, des filons stannifères
très importants, celui dit de Banta-Coua, en par-
ticulier ; ni des mines d'antimoine qui provoquè-
rent un instant un véritable engoûment, arrêté
ensuite par les excès de la piraterie, ni des mines
de manganèse tout récemment retrouvées, et
dont il semble qu'il y ait beaucoup à attendre.
Mais toutes ces richesses minières seraient
vouées à un échec certain, si l'Indo-Chine ne re-
celait dans son sol les combustibles minéraux
susceptibles d'aider, et à leur extraction, et à leur
utilisation sur place. Les gisements houillers for-
ment en effet, en Indo-Chine, de très vastes bas-
sins qui semblent s'étager parallèlement à la mer,
du nord au sud, et qui sont généralement séparés
les uns des autres par d'importants soulèvements
granitiques^ qui ont donné lieu à la formation
d'une série de chaînons qui se détachent des pre-
miers contreforts de la chaîne annamitique et s'en
aussi celui dont la valeur intrinsèque est le moins élevée. C'est
du reste grâce aux mines de zinc que les souverains d'Annam
ont pu, de tous temps, frapper les sapèques qui constituaient et
constituent encore la véritable monnaie indigène. Toute l'indo-
Ghine présente des soulèvements calcaires, probablement
divoniens, tous pareils à ceux qui entourent la baie d'Along, et
c'est dans ces terrains qu'on trouve le zinc, soit à l'état de cala-
mine et de blonde, soit à l'état natif.
LES GISEMENTS HOUILLERS 187
vont plonger dans la mer en des falaises abruptes
et inabordables.
Les plus connus, ceux dont l'exploitation est
en pleine activité, sont ceux de Ke-Bao, de Hon-
gay au Tonkin, et de Nong-Son en Annam. Mais
ils ne sont pas les seuls, et ils sont reliés, les uns
aux autres, par d'importants lambeaux de terrain
carbonifère, au sein desquels des couches de
charbon se révèlent par un grand nombre d'af-
fleurements encore mal connus et peu étudiés *.
Les principaux sont ceux que l'on peut observer
près de Phu-Ly (province de Ninh-Binh), près de
Vinh (province de Nhé-Anh), près de Dien-Châu
(province de Ha-Tinh), près de Len-Bàc (province
de Quang-Binh) ; on en trouve encore au sud de
Tourane, jusqu'à la hauteur de Qui-Nhon, et sur
les bords du Fleuve Rouge, à Yen-Bay.
Les charbonnages de Kebao sont situés dans
l'île de ce nom, qui borne, au nord-est, la baie d'A-
long. Les affleurements de charbon sont très
nombreux, et apparaissent surtout autour de la
baie, dite « région des flots », située sur la côte
sud-est de Tîle. Quelques pointements se mon-
trent entre ce quartier et Port-Wallut, mais ils
n'ont pas une grande importance. Les charbons
1. Voir l'étude publiée par M. G. -H. Monod sur les gise-
ments de charbon en Indo-Chine. Hanoï. Imprimerie Schnei-
der, 1902.
188 l'indo-chine
se retrouvent tout le long de la rivière de Ké-
Rong, qui vient se jeter dans la baie des îlots et
le long de la rivière d'Ha-Voc, suivant la direc-
tion nord-est-sud-ouest. Par ces affleurements, le
gisement charbonneux va se souder à ceux qui
appartiennent à la concession de Hongay.
On sait par quelle série d'insuccès a passé l'ex-
ploitation de Kebao. Commencée en 1889, elle
aboutit à une première liquidation en 1895, à une
deuxième en 1899 *.
Ces insuccès ont été attribués à la mauvaise
qualité du charbon. Mais ce n'est pas là qu'il fau-
drait, semble-t-il, en chercher l'explication. Le
charbon de Kébao est, tout au contraire de ce que
l'on a souvent prétendu, un combustible de bonne
qualité. Mais c'est un anthracite, c'est-à-dire un
charbon très maigre, sans longue flamme, ne con-
venant, par conséquent, pas du tout à certains
usages auxquels on a voulu l'employer, tel que le
chauffage des chaudières tubulaires sur les ba-
teaux à vapeur. Pour ce genre de chaudières, la
mine fabriquait des briquettes qui donnaient des
résultats assez satisfaisants, surtout lorsque la
combustion était facilitée par un tirage artificiel.
Pour les industriels qui demandent seulement
au combustible un pouvoir calorique élevé, l'an-
1. EUe a été rachetée en 1901.
LES GISEMENTS HOUILLERS 189
thracite de Kébao peut donner de très bons ré-
sultats.
Les gisements charbonneux de Hongay, pro-
longement en quelque sorte de ceux de Kebao,
appartiennent à la même formation.
La concession même de Hongay comprend deux
quartiers bien distincts : le quartier de Hongay pro-
prement dit, et celui de Campha, séparé par le
chenal de Campha de l'extrémité méridionale de
Kébao. Campha est éloigné de Hongay, point
d'embarquement, et, pour cette raison, est d'une
exploitation moins avantageuse.
La direction des couches charbonneuses à Hon-
gay est la même que celle des plis ; cette direc-
tion est, d'une manière générale^ la direction
nord-sud avec des variations qui peuvent atteindre
de part et d'autre de cette moyenne, des angles
de 15 à 20 degrés ^
A Hatou, l'exploitation attaque le flanc ouest
d'un anticlinal. Le pendage varie entre 15 à
40 degrés.
D'une manière générale, on observe à Hongay
que le pendage est plus accentué sur le flanc est
que sur le flanc ouest des anticlinaux.
Dans le district de Hongay, il existe plusieurs
mines, dont la plus importante est l'exploitation
1. G.-H; Monod, loc, cî7., page 8.
190 l'indo-chine
à ciel ouvert de Hatou. Ce quartier est relié à
Hongay par un petit chemin de fer de 1 1 kilomè-
tres ; à l'arrêt du train, on découvre d'un seul
coup d'œil une immense carrière de charbon, du
plus pittoresque eflfet, taillée sur douze étages dans
une couche atteignant 28 mètres d épaisseur.
Sur les douze gradins, deux mille cinq cents
coolies travaillent à extraire ou à transporter le
charbon. L'assise charbonneuse, très visible, est
surmontée par un chapeau argileux, que Ton en-
lève à mesure que les travaux avancent; cette
nécessité est d'ailleurs assez onéreuse pour l'ex-
ploitation, car un grand nombre d'ouvriers se
trouvent occupés à ce travail. Un nouveau décou-
vert a été entamé au mamelon désigné sous le
numéro 65 et retient actuellement près de neuf
cents ouvriers.
L'autre mine est à Nagotna où l'exploitation est
souterraine ; elle emploie déjà six cents ouvriers *.
Le charbon extrait à Hongay est un anthracite.
Le combustible est généralement vendu à l'état
de briquettes ^, obtenues avec une addition de
brai (venu de Norvège par voiliers) et de charbon
gras japonais.
1. On venait de donner les premiers coups de pioche, lorsque
nous l'avons visité, en février 1903.
2. La fabrication est tout près de Tappontement, ce qui sim-
plifie la manipulatioUé
LES GISEMENTS HOUILLERS 19i
L'exploitation de Hongay, après des débuts hé-
sitants, paraît être à cette heure en pleine activité.
Si Ton en croit les documents publiés, Tex-
traction pourrait fournir en moyenne près de
300.000 tonnes par an. Les dernières statistiques
seraient, d'autre part, des plus concluantes.
La formation charbonneuse ne s'arrête pas à
Hongay. Rejetée vers Touest-nord-ouest, elle s'é-
tend sur le Dong-Trieu, dans les provinces de
Quang-Yen et de Haiduong. Sur ce point, on est
encore dans la période des recherches et des
études. Celles-ci seraient, m'a-t-on assuré, des
plus encourageantes. Dans toute cette région, le
charbon est une houille anthraciteuse très maigre,
tout à fait analogue aux charbons de la Pensyl-
vanie ou du Pays de Galles.
Les gisements se retrouvent ensuite en Annam,
en particulier, dans la province de Quang Nam,
non loin de Tourane.
L' Annam est un des pays asiatiques les plus
riches, peut-être, en gisements houillers. Tous ne
sont pas malheureusement d'égale valeur, ni de
même importance. Le système géographique de
l'Annam se ramène tout entier à une grande
chaîne principale, connue sous le nom de chaîne
annamitique. Partie du nord, elle se dirige d'a-
bord au sud-ouest, puis à Test, s'infléchit ensuite
en un immense arc de cercle qui donne aux côtes
192 L*INDO-CHINE
de l'Annam leur courbure si caractéristique, et
s'abaisse graduellement ensuite en terrasses éta-
gées pour se terminer, enfin, par l'intermédiaire
d'une région mamelonnée, aux plaines fertiles de
Cochinchine. Dans toute cette région, les gise-
ments sont nombreux et réels. Un grand nombre
d'entre eux se présentent dans des conditions très
favorables à une exploitation régulière, qui trou-
verait immédiatement et à coup sûr des débouchés
très avantageux, même dans la colonie. Plusieurs
de ces gisements ont d'ailleurs subi, autrefois, de
]a part des indigènes, un commencement d'ex-
ploitation. C'étaient, naturellement, les Chinois
qui en étaient concessionnaires. Mais une foule
de circonstances de tout genre arrêtèrent, de
bonne heure, ces tentatives. Il convient tout
d'abord d'observer que les premiers exploitants
avaient une connaissance technique très rudimen-
taire, tant de la métallurgie que des procédés
d'extraction. Ajoutez à cela leur impuissance
contre les venues d'eau, faute d'instruments né-
cessaires, et leur ignorance, à peu près com-
plète, de toutes les questions relatives au boisage
et au soutènement des galeries.
La cour de Hué, qui eût pu diriger et encourager
les exploitations, préférait abandonner les pri-
vilèges moyennant certaines redevances ou tributs
qui croissaient tous les jours, les transformant
LES GISEMENTS HOUILLERS 193
en une véritable corvée, non seulement pour les
propriétaires, mais encore pour la commune tout
entière. Il arrivait, par suite, que les villages préfé-
raient, à force de présents, faire certifier par les
mandarins que le gisement était épuisé et les coo-
lies licenciés. L'exploitation cessait ainsi à peu
près partout.
Que dire aussi de Tinsécurité perpétuelle dans
laquelle vivaient alors les travailleurs^ tant à cause
des bêtes féroces qui infestaient à cette époque
la région, que du voisinage des Mois dont ils re-
doutaient les incursions. Il est facile de concevoir
dans ces conditions qu'en dépit des espérances
qu'elles pouvaient faire naître, toutes ces entre-
prises aient été lentement négligées, puis abandon-
nées. Quelques-unes résistèrent plus longtemps et
traversèrent toute la période de conquête, malgré
les troubles et les difficultés du moment.
Tel fut le cas de la mine de Nong-Son, située
sur la rive gauche de Thu-Bong, à quelques kilo-
mètres de Fai-Foo*. Ici, le charbon se trouve in-
terstratifié dans les deux flancs d'un anticlinal
dont Taxe suit une direction sud-ouest-nord-est,
1. En 1881, elle fut donnée, sous certaines conditions, an
Chinois Luong van Phong, qui céda ensuite ses droits à une
société française. La mine est aujourd'hui la propriété de la
Société des Docks et Houillères de Tourane. La production
annuelle, après des débuts modestes, dépasserait, assure-t-on,
à cette heure 25.000 tonnes.
13
194 l'indo-chine
dans la partie actuellement exploitée de la con-
cession. Un peu plus au nord. Taxe anticlinal pa-
raît s'infléchir vers la direction sud-nord, et les
travaux d'un puits en |fonçage se sont heurtés à
un pendage des couches vers Test.
Le mur de la couche est schisteux; le toit est
constitué par des grès, recouverts par des schistes
argileux. Au-dessus des schistes, on rencontre une
importante formation de conglomérats, formant
la plupart des sommets aux environs de la mine.
On se trouve du reste là, en plein terrain carbo-
nifère. Il existe tout près de Nong-Son, en facile
communication avec Tourane *, dans un centre
assez populeux, sur la rive droite du Song-Caï, un
autre charbonnage, d'une espèce différente, le gi-
sement de Vinh Phuoc. On croit, d'après les pre-
mières analyses récemment faites, qu'il s'agit
en l'espèce d'un charbon gras ou tout au moins
demi-gras. Et l'on voit tout l'intérêt que ce gisement
sera susceptible de présenter, le jour où il com-
mencera à produire. Il pourra se substituer tout
naturellement aux charbons gras, importés jus-
qu'ici du Japon, dans la fabrication des briquettes
du Tonkin. Alors même que la teneur de ce char-
bon ne se maintiendrait pas à mesure que l'on
pénétrerait la couche, il n'en serait pas moins
1. C'est à 60 kilomètres de Tourane, par voie de terre ou par
voie d'eau.
LES GISEMENTS HOUILLERS 195
très utilisable et la fabrication d'agglomérés serait
susceptible de lui assurer de très grands débou-
chés.
Tous ces gisements se rattachent géologique-
ment aux charbonnages plus considérables du
Yun-Nan, et en particulier aux étages de Hé-long-
tan, de Toudza et de Hoa Tsi Ke. Il peut y avoir
là, pour rindo-Chine, le jour où les relations avec i
le Yun-Nan deviendront plus fréquentes et plus fa- 1
ciles, — par le fonctionnement du chemin de
fer qui doit relier Haïphong à Yunnan-Sen —
un marché d'approvisionnement, situé tout à nos
portes, et qui pourra aider grandement au déve-
loppement économique de la colonie.
Quelle conclusion devons-nous tirer de cet exa-
men, forcément sommaire, des richesses que re-
cèle le sol indo-chinois? C'est que loin de se laisser
décourager par des insuccès comme ceux qui se
sont produits au début, alors que la piraterie in-
festait encore le Tonkin, que Finsécurité, l'hosti-
lité paralysaient les volontés et les énergies, que
Ton marchait un peu à Faventure, au hasard, que
les relations avec l'indigène n'existaient pour ainsi
dire pas, il faut, aujourd'hui que la tranquillité et
l'ordre régnent partout, que la confiance est re-
venue, que les habitants se sont remis au travail,
aborder résolument le problème minier et, rom-
pant avec nos déplorables habitudes d'inertie et
196 l'indo-chine
d'hésitation, reprendre hardiment l'œuvre de mise
en valeur qui doit et peut, seule, assurer à Tlndo-
Chine et son développement économique immé-
diat et sa transformation industrielle.
La production annuelle du charbon en Indo-
Chine n'a cessé de suivre une progression crois-
sante depuis dix ans, et cette extension ne pourra
qu'augmenter du jour oii, par exemple, le port
de Tourane sera définitivement aménagé, au
moyen de travaux de dragage et grâce aussi à
la construction d'appontements, de quais et à
l'utilisation de Tîlot de l'Observatoire, et du jour
aussi où l'ouverture des grandes voies ferrées
aura donné une vigoureuse impulsion aux mani-
festations diverses de l'activité économique.
La consommation totale annuelle du charbon
sur la côte d'Asie dépasse aujourd'hui 1.500.000
tonnes, et si nous considérons les pays produc-
teurs susceptibles d'alimenter cette consomma-
tion, nous verrons qu'il n'en existe aucun qui soit
à même de rivaliser avec la production de Tlndo-
Chine.
L'Australie fournit annuellement près de 8 mil-
lions de tonnes de charbon. Mais par suite de
réloignement, le charbon n'arrive en Extrême-
Orient que grevé d'un fret très élevé, qui en aug-
mente considérablement le prix.
La Chine, très riche cependant en gisements
1
LES GISEMENTS HOUILLERS 197
liouillers, est obligée d'importer annuellement près
d'un million de tonnes. Elle ne peut donc partici-
per à la consommation du dehors.
Le Japon, dont la production de charbon gras
sera toujours nécessaire pour la fabrication de nos
briquettes, voit le restant de son extraction
absorbé, sur place, par les besoins de sa métallur-
gie aujourd'hui en pleine prospérité, de sa navi-
gation et de son industrie.
Partout ailleurs, on observe le même phéno-
mène. La production, cependant très élevée, des
Iles de la Sonde et des Indes Anglaises est immé-
diatement drainée par les besoins d'un marché
local qui rend illusoire toute pensée d'exporta-
tion.
Reste donc Tlndo-Chine, et plus spécialement
les gisements de la chaîne annamitique, plus avan-
tagés encore par suite du voisinage du port de
Tourane. Il n'est pas douteux que notre colonie doit
devenir un jour la grande source d'alimentation
houillère de toutes les places de l'Extrême-Orient.
Sa situation d'abord, qui est peut-être unique au
monde, à proximité ou sur le parcours de toutes
les grandes lignes de navigation qui sillonnent les
mers de Chine, lui permettrait d'expédier, dans des
conditions très avantageuses de fret, ses produits
sur tous les points de la côte orientale d'Asie, de
Singapour à Port-Arthur. Elle dispose en outre
198 l'indo-chine
de bassins houillers très étendus, encore suscep-
tibles de développement et tout prêts à être
exploités. Ses charbons enfin sont, de jour en
jour, plus appréciés, grâce à Thabileté croissante
de la main-d'œuvre et au perfectionnement des
procédés d'extraction.
Il est donc permis de prévoir une ère de véri-
table prospérité pour les charbonnages indo-chi-
nois.
Les petites questions de détail, telles que celles
de la réglementation, de la législation minière,
se résoudront d'elles-mêmes, quand les capitaux
jusqu'ici hésitants, ombrageux, méfiants, pénétre-
ront en Indo-Chine et viendront y apporter l'élé-
ment indispensable à son progrès.
Avec le fer, le charbon, c'est Findustrie mé-
tallurgique qui s'étabht dans l'Indo-Chine, ce
sont les hauts-fourneaux, les forges qui partout
s'installent, donnant aux entreprises de travaux
publics les matériaux dont elles ont besoin, per-
mettant d'améUorer les conditions mômes de
l'existence, d'utiliser les productions d'une terre
puissante et toujours en activité. Ce sont les
exploitations agricoles possibles, c'est-à-dire l'uti-
lisation pratique, économique et commerciale de
ces richesses qui, jusqu'ici, n'ont trouvé d'autres
débouchés que dans la consommation locale et
immédiate, limitée et à bas prix.
LES GISEMENTS HOUILLERS 199
Tel serait le cas des raffineries de sucre*, — ali-
mentées par la canne à sucre qui, comme nous
l'avons dit plus haut, vient en abondance par-
tout en Indo-Chine, et dont la culture est
encore susceptible d'extension, — des distilleries
de rhum, des fabriques de tapioca, pour l'utilisa-
tion du manioc, et autres industries agricoles si-
milaires, des entreprises de verrerie et de céra-
mique encore ignorées ou à l'état naissant, bien
que favorisées par l'abondance des silicates, mais
dont le développement se trouve aujourd'hui for-
cément borné par suite des difficultés d'approvi-
sionnement et de l'absence de combustible.
Un avenir industriel grandiose s'ouvre donc pour
rindo-Chine. Il se devine, il se pressent. Les pre-
mières manifestations apparaissent. Mais, on ne
saurait trop le répéter, il faut que la métropole,
effectivement, participe à ce mouvement et s'y
intéresse résolument.
L'Indo-Chine, va-t-on partout répétant, est un
pays agricole. Son unique ressource, sa seule
richesse, c'est le riz. L'Indo-Chine sans ses
1. Au moment où j'écrivais cette étude, le gouvernement gé-
néral, très préoccupé du développement économique de Tlndo-
Ghine, prenait, après une enquête très approfondie et une con-
sultation officieuse des intéressés, tant Européens qu'indigènes,
tout une série de mesures, d'ordre à la fois fiscal et administra-
tif, destinées à favoriser rétablissement de raffineries de sucre
dans la colonie. (Arrêté du 14 mai 1903.)
200 l'iNDO CHINE
rizières, c'est comme le rosier sans ses fleurs.
C'est vrai et faux tout à la fois, comme du
reste tout ce qui est absolu. Oui, Tlndo-Chine
est un pays agricole ; oui, llndo-Chine, surtout la
Cochinchine, vit en grande partie de son riz; mais
cela n'est pas tout, il y a autre chose, et c'est jus-
tement ce qu'on ne dit pas.
Llndo-Chine n'a été qu'un pays agricole et
n'est encore à cette heure qu'un pays de culture
que parce qu'on a commis la grande faute de ne
jamais le considérer que comme tel. Tout paraît
avoir été fait pour le maintenir dans cet état d'in-
fériorité, pour l'enfermer dans les limites d'un do-
maine rigoureusement borné. Or, l'Indo-Chine
est et doit devenir un pays industriel. Il atout ce
qu'il faut pour cela et en première ligne le génie
de son peuple.
Ce qui le prouve c'est que bien avant notre occu-
pation, il existait déjà en Indo-Chine une indus-
trie très prospère, celle du riz ou plus exactement
celle du décortiquage du riz. Cholon, le faubourg
annamite et chinois de Saigon, en était et en est
resté le centre principal. C'est là où se rencontre
le plus de moulins. Depuis quelques années des
usines à vapeur ont été créées, alimentant surtout
le commerce d'exportation. Il ne faudrait pas
croire que le décortiquage à vapeur ait tué le dé-
cortiquage par les meules mues par les bras ou
L* AVENIR INDUSTRIEL 201
plutôt par les pieds de l'ouvrier. Partout, du
reste, en Indo-Chine, la petite industrie, l'atelier
familial se maintient à côté de la grande usine et
de la puissante industrie mécanique.
Cela n'a rien d'étonnant, si Ton songe au bon
marché de la main-d'œuvre, tel que non seulement
les rameurs continuent à lutter contre la batellerie
à vapeur, mais encore que certains bateaux à
roue sont poussés par la force des muscles de
l'homme. Quoi qu'il en soit, il y a, à cette heure,
à Cholon, neuf usines à vapeur et trois cents dé-
cortiqueurs à bras. Ceux-ci sont six mille environ
dans la province ; ils traitent encore les deux tiers
du paddy produit par la colonie et destiné à la
consommation locale.
Vers la fin de novembre, les jonques cher-
cheuses de riz quittent Cholon. Elles sont dirigées
par un patron auquel l'usinier a prêté sa barque
elle-même ou tout au moins une somme d'argent
et une pacotille qui lui serviront à acheter le
paddy. Les fonds ainsi avancés portent, assure-
t-on, intérêt à 12 0/0 par an. De plus^ le batelier
acheteur s'engage à livrer à son prêteur le paddy
à quelques cents au-dessous du cours. La jonque
va, par le Mékong et les canaux, dans quelque
province où le Chinois qui la mène a des relations.
Il est plus ou moins associé à des Célestes vivant
sur place, qui s'entendent au besoin avec des
202 l'indo-chine
Annamites qui prêtent à leurs compatriotes sur
récolte — ce prêt ne semble pas être fait par les
Chinois eux-mêmes. 11 faut d'ailleurs noter que le
fonds de roulement des Chinois est en grande partie
fourni par les maisons exportatrices qui font de
grosses avances, en même temps que leurs com-
mandes aux rizières de Cholon.
Quelques mois après, la jonque revient à Cholon,
et s'accoste dans Tarroyo encombré. Le paddy est
enlevé par les élévateurs, passe entre des meules,
dans des tamis, subit l'action de ventilateurs, de
polisseurs, et finit par se distribuer en balles qui
servent à chauffer la chaudière, et dont l'excédent
brûle à l'air libre, produisant des cendres subtiles,
qui sont un fléau pour le voisinage, en riz, en bri-
sures et en farines destinés aux consommateurs
locaux ou étrangers. Des ingénieurs européens
surveillent les appareils qui opèrent cette trans-
formation; mais, en dehors de cette intervention
technique, toute la direction est chinoise.
Cette industrie, qui donne à Cholon un aspect
de cité industrielle fumeuse du Nord ou mieux du
Far- West américain, a fait des progrès immenses.
En 1881, Cholon ne traitait que 332.084 tonnes de
paddy. Ce chiffre s'est successivement élevé, en
1885, à 474.000 tonnes ; en 1890, à 600.664 tonnes ;
en 1895, à 617.745; en 1900 à 915.657; en 1901,
à 902.360. Il va sans dire que les quantités Irai-
l'avenir industriel 203
tées varient quelque peu selon les récoites, ce-
pendant remarquablement régulières en Cochin-
chine, mais il se trouve que ces statistiques quin-
quennales donnent à peu près la moyenne de la
production de Cholon pendant les périodes aux-
quelles elles s'appliquent. Non seulement la quan-
tité a augmenté, mais encore la valeur du produit
exporté. La céréale peut se vendre à Textérieur
sous plusieurs formes ; en dehors du grain brut
et non décortiqué, le paddy, que Ton n'a aucun
intérêt à exporter parce qu'on paye le fret de ma-
tières sans valeur, comme la balle, et aussi parce
que le gouvernement, pour favoriser l'industrie du
décortiquage, a imposé, par un arrêt du 31 dé-
cembre 1895, les paddys exportés d'un droit sup-
plémentaire de sortie de fr. 225 les 100 kilog. :
on peut livrer aux marchés extérieurs du riz blanc
décortiqué et plus ou moins trié et séparé de ses
brisures et farines, ou bi^n du riz cargo som-
mairement décortiqué mais non blanchi, et qui
coûtent encore un certain pourcentage de paddy.
Or, depuis le début, la proportion du riz blanc
exporté par Cholon a constamment cru aux dé-
pens de celle du riz cargo. Elles étaient respec-
tivement : en 1881, de 20(5.783 tonnes de riz cargo
et de 36,660 tonnes de riz blanc produites ; en
1885, de 301.417 et de 46.244; en 1890, de
319.010 et de 113.958; en 1895, de 300.534 et de
204 l'indo-chine
141.080; en 1900, de 198.281 et de 423.334, et,
en 1901, de 141.491 et de 537.226. Le moment est
à prévoir où il ne sortira presque plus de riz cargo
des usines de Cholon.
L'industrie du décortiquage, qui a réuni Iplus
de 137.000 personnes sur le point de la plaine
cochinchinoise oii s'élève Cholon ne peut que
s'étendre.
Comme nous Tavons dit, les moulins indigènes
n'ont pas disparu. D'après les excellentes statis-
tiques de MM. Passerat de la Chapelle et Robert
de Caix sur l'industrie du décortiquage du riz en
Cochinchine, auxquelles nous empruntons ces ren-
seignements, ils continuent à fonctionner, mais
leur prix de rendement est bien supérieur à celui
de l'usine : c'est ainsi que le riz blanc d'usine ne
coûte que 60 cents de piastre contre 1 piastre
20 pour celui qui provient des moulures à bras.
11 y a, à cet égard, à vaincre les préjugés des
consommateurs indigènes qui ne veulent pas jus-
qu^ici des produits d'usine. Mais c'est surtout à
l'extension de la rizière cochinchinoise que Cholon
doit demander celle de sa propre industrie.
Chaque année, de nouveaux champs de paddy
sont conquis sur Talluvion vierge qui couvre
encore au moins les deux tiers du delta du Mékong.
Cette mise en valeur ne fera pas seulement la
prospérité de Cholon, mais encore celle des Anna-
l'avenir INDUSTRIE!. 205
mites qui ont beaucoup augmenté en nombre et
aussi en richesse depuis notre conquête.
Elle fournira de nouvelles ressources au budget
général et aux budgets locaux, en même temps
qu'elle permettra* d'étendre les voies de communi-
cation et d'entreprendre les œuvres d'intérêt pu-
blic si nécessaires au développement et à la pros-
périté de la colonie.
L'énergie européenne pourra-t-elle s'exercer
dans cette industrie du riz? Beaucoup l'espèrent.
Ils attendent cette transformation d'une éducation
meilleure de l'Annamite qui fournirait des agents
pour les petites localités de l'intérieur, où des
questions de prix et de confort ne permettent pas
à l'Européen de suivre et de combattre le Chi-
nois. En outre, l'indigène apprendrait peut-être
peu à peu à traiter directement avec l'usine. Déjà
beaucoup d'Annamites s'appliquent à connaître
les cours, à ne pas vendre mal. D'aucuns estiment
qu'il serait possible d'arriver jusqu'à eux sans
intermédiaires chinois, surtout si on créait aux
principaux carrefours fluviaux des magasins gé-
néraux qui feraient des avances sur le cargo
déposé et seraient prêts à exécuter les ordres de
vente du propriétaire.
Mal connu, l'Annamite est longtemps apparu,
aux yeux des Européens, comme un peuple infé-
rieur, fermé à tout travail de l'esprit, bon tout au
206 l'indo-ghine
plus à faire un semis de riz ou à élever quelque
bétail. C'est là où la légende s'affirme encore.
L'Annamite n'est rien de tout cela. Je vous con-
cède qu'il n'a ni Tintelligence éveillée de certaines
races, ni l'esprit d'invention qui fait le fond de
certaines autres. Mais il a, à un très haut degré,
une qualité rare entre toutes, pour un pays placé
dans les conditions où se trouve l'Indo-Chine,
c'est l'esprit d'assimilation. Il n'est routinier que
par force. Il ne demande qu'à apprendre et à faire
mieux. La main-d'œuvre, étant dans la colonie
d'un bon marché et d'une facilité inouïs, une partie
du problème qui préoccupe les nations occiden-
tales se trouve ici en partie résolue. Quemanque-
t-il à l'Annamite pour égaler, sur le terrain éco-
nomique, en particulier dans le domaine indus-
triel où son infériorité est évidente, la plupart des
peuples avec lesquels il se trouve ou peut se trou-
ver en relation d'affaires ? L'initiation d'abord, la
direction ensuite. L'industrie, au Tonkin comme
en Annam, est à l'état embryonnaire. C'est vrai,
mais ce ne sont pas les éléments qui manquent ;
ce n'est pas non plus, comme on pourrait le
croire, par suite de l'inaptitude de leurs habi-
tants à fabriquer ou à créer. C'est parce que rien
n'a été fait jusqu'à ce jour pour les tirer des pro-
cédés et des formules où une tradition de plusieurs
siècles les ont enfermés. Tout est, chez eux, su-
l'avenir industriel 207
ranné et vieillot. Donnez au contraire, à TAnna-
mite des modèles nouveaux, des instruments
appropriés ; encadrez les ouvriers indigènes de bons
contremaîtres européens, qui aient la patience
de leur montrer et de leur apprendre ; mettez, près
d'eux, des chefs de travaux ou d'ateliers qui leur
expliquent les moyens de fabrication, et je ne vous
donne pas pour dix ans, avant qu'une révolution
industrielle ne s'opère dans le pays.
Voyez le travail, déjà fin et délicat, que le cise-
leur, péniblement courbé sur une natte, produit.
Avec quoi ? Comme outil, il n'a qu'un méchant
clou, tordu et rouillé. Mettez dans la main de ce
même ouvrier, nos poinçons, burins et autres ins-
truments perfectionnés et vous verrez à quel de-
gré de perfection, à quel fini, il parviendra. Car,
je le répète, l'Annamite, profondément observa-
teur sous ses apparences d'enfant, est prodigieu-
sement assimilateur et doué d'une incroyable pa-
tience. Pendant des heures, vous pouvez observer
un ouvrier travailler, soit la soie, soit les métaux,
sans la moindre fatigue, et dans quelles conditions
d'hygiène et de salubrité! Quelquefois au fond
d'une cour étroite, sans air, presque sans lumière,
les yeux brûlés par les veilles et les doigts rongés
par un informe outil dont lui seul peut se servir 1
A cette heure, toute la question de la colonisa-
tion industrielle peut se ramener à ces deux pro*
208 l/iNDO-CHINE
blêmes, savoir : 1® utiliser et mettre en valeur,
en les appropriant aux goûts et aux besoins du
jour, le génie et les qualités d'une race; 2** tirer
profit et exploiter tout ce qu'une terre, riche,
fertile, puissante peut produire et rapporter.
CHAPITRE VII
Situation commerciale de l'Indo-Ghine. — Tableau com-
paratif des entrées et des sorties. — Le transit avec
la Chine méridionale. — Mouvement de la navigation.
— L'exportation du riz. — Progrès réalisés.
Depuis déjà plusieurs années — et la constata-
tion en a été faite bien avant nous — la situation
commerciale de llndo-Chine n'a cessé de suivre
une marche ascensionnelle. Au début, on fut con-
duit à penser — et non sans raison — que les
progrès, on peut le dire, considérables, signalés
par les premières statistiques, pouvaient être dus
à des causes passagères ou accidentelles, et qu'il
serait peut-être aventureux de les prendre pour
base de comparaison. Ces réserves, hier encore
justifiées, perdent chaque jour de leur force de-
vant la persistance des faits. Les chiffres portent
avec eux une éloquence qui est parfois plus per-
14
210 l'indo-chine
suasive que toutes les raisons du monde. C'est le
cas ici.
Lorsque, en effet, les premiers renseignements
ofBciels, à caractère déBnitif, furent publiés, tous
les tarifs qui avaient servi à établir les premières
statistiques avaient été changés. D'après les do-
cuments d'alors, dès l'année 1900, les valeurs at-
tribuées aux produits avaient été plus élevées que
par le passé : « Comme il s'était produit des
fraudes sur les déclarations ad valorem, on avait
jugé utile d'étabUr des prix officiels », et d'autre
part, de tenir compte dans les statistiques d'im-
portation, non point de la valeur des produits au
lieu d'achat, mais de leur valeur réeUe dans la
colonie. « Les produits importés furent donc
évalués dans les statistiques d'après leur prix de
revient au port d'arrivée, ce prix étant déterminé
par la valeur officieUe en France, augmentée des
frais de transporta » D'aucuns ont voulu voir,
dans ces majorations, un moyen ingénieux de
faire croire à une activité commerciale plus appa-
rente que réelle.
Sans vouloir discuter ici les raisons données de
part et d'autre, on est obligé cependant de recon-
naître que les prix officiels, une fois pour toutes
établis, d'un simple rapport de cause à effet, cette
1. Situation de Vlndo-Chine, par M. Paul Doumer, page 181.
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 211
activité aurait dû nécessairement s'arrêter. Or,
c'est le contraire qui s'est produit. Cette activité,
constatée en 1900, n'a fait qu'augmenter depuis
et dans des proportions qui ne permettent plus
d'admettre qu'elle ait pu être fictive. Et cela est
si vrai, que si, retenant pour un instant la thèse
développée par quelques-uns, on examine le
chiffre des exportations, que trouve-t-on? De
l'aveu même des adversaires de la majoration des
prix, celle-ci a forcément une affluence moindre
sur les exportations que sur les importations. Or,
dès 1900, il y a eu sur les exportations une aug-
mentation de près de 18 millions de francs, dé-
passant, et au delà, toutes les espérances. Un pa-
reil chiffre est suffisamment concluant par lui-
même pour se passer de tout commentaire.
A rheure qu'il est, le mouvement commercial
accuse des plus-values qui sont le meilleur témoi-
gnage du développement économique de la colo-
nie. Nous n'en voulons pour preuve que les der-
niers renseignements publiés parla Direction Gé-
nérale des Douanes * .
1. Et, comme le fait observer, avec une autorité toute parti-
culière, M. Paul Doumer, dans son Rapport sur la Situation de
V Indo-Chine, page 146 : « Le service des Douanes n'a pas la
prétention de saisir toutes les opérations commerciales qui se
réalisent aux frontières. Le périmètre à surveiller compte plus
de 3.000 kilomètres de côtes ; la frontière de terre n'est guère
moins développée. Cincpiante bureaux maritimes et dix bu-
212
L INDO-CHINE
A. — Commerce extérieur.
Trois premiers trimestres. Différence
„ — ^1 III -^ en
1902. 1901. faveur de 1902.
Importations .
Exportations.
Commerce ex-
térieur. . .
Francs.
162.346.161
153.331.909
Francs «
146.562.223
128.708.532
Francs.
15.783.938
24.623.377
315.678.070 275.270.755 40 407.315
Ainsi que le fait ressortir le tableau ci-dessus,
le commerce extérieur de Tlndo-Chine a atteint,
pour les trois premiers trimestres de Tannée 1902,
le chiffre de 315.678.000 francs, supérieur de
40.407.315 francs à celui de la période corres-
pondante de Tannée 1901. Les importations et les
exportations contribuent à cette augmentation.
Par rapport aux résultats du premier semestre,
il y aurait lieu surtout de signaler le maintien de
Taugmentation considérable qu'accusait déjà à
cette époque le mouvement d'exportation à
Tétranger : 23.358.000 francs au 1^^ juillet; et
21.750.000 fr. au !«' octobre. C'est un résultat
reaux terrestres ne suffisent pas à enrayer bien efficacement
la contrebande. Peu à peu, cependant, le service affirme sa
puissance ; le nombre des postes de surveillance augmente en
même temps que le nombre des agents ; les foyers de contre-
bande sont promptement connus et combattus. Aujourd'hui,
la fraude ne s'exerce réellement qu'à travers les territoires
militaires du Tonkin. »
LE MOCVEMENT COMMERCIAL
213
appréciable, car les mesures sanitaires prises à
rép:ard des marchandises en provenance de Ma-
nille et de Hong-Kong, pendant tout le troisième
trimestre de 1902, ont été un obstacle au dévelop-
pement régulier de notre commerce avec la Chine
et les Philippines, alors qu'en 1901, au contraire,
la levée des mesures sanitaires prises pendant le
premier semestre, avait provoqué une reprise
très vive du mouvement d'exportation.
Reprenons, en détail, les chiffres du tableau
précédent.
Importations.
France
et.colonies.
Trois premiers tri-
mestres 1902 . .
Trois premiers tri-
mestres 1901 . .
Étranger.
Francs.
Totaux.
Francs.
Francs.
84.610.759 77.735.403 162.346.161
71.628.343 74.933.880 146.562.223
Différence en plus. 12.982.416 2.801523 15.783.938
!<" Importations de la France
et de ses Colonies.
AUGMENTATIONS
Chapitres.
Francs.
IX. — Huiles et sucs végétaux . .
76.900
XIV. — Produits et déchets divers .
100.800
XV. — Boissons
. 2.018.000
XVII. — Métaux
7.241.800
XXIII. — Verres et cristaux
152.600
XXVill. — Ouvrages en métaux ....
. 10.800.400
214
Chapitres.
L INDO-CHINE
XXIX. — Armes, poudres et munitions. .
XXXf. — Ouvrages en bois
XXXIH. — Ouvrages de sparterie et de van-
nerie
XXXIV. — Ouvrages en matières diverses.
Francs.
5.267.300
98.300
108.100
496.200
DIMINUTIONS
Chapitres. Francs.
H. — Produits et dépouilles d'animaux. 143,700
VI. — Farineux alimentaires 154.700
VIII. — Denrées coloniales 616.800
XVI. — Marbres, pierres et terres. . 470.700
XVIII. — Produits chimiques 643.600
XX. — Couleurs 303.200
XXI. — Compositions diverses ..... 123.900
XXIV. — Fils '. 736.700
XXV. —Tissus 9.329.500
XXVI. — Papier et ses applications. . . . 179.600
XXVII. — Peaux et pelleteries ..... 647.500
2'' Importations de l'Étranger.
AUGMENTATIONS
Chapitres. Francs.
I. — Animaux vivants . . 133.200
II. — Produits et dépouilles d'animaux. 249.400
V. — Matières à tailler 294.100
VI. — Farineux alimentaires 1.191.20ft
IX. — Huiles et sucs végétaux 1.319.400
X. — Espèces médicinales 544.000
XII. — Filaments, tiges et fruits à ouvrer. 647.200
XV. — Boissons: 263.400
XVI. — Marbres, pierres et terres . . . . 1.113.100
XVIII. — Produits chimiques 1.332.300
XIX. — Teintures préparées 1.394.700
XXII. — Poteries 327.600
XXV. — Tissus 1 628.500
LE MOUVEMENT COMMERCIAL
215
DIMINUTIONS
Chapitres.
Francs.
VII. — Fruits et graines
VIII. — Denrées coloniales
410.100
566.700
XI. — Bois
118.300
XIV. — Produits et déchets divers . . .
5.100
XVII. - Métaux
1.417.000
XXIV. — Fils
3.793.200
XXVII'. — Ouvrages en métaux
781.200
XXIX. — Armes, poudres et munitions .
564.000
XXXIV. — Ouvrages en matières diverses
164.400
Exportations.
France
et colonies. Etranger.
Totaux.
Francs. Francs.
Trois premiers tri-
mestres 1902 . . 36.338.053 116.993.856
Francs.
153.331.909
Trois premiers tri-
mestres 1901 . . 33.464.912 95.243.620
128.708.532
En plus .
2.873.141 21.750.236 24.623.377
Les exportations de la Colonie, déduction faite
du numéraire, se sont élevées, en 1902, à
153.331.909 francs.
La décomposition de ce chiffre donne :
Pour le riz et ses dérivés 101.924.672
Et pour les autres produits 51.407.237
Soit 453.331.909
Les exportations des trois premiers trimestres
1901 s'élevaient seulement à 128*708.532 francs.
Dans cette somme figuraient :
216 l'indo-chine
Le riz et ses dérivés pour 85.929.913
Et les autres produits pour 42.778.619
Soit 128.708.532
La comparaison de ces chiffres fait ressortir une
augmentation de 24.994.759 francs sur les riz et
une diminution de 371.382 francs sur les autres
produits S soit au total une augmentation de
24.623.377 francs.
B. — Gommeroe intérieur. — Cabotage.
Entrées. Sorties. Total.
Francs. Francs. Francs.
Trois premiers tri-
mestres 1902 . . 57.628.549 59.890.935 117.519.484
Trois premiers tri-
mestres 1901 . . 50.547.895 54.395.707 104.943.602
En plus. . . 7.080.654 5.495.228 13.575.882
1. Cette diminution provient, tout entière, de la moins-
vaiue constatée sur les porcs.
En effet, tandis que :
Tannée 1901 donnait pour l'exportation
des porcs 1.167.000 fr.
Tannée 1902 ne donnait plus que. . . . 469.000 »
Différence en moins . 698.000 fr.
L'exportation des porcs, qui avait pris un développement
considérable en 1900 et 1901, s'est trouvée brusquement ar-
rêtée par suite des mesures de prohibition prises à Hong-
Kong.
\
LE MOUVEMENT COMMERCIAL
217
État comparatif des principaux produits
ayant donné lieu au mouvement de cabotage pendant
les 3 premiers trimestres des années 1902 et 1901.
CABOTAGE — ENTRÉES
3 PREMIERS TRIMESTRES 1902
DÉSIGNATION
DBS
PRODUITS
3 premiers
trimestres
1902.
Peaux brutes.
Poissons secs.
Saumures etpâtesh .
de poissons. ^
Coquillages autres;
(madrépores'.
Riz.
Légumes secs.
Fruits de table.
Fruits et graines
oléagineux.
Noix d'arec sèches.
Sucres blancs.
Mélasses et sucres i
bruns.
Poivre.
Thé.
Amomes
et cardamomes.
Francs.
267.700
.051.000
.237.400
336.000
.812.400
441.400
696.000
241.000
997.100
738.000
673.100
,861.400
707.500
307.606
Principaux
pays
de provenance .
Principaux
pays
de destination.
Indiqués par ordre d'importance.
Annam.
Annam.
Gochinchine
Annam,
Annam,
Tonkin,
Gochinchine
Annam.
Annam.
\ Annam ,
Gochinchine
Annam.
Gochinchine,
\[ Gambodge.
!^ Annam ,
Gochinchine,
Tonkin.
Annam.
Gochinchine,
Tonkin.
Annam, >
Gochinchine 1
Gochinchine,' I
Tonkin, ;
Annam .
Gochinchine.
Annam, )
Tonkin. \
Annam, |
Gochinchine.)
Gochinchine,
Annam,
Tonkin.
Annam, )
Gochinchine. i
Tonkin, )
Annam. \
Annam, )
Gochinchine.^
Annam> '|
Tonkin. ]
Gochinchine.
Gochinchine.
Annam.
Tonkin,
Gochinchine.
2.313.400
532.100
415.000
194.400
1.885.100
3.383.500
1.227. 800
3.964.400
664.000
305.500
I
218
L INDO-CHINE
DÉSIGNATION
DBS
PRODUITS
3 premiers
trimestres
1902.
Tabacs fabriqués,
Huiles de coco, de
sésame, d'arachide.
Opium brut ]
ou préparé.
Caoutchouc,
Espèces ]
médicLnalea*
Boia communs
et exûtifiue,s.
Coton égrené ,
ou non. I
Bambou â ]
€t rotins. i
Cunao.
fnncs.
403.300
333.700
1.994.700
314.500
Principaux
pays
de provenance.
Principaux
pays
de destination,
Jodiqoés par ordre d'importance.
Gochinchine.
Annam.
Gochinchine,
Tonkîn.
i
A nnam .
Annam.
483.000 ] Tonkm,
( Gochinchine'
i Annam,
l Tonkin.
â01,800 I Aammi.
3.324.100
3 premiers
trimestres
1901.
Tonkin,
Annam .
Annam, )
Gochinchine. S
Tonkin, )
Gochinchine 5 > 2,
Annam . }
Tonkin - |
Annam, é
Tonkin. S
Tonkin.
Annam,
Tonkin.
Tonkin,
Annam,
Tonkin
Francs.
267.200
502.100
988.300
3:12.000
339.900
.886.900
338.500
357.900
202.400
CABOTAGE — SORTIES
3 PREMIERS TRIMESTRES 1902
DESIGNATION
DBS
PRODUITS
Peaux brutes.
Poissons secs.
Saumures et pâtes
de poissons '1
Coquillages autres)
(madrépores). S
Farines )
de froment. S
Maïs en grains.
"^ Riz.
3 premiers
trimestres
1903.
Francs.
256.600
Principaux
pays
de provenance.
Principaux
pays
de destination'
Gochinchine
Tonkin.
( Annam,
2.342.500 ] Gochinchine,
( Tonkin.
9.033.100 j^^l^-r^'
Indignés par ordre d'importance.
Annam.
290.300
246.800
211.100
2.207.900
Gochinchine
Annam,
Tonkin.
Annam.
Annam,
Tonkin.
Annam
Gochinchine
Tonkin.
Annam,
Gochinchine
Annam.
Tonkin.
Annam
Annam,
Tonkin, i
Gochinchine..
3 premiers
trimestres
1901.
,!.
Francs.
182.000
,140.900
4.334.100
564.100
209.300
156.300
2.388.900
LE MOUVEMENT COMMERCIAL
219
DESIGNATION
DBS
PRODUITS
3 premiers
trimestres
1903.
Légumes secs.
Fruits de table.
Fruits et graines î
oléagineuses.
Noix d'arec sèches
Sucres blancs.
Mélasses et sucres
bruns.
Cannelle.
Poivre.
Thé
Huiles de coco, de
ricin, de sésame,
d'arachide.
Caoutchouc.
Opium.
Espèces
médicinales.
Bois communs
et exotiques.
Coton .
Tourteaux
de graines
oléagineuses.
Vins.
Bière
et limonade. )
Eaux-de-vie.
Francs.
469.500
265.400
227.400
1.125.800
3.738.400
3.106.600
484.000
4.348.700
880.600
445.500
282.600
5.028.700
485.400
1.295.000
184.900
502.300
446.600
386.800
214.600
Principaux
pays
de provenance.
Principaux
pays
de destination.
Indiqués par ordre d'importance.
I 502.300 j
Annam,
i^ Cochinchine
Tonkin,
Annam.
( Annam,
( Cochinchine,
Tonkin,
Annam.
Annam,
Cochinchine
Tonkin.
Annam,
Tonkin,
Cochinchine.
Tonkin,
Cochinchine.
I Cochinchine.
Annam,
Tonkin.
Annam «
[ Cochinchine.
( Tonkin.
(Cochinchine,
Tonkin,
Annam.
( Annam,
) Tonkin.
l Tonkin,
] Cochinchine,
( Annam.
f Annam.
Annam .
Cochinchine.
il Annam,
' Tonkin.
Annam .
Annam,
Cochinchine
Annam.
Cochinchine,
Cambodge .
Annam,
Cochinchine
Annam.
Cochinchine, i
Tonkin.
Annam.
Annam,
Tonkin.
Annam .
Tonkin,
Cochinchine
Cochinchine,)
Tonkin. \
Tonkin,
Cochinchine.
3 premiers
trimestres
1901.
francs.
689.700
730.400
234.500
1.715.300
3.065.600
1.263.000
159.000
3 136.500
841.500
406.800
573.800
4.839.800
433.000
820.600
634.400
296.600
370.900
244.400
186.200
220
LINDO-CHINE
C. — Transit.
i® TONKIN
Hong - Kong au
Yun-Nan . . .
Yun-Nan à Hong-
Kong . .
Europe au Yun-
Nan
Europe au Quang-
Si
Totaux . . .
TROIS
PREMIERS TRIMESTRES
1902.
Fr&ncs.
18.716.275
7.023.685
16.774
25.756.734
francs.
12.556.753
7.337.744
836
7.215
19.902.548
DIFFÉRENCE
EN FAVEUR DB
1902
Fnnrs.
6 059.522
14.938
6.074 460
FraBCS.
314 059
7.215
321.274
Ici^ il nous faut constater une moins-value de
4.750.000 fr. provenant du transit de Hong-
Kong au Yun-Nan. On donne comme raison que
les droits de douane à la réimportation (sel et
opium) sont trop élevés pour que les commerçants
chinois empruntent la voie du Fleuve-Rouge,
Tout le commerce de transit revient pour la
plus forte part à l'Empire britannique, c'est-à-
dire au grand entrepôt de Hong-Kong. Il n'est pas
douteux que notre possession indo-chinoise,
malgré la facilité qu'eût pu produire la proximité
des pays et leur situation géographique réci-
proque, n'a pas pris au trafic des provinces méri-
dionales de la Chine la part qui semblait devoir
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 221
lui revenir en un très bref laps de temps.
La statistique complète du commerce au Ton-
kin pour 1900 — la seule sur laquelle il soit en-
core possible de raisonner — groupe ensemble
es exportations de cette colonie vers les trois
pays d'Extrême-Orient : Chine, Japon, Siam; la va-
leur en a été estimée à 2.235.814 francs, non
compris le numéraire. Les principaux envois
comportent les articles suivants :
Poissons frais, 465.782 fr. ; semoules en pâte,
406.496 fr. ; riz cargo ayant plus de 33 p. 100 de
paddy, 25.798; riz en farines, 30.834 fr. ; ciment,
683.580 fr. ; charbon, menu et criblé, 264.810 fr. ;
tissus, 47.872, dont : (tissus de soie et de beurre
de soie, 43.350).
La plupart de ces produits ne figurent pas sur
les listes d'importation dans les régions de Mongtzé
et de Long-Tchéou. Un fait analogue se produit en
ce qui concerne la Cochinchine, dont les expédi-
tions vers les pays d'Extrême Orient ont atteint
en 1900 la valeur de 3.995.719 francs et se com-
posaient notamment des marchandises ci-après :
Animaux vivants, 38.037 fr. ; produits et dé-
pouilles d'animaux, 60.142 fr. ; poissons secs salés
ou fumés, 91.150 fr. ; crevettes, seiches, biches
de mer, ailerons de requin ; algues marines,
11.781 fr. ; importation à Mongtzé en 1901,
11.899 fr. ; test de crevettes (fumier), 138.839 fr. ;
222 l'indo-chine
farineux alimentaires ; 2.745.444 fr. (riz en paille
(paddy), riz entier, brisures, légumes secs en
grains, biscuits de mer et pains).
Tabac indigène en feuilles, 267.608 fr. ; tabac
chinois à fumer et à priser, cigares et cigarettes,
31.576 fr. ; sucres blancs en poudre, 11.503 fr.
sucres bruns en galettes dites chinoises, 19.122 fr.
filaments, tiges et fruits à ouvrer, 316.563 fr.
coton égrené, 324.923 fr. ; fils de soie, 16.201
tissus de soie, 14.872 fr. ; ouvrages de sparterie
et de vannerie, 71.800 fr.
Les exportations de TAnnam vers les mêmes
destinations, se chiffrantau total par 163.334 francs,
consistaient en :
Animaux vivants (bœufs et porcs) , 82. 854 fr. ; pro-
duits de pêche (poissons secs), 48.285 tr.; matières
dures à tailler (os et sabots de bétail bruts), 14.597 fr.;
farineux alimentaires, 7.845 fr. ; filaments, tiges et
fruits à ouvrer, 9.564 fr.; bois communs, 5.796 fr.;
quatre autres produits, ensemble, 1.393 fr.
On voit le peu d'importance relative de ces
chiffres. Au surplus, les articles qui viennent
d'être énumérés, relativement à l'Annam et à la
Cochinchine, ne rencontrent jusqu'à présent
qu'une demande fort restreinte sur les marchés
du Yun-Nan et du Kouang-Si ; dans ces catégories,
les envois arrivant de diverses provenances res-
tent encore très peu importants.
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 223
Les réexportations de toute Tlndo-Chine, pen-
dant le même exercice, vers les trois pays déjà dé-
signés, on été estimées à 2.527.609 francs, dont
423.523 francs pour les valeurs à la sortie duTon-
kin. Les provinces méridionales de la Chine pa-
raissent n'avoir reçu qu'une part fort restreinte
des marchandises françaises ou étrangères ainsi
réexpédiées.
Les importations réunies de la Chine, du Japon
et du Siam en Cochinchine et au Cambodge se
sont élevées, en 1900, à 6.056.451 francs. Mais
elles se composaient de produits (riz en paille, fa-
rines, poteries, indigo, fils de lin, retors, écrus,
caoutchouc et gutta-percha bruts, peaux brutes,
écailles de tortue) qui manifestement n'intéres-
sent pas le trafic passant par le Fleuve Rouge ou
par la voie de Lang-Son.
Au Tonkin , les marchandises indiquées,
en 1900, comme venant des trois pays d'Extrême-
Orient, ont été évaluées en tout à 315.897 francs.
Les articles pouvant être regardés d'une façon
certaine comme originaires des régions chinoises
voisines de la frontière sont en nombre fort li-
mité. On ne peut guère signaler que, d'une part :
Les huiles fixes pures (lin, ravison, ni-
ger, coton, sésame, arachides) exportées du
Kouang-Si, 29.857 kilogrammes, 17.616 francs.
De l'autre, les métaux arrivant du Yun-Nan, soit :
224 l'indo-chine
Les fers bruts enmassiaux, prismes ou barres,
contenant 4 pour 100 de scories au plus, 45kilog.,
4 fr. ; rétain en masses brutes, saumons, barres
ou plaques, 7.072 kilogrammes, 19.660 francs.
Il reste enfin à signaler, parmi les marchan-
dises soumises au tarif spécial (décret du 28 dé-
cembre 1808) Topium brut ou préparé, représen-
tant pour une valeur de 956. 6S3 francs ; ce pro-
duit peut être considéré comme provenant presque
en totalité du Yun-Nan. Sous cette même rubrique
les statistiques coloniales mentionnent encore, au
nombre des importations chinoises au Tonkin,
en 1900 :
Les porcelaines communes, blanches ou déco-
rées d'une seule couleur, 956.653 fr. ; les papiers
et enveloppes chinois de toute nature autres que
ceux portant annonces ou réclames commerciales,
971.885 fr. ; le papier destiné au culte, 63.466 fr. ;
les articles et pétards chinois, 512.210 francs.
Bien que ces articles doivent êtro rangés au
nombre de ceux qui sont produits au Kouang-Si,
cependant, ce n'est pas sans doute de cette province
que vient la majeure partie de ceux qui sont in-
troduits sous ces désignations dans notre colonie-
En effet, les marchandises dont il s'agit ne figurent
sur les listes d'exportation de la douane de Long-
Tcheou que pour des quantités et valeurs très ré-
duites, ainsi qu'il résulte des chiffres ci-après :
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 225
Piculs. Francs.
Porcelaines grossières . . Si 1.442
Papiers 10 238
Papiers pour le cuite 29 1 127
Artifices et pétards 23 948
Il convient toutefois de noter, dès à présent, avec
satisfaction, certains indices qui permettent de
penser que la situation actuelle sera modifiée
bientôt, dans un sens favorable à notre pays. En
particulier, deux faits mentionnés dans le dernier
rapport du consul d'Angleterre à Pak-Hoï sont à si-
gnaler à ce sujet. D'une part, les Compagnies de na-
vigation intéressées tentent actuellement d'orga-
niser à Haïphong l'embarquement direct sur l'Eu-
rope de l'étain exporté du Yun-Nan. Si le projet
aboutit, les navires français obtiendront, par an,
3.000 tonnes de fret aux dépens des bâtiments
chargés à Hong-Kong. Il s'agit, d'autre part, du
commerce des filés de coton représentant plus de
la moitié des échanges avec le Yun-Nan. L'agent
anglais à Long-Tchéou n'a-t-il pas reconnu que
l'Indo-Chine est dans des conditions à devenir pro-
chainement un compétiteur sérieux et que la pro-
duction des deux filatures duTonkin a réduit l'im-
portation des filés pour le marché local de près de
7.500.000 francs.
Le transit, à travers la Cochinchine et le Cam-
bodge^ vers le Laos, Battambang et au Siam, est
toujours assez inactif. On constate cependant qu'il
226
L INDO-CHINE
aurait quelque tendance à s'améliorer. Le transit
vers Battambang atteint, en effet, pour les trois
premiers trimestres de 1902 : 569.588 francs
contre 355.451 francs en 1901. Soit une plus-value
de 200.000 francs^ qui porte presque entièrement
Bur les tissus de coton.
D. — Récapitulation.
Mouvement commercial des trois premiers tri-
mestres 1902, comparé à celui des trois premiers
trimestres 1901 :
Commerce ex
térieur. .
Commerce in
térieur. .
Transit . .
Totaux. .
TROIS
PREMIERS TRIMESTRES
1902.
FraBcs.
315.678.070
117.519.484
20.785 925
453 983.479
1901.
Francs.
275.270.755
104.943.602
27.790.689
407.005.046
DIFFERENCES
En plus.
Francs.
40.407.315
12.575.882
52.983.197
En moins.
Francs.
6.004.764
6.004.764
Augmentation totale : 46.978.433 francs.
Le mouvement commercial des trois premiers
trimestres 1902 se traduit, en valeurs, par la
somme de : 453.983.479 francs, numéraire non
compris. Il accuse ainsi, par rapport à la période
correspondante de Tannée 1901, un excédent de
46.978.433 francs.
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 227
Avions-nous raison, au début, en déclarant que
devant de pareils chiffres, il devenait difficile, aux
moins optimistes comme aux plus prévenus, de
ne pas reconnaître le pas considérable fait, en
quelques années à peine, par Tlndo-Chine dans
la voie des échanges et des relations économiques
avec la France et l'étranger?
Les tableaux et relevés * qui précèdent ne se-
raient pas complets si nous ne les faisions suivre de
quelques renseignements complémentaires sur les
exportations de riz qui représentent, à elles seules,
jusqu'à ce jour, l'élément principal du commerce
extérieur de Tlndo-Chine.
Nous reproduisons ci-dessous le tableau com-
muniqué par la Direction Générale des Douanes
et Régies :
1. « Les statistiques officielles ne donnent qu'un aperçu in-
complet de l'augmentation du tonnage, car si l'on veut ar-
river à une exactitude absolue, il faut tenir compte de la trans-
formation des riz par l'industrie du décortiquage. Les usines ,
rares il y a dix ans, se multiplient aujourd'hui; le riz brut,
ou paddy, est traité sur place et sort de plus en plus sous la
forme de riz blanc, de riz cargo, de farines, produits moins
encombrants, d'un transport plus facile et moins onéreux.
» Le tonnage à l'exportation indiqué par les statistiques ne
fournit donc qu'une notion imparfaite de la surproduction des
riz indo-chinois. Mille tonnes de paddy produisent 600 tonnes
de riz blanc ou 750 tonnes de riz cargo. En exprimant en
tonnes de paddy le total de l'exportation des riz manufacturés,
on obtient la véritable impression du développement de la pro-
duction de riz. »
{Situation de l'Indo-CUine, par M. Paul Doumer, page 147.)
228
LINDO-GHINE
Exportations de Riz.
«
o
60
a
1
S
a
6
ce
•d
U
a
RIZ EN PAILLE PADDY
France
Colonies françaises.
Pays d'Europe . . .
Chine, Japon . . .
Pour les entrepôts
deSingapore . . .
Pour les entrepôts
de Hong Kong . .
Pour les autres pays
d'Asie, d'Àfrioue,
d'Amérique et d'O-
céanie. (Philippi-
nes, Java) ....
Tonnes
France
Colonies françaises .
Pays d'Europe. . .
Chine, Japon. . . .
Siam. ...
Entrepôts de Singa-
pore
Efntrepôts de Hong-
Kong
Autres pays ....
Tonnes
136
21
38
67
45
2
236
43
88
824
57
34
248
34.734
235
101
259
376
36.076
RIZ
CARGO
213
42
8.857
66.217
14.314
7.201
5
5
25
138
16
2.214
116.815
30.609
1.606
21
2.454
125.715
140.063
66
38
2
484
970
35 017
235
36 815
66.217
42
14.314
16 277
5
180
169.639
1 607
268.285
N. B. — Dans ce tableau, nous tenons compte des centaines de kilos dans
les totaux, ce qui explique que Taddition des unités de tonnes ne parait
pas toi^oars exacte.
LE MOUVEMENT GOMUERGIAL
229
DESTINATIONS
a
(S
o
fl
2
BRISURES DE RIZ
France. ......
Colonies françaises.
Pays d'Europe . . .
Chine, Japon. . . .
Entrepôts de Hong-
Kong
Tonnes .
34.621
55
435
460
12.560
48.133
FARINES ET POUSSIÈRES
France
Pays d'Europe . . .
Entrepôts de Singa-
pore
Entrepôts de Hong-
Kong
Tonnes .
RIZ ENTIER BLANC
France
Colonies françaises.
Chine, Japon. . .
Siam
Pour les entrepôts
de Singapore . . .
Pour les entrepôts
de Hong-Kong. . .
Pour les autres pays.
Tonnes .....
65
8
73
130
419
626
94.635
21.935
33.605
6
6.337
110.249
367 068
635.444
964
42.674
602
81.973
126.216
34.621
55
435
460
12 560
48.133
964
42.674
602
81.973
126.217
94.635
22.065
34.161
9
6 .346
110.254
367.068
636 149
230 l'indo-chine
Si nous additionnons les exportations du riz de
rindo-Chine, sous toutes ses formes, nous
voyons qu'elles ont dépassé, pour la première
lois, le chiffre de un million de tonnes *.
On peut dire que depuis six ans l'augmentation
a été à peu près ininterrompue. Voici, en effet, les
chiffres tels que les a publiés la Direction générale
des Douanes et Régies :
En 1897 775.154 tonnes.
En 1898 804.578 —
En 1899 894.954 —
En 1900 915 635 —
En 1901 911.754 —
Les exportations de la Cochinchine et du Tonkin
se répartissent de la façon suivante :
Cochiochine. Tonkin.
En 1897 637.570 136.692
En 1898 715.318 88.620
En 1899 798.794 95.250
En 1900. 739.503 168.622
En 1901 758.539 150.818
En 1902. . 985.966 126.718
Il y a lieu de remarquer, dans le grand ta-
bleau précédent, le nouveau et considérable gain
du riz blanc de Cochinchine, qui a dépassé
635.000 tonnes en 1902 contre 160.000 en 1895 et
481.909 tonnes en 1901.
1. Exactement 1 million 115.601 tonnes.
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 231
Si nous ramenons toute l'exportation à la même
mesure, c'est-à-dire au paddy, en comptant
1.299 kilos de paddy pour fournir une tonne de
riz cargo 20 pour 100 et 1.666 kilos pour fournir
une tonne de riz blanc^ les chiffres suivants don-
neront une idée plus juste de Textension de la
culture en Cochinchine, à sept ans d'intervalle.
Exportation de Cochinchine en paddy.
En 1895. 814.416 tonnes.
En 1901 986.235 —
En 1902 1.286.702 —
Soit un gain de 300.000 tonnes sur 1901 et de
472.000 tonnes sur 1895.
Enfin, il y a également lieu de noter une nou-
velle augmentation dans les expéditions pour la
France, qui s'élèvent au chiffre global de
196.503 tonnes.
Expéditions de riz de Cochinchine
en France.
RIZ SOUS TOUTES SES FORMES
En 1897 86.962 tonnes.
En 1898 152.230 —
En 1899 107.369 —
En 1900 140,964 —
En 1901 170.286 —
En 1902 196 503 —
232 L*IND0-GH1NE
Un autre fait à relever nous paraît être le
chiffre relativement faible auquel se maintiennent
les expéditions de riz de Cochinchine sur Hong-
Kong, depuis 3 ans :
En 1900 283.180 tonnes.
En 1901 230.564 —
En 1902 290.125 —
alors qu'en 1899 l'exportation avait atteint jusqu'à
409.150 tonnes. A noter aussi dans cette exporta-
tion les quantités considérables de farines et
poussières (81.974 tonnes en 1902).
Enfin, les Philippines et les Indes Néerlan-
daises continuent à être les plus grosses con-
sommatrices de riz cochinchinois (367.068 tonnes
en 1902, contre 306.476 tonnes en 1901).
Nous ne pouvons malheureusement retrouver
dans les documents officiels la part de chacune
d'elles. En nous reportant à la statistique fournie
par la Chambre de commerce de Saïgon, nous
trouvons :
Philippines : 262.018 tonnes, contre 146.662 en
1901.
Indes Néerlandaises: 119.913 tonnes, contre
172.292 en 1901.
Par suite de la rareté des pluies tombées en
automne 1902, la récolte du cinquième mois n'a
pas été, cette année, aussi brillante que celle des
LE MOUVEMENT COMMERCIAL 233
années précédentes et les exportations s'en sont
naturellement ressenties. Les statistiques accusent
en effet une diminution sensible dans les sorties
du port de Saïgon, pour le premier semestre de
Texercice encours : 398.1 19 tonnes de riz (paddy,
brisures et farines) contre 480.578 tonnes pen-
dant le premier semestre de 1902.
Ces expéditions se décomposent de la manière
suivante en ce qui concerne les destinations :
Pays de destination.
France
Colonies françaises . .
Ports d'Europe
Port-Saïd, à ordres . .
Indes néerlandaises . .
Singapore
Philippines
Hong-Kong
Autres ports de Chine.
Ann€un et Tonkin . . .
Japon
Divers
Totaux ....
Bien que très notablement inférieures aux en-
vois de 1902, les expéditions en 1903 sont encore
supérieures à celles du premier semestre 1900 et
1901.
l«r semestre
le' semestro
1902.
1903.
73.735
50.996
19.176
2 167
7.552
2.109
44.792
»
61.493
9.172
2.441
2.707
122.774
113.617
128.742
150.316
17.981
»
»
323
361
64.654
1.534
1.517
480.578
398.118
CHAPITRE VIII
Au sujet des craintes exprimées par certaine école éco-
nomique. — L'Indo-Ghine ne peut concurrencer la
France. — Son marché naturel, c'est la Chine avec ses
quatre cent millions d'habitants. — Les câbles et les
lignes de navigation. — Du rôle des Chinois dans
l'œuvre économique.
Le développement économique de FIndo-Chine
s'est très souvent heurté à l'opposition soulevée
en France par Técole protectionniste, qui ne veut
voir dans la prospérité commerciale de la Colonie
qu'une cause d'affaiblissement pour la métropole.
Pour cette école, l'extension du mouvement in-
dustriel du Tonkin ne peut se faire qu'au détri-
ment des industries françaises, qui subiraient, de
ce fait, une concurrence d'autant plus redoutable
que les conditions de production sont, en Indo-
Chine, beaucoup moins onéreuses qu'en France.
l'indo-chine et son marché naturel 235
Ces craintes sont-elles fondées? Nous ne le
croyons pas.
En premier lieu, le problème doit être, à cette
heure, posé autrement. Dire que l'Indo-Chine doit
ou peut concurrencer la métropole, c'est mécon-
naître les intérêts mêmes de Tlndo-Chine et ou-
blier sa situation en Extrême-Orient ; c'est con-
fondre le juste souci de l'industrie métropolitaine
avec la nécessaire exploitation des richesses de
rindo-Chine. Ceci ne doit pas nuire à cela. Et
mieux, ceci doit compléter cela. En d'autres
termes, l'industrie coloniale est à créer pour faire
ce que Findustrie française ne fait et ne peut pas
faire, c'est-à-dire pour envoyer ses produits là où
les produits métropolitains ne vont pas et ne peu-
vent pas aller.
« Si Ton constate, par exemple, que l'industrie
de la métallurgie métropolitaine ne peut fournir
et ne fournit pas, en fait, la moindre partie du fer
que TExtrême-Orient demande en quantités con-
sidérables et croissantes, s'il y a, en Indo-Chine,
tous les éléments d^une production métallurgique
à bon marché, on doit inciter et encourager les
industriels français à créer des établissements en
Indo-Chine, qui joue bien, pour eux, dans ce cas,
le rôle de base d'action nouvelle. Un établisse-
ment métallurgique, fondé sur terre française,
avec des capitaux, des ingénieurs, des contre-
236 l'indo-ghine
maîtres français, pour substituer, en partie au
moins, ses rails, ses fers de construction, ses ma-
chines, aux produits similaires des usines étran-
gères, donnerait à la France des bénéfices indé-
niables.
» L'exemple donné pour le fer s'applique aux
ciments, aux filés de coton, à cent autres pro-
duits que rindustrie nationale ne peut exporter
en Asie. C'est dans cette voie que la colonisation
industrielle doit être engagée*. »
En second lieu, croire que Tlndo-Chine peut se
poser en rivale de la métropole, c'est ignorer que
les produits indo-chinois ont un débouché tout
naturel, un débouché certain et rémunérateur, en
Chine, territoire immense, peuplé de quatre cents
millions d'habitants, et qu'avant de franchir la
distance considérable qui les sépare des marchés
français où ils viendraient, frappés d'un fret coû-
teux, concurrencer les produits nationaux, ils
iront, à très peu de frais, en Chine, dont ils ne
sont séparés que par une centaine de kilomètres.
C'est une vérité d'ordre économique qui par son
évidence se passe même de tout développement.
La Chine est, en effet, le marché tout indiqué
de rindo-Chine ; c'est en Chine qu'iront et les ar-
ticles ouvragés, et les produits manufacturés, et
i. Situation de V Indo-Chine ( 1 897-1 904)^ loc, cit., page 61.
ET SON Marché naturel 237
les objets de consommation livrés par notre colo-
nie. Débordant de ses quatre cents millions d'habi-
tants, FEmpire Chinois a de grands besoins, aux-
quels il ne peut lui-même répondre, faute de
sécurité, faute d'activité industrielle, faute aussi
de capitaux et d'organisation sérieuse. L'anarchie,
le désordre, les incursions des pirates empêche-
ront ce pays d'exploiter, d'ici longtemps, les
richesses qu'il renferme, en abondance, et de se
livrer à l'exploitation soit agricole, soit industrielle
de ses éléments divers de vitalité et d'énergie. Or,
la France n'exporte qu'en proportions très faibles,
en regard du chiffre qu'accusent le commerce
anglais et les statistiques allemandes. Nous ne
parlons ni des États-Unis ni du Japon, dont les
produits envahissent de plus en plus les marchés
chinois. L'Indo- Chine, située aux portes mêmes
de la Chine, en communications directes, cons-
tantes et faciles avec la Chine est, ce semble,
tout indiquée pour suppléer la métropole dans
cette lutte mondiale dans l'Empire du milieu et
pour trouver le stimulant nécessaire à son expan-
sion économique.
L'industrie française n'a donc rien à redouter
du mouvement qui se dessine au Tonkin et dont,
il faut l'espérer, un avenir prochain verra le plein
épanouissement. Ce que l'industrie tonkinoise
fabriquera et exportera sera précisément ce que
238 l'indo-chine
la métropole ne peut, elle, fournir'qu'à des prix trop
élevés pour être rémunérateurs même pour elle,
ou ce qu'elle ne peut produire parce que Téloigne-
ment ne lui permet pas de pénétrer dans les mar-
chés acheteurs. Loin d'y trouver une rivale, l'in-
dustrie française ne doit voir dans la jeune
industrie dlndo-Chine qu'une auxiliaire précieuse
et utile, destinée à la remplacer, à la suppléer et
à faire apprécier, contre Tindustrie anglaise,
allemande ou américaine, la supériorité de ses
méthodes et Texcellence de ses procédés.
Et en dehors du Quang-Si et du Quang-Tong,
le Tonkin peut encore trouver de nouvelles sources
de profit dans la pénétration économique d'une
des provinces, peut-être la plus réputée de l'Em-
pire chinois, le Yun-Nan. Dans quelques années,
lorsqu'au lieu d'emprunter la voie du Fleuve Rouge,
difficile, longue et parfois incertaine, Jes marchan-
dises pourront être drainées directement et rapide-
ment par la voie ferrée, n'est-il pas évident qu'Ha-
noï et qu'Haïphong deviendront les aboutissants né-
cessaires d'un commerce d'échanges que la tran-
quillité et le bon voisinage rendront déplus en plus
actif et puissant. Car les raisons, soit politiques, soit
commerciales qui ont fait que jusqu'ici ces échan-
ges se sont faits par la voie coûteuse de la rivière
de Canton, le Quang-Si et Pak-Hoï n'existeront
plus, du jour où les marchandises pourront être
ET SON MARCHÉ NATUREL 239
directement, à peu de frais et en peu de temps,
transitées à Haïphong et de là embarquées pour
la Chine, Hong-Kong et Singapour. Certes, nous
ne tomberons pas dans Terreur commise par
quelques enthousiastes irraisonnés du Tonkin
qui voyaient déjà dans Haïphong le grand port de
TExtrême-Orient, détrônant Hong-Kong. Il faut
se défendre de ces projets chimériques. Mais rien
n'empêche de penser, surtout si les travaux pro-
jetés à Haïphong sont exécutés un jour et si ce
port est doté, d'une part, de quais et d'apponte-
ments, et rendu, de l'autre, accessible aux na-
vires d'un fort tonnage, qu'il ne parvienne, très
rapidement, à être un des ports de commerce les
plus actifs et les plus fréquentés des mers de
Chine.
Ces espérances imposent de grands devoirs en
même temps qu'elles précisent le problème.
L'Indo-Chine possède de nombreux ports : Haï-
phong, Tourane, Saigon, pour ne citer que les
plus importants. Aucun n'est en état, à cette
heure, de soutenir le rôle qui doit lui échoir un
jour.
On a beaucoup fait jusqu'à présent pourl'Indo-
Chine dans l'ordre matériel : routes, chemin de
fer. 11 importe qu'on se préoccupe un peu de l'état
de ses ports et que les travaux d'aménagement,
d'agrandissement, de dragage, longtemps promis,
]
240 l'indo-chine
toujours ajournés, soient résolument entrepris.
Il y va de Tavenir de la colonie.
Il faut, d'une part, que llndo-Chine devienne,
par un réseau de câbles, Tun de nos centres
nerveux en relations rapides avec la Chine, les
îles néerlandaises et américaines du Pacifique oc-
cidental, plus tard l'Australie et tous les archipels
du Pacifique. La construction de ce réseau sous-
marin est commencée; il est à souhaiter que
l'achèvement en soit assidûment poursuivi.
D'autre part, c'est Tlndo-Chine qui doit repré-
senter la France, économiquement et politique-
ment, vis-à-vis de la Chine et de tous les autres
États de l'Extrême-Orient, Le budget général
étend son action bienfaisante fort au delà des
limites de nos possessions; il y aurait quelque
injustice à taxer de somptuaires les subventions
allouées aux hôpitaux, aux écoles, aux bureaux de
poste français de diverses villes d'Extrême-Orient.
Il est également indispensable que les divers
services de navigation^ subventionnés ou non, si
négligés et si insuffisants, que le commerce du
cabotage, à l'état encore trop embryonnaire,
soient étudiés et corrigés dans le sens des amé-
liorations qu'un juste souci des intérêts de
rindo-Chine rend chaque jour plus urgentes et
plus nécessaires. Tout, ou à peu près, est à faire
dans cet ordre d'idées. Cela paraît même in-
ET SON MARCHÉ NATOREI. 241
croyable. 11 semble même qu'on se plaiso à ag-
graver la durée des voyages et à décourager ceux
qui seraient tentés d'aller plus loin. A peine si
un effort sérieux a été tout récemment tenté.
Lorsqu'on sera entré dans la période véritable-
ment active, lorsque des bateaux français sillon-
neront en tous sens, comme les pavillons anglais
et allemands, les mers d'Extrême-Orient et les
grands fleuves navigables, lorsqu'entre Canton,
Hong-Kong, Shang-Haï et Haïphong des ser-
vices réguliers seront établis, lorsque nos
marchandises descendront par le Yang-Tsé vers
les riches contrées du Han-Kéou, il n'est pas
téméraire de prévoir les changements heureux
qui en résulteront en très peu de temps pour
rindo-Chine. Cela fait partie de tout un plan
de réformes maritimes réclamées depuis déjà
de longues années. Il faut, en effet, que le
Tonkin, si l'on veut sérieusement aider à son
expansion commerciale et industrielle, soit en
rapports faciles, immédiats, répétés avec les
principaux ports de Chine et que des relations
fréquentes et soutenues s'établissent désormais
entre les centres exportateurs et importateurs.
Il résulte de toutes ces considérations que l'on
ne saurait trop préconiser l'emploi des mesures
susceptibles de favoriser notre pénétration éco-
nomique en Chine. Il semble que ceUe-ci ait été
16
242 l'indo-ghine
plutôt sacrifiée jusqu'ici et que Ton ait trop vu
dans les Chinois, non des auxiliaires et des sti-
mulants, mais des concurrents et des rivaux.
C'est ainsi que Ton peut expliquer les droits à
l'exportation en Chine et les tracasseries fiscales
ou autres dont les Chinois ont été l'objet en Indo-
Chine. Longtemps encore l'Annamite vivra dans
sa rizière, ou dans sa maison, ignorant le méca-
nisme des affaires, et fermé aux entreprises qui
demandent beaucoup d'argent, de l'intelligence
et de la pratique. Le Chinois, au contraire, a
l'âme des affaires. Respectueux envers nous, tout
au moins de leurs engagements, adroits, avisés,
le plus souvent intéressés dans les maisons euro-
péennes pour lesquelles ils agissent comme com-
pradors, établis dans les villages^ mariés avec des
femmes annamites, les Chinois * sont à cette heure
les principaux facteurs de l'activité économique
de l'In do-Chine. A leur contact, l'Annamite pren-
dra sûrement le goût, le sens et la pratique des
affaires. Loin de les persécuter ou de les tracas-
ser, notre intérêt est au contraire de les attirer
en Indo-Chine et de les y employer. Non seule-
ment l'Indo- Chine profitera de leur activité.
1. A Saigon (Rue Gatinal), à Hanoï, à Faifo, à Tourane, à
Tuyen-Quan, à Bac-Ninh, la plupart des boutiques sont tenues
par des Chinois. Je ne parle pas de Gholon, devenu un vrai
centre d'activité chinoise.
ET SON MARCHÉ NAtUftEL 243
de leurs connaissances, de leurs capitaux pour la
mise en valeur de ses propres richesses, mais en-
core trouvera en eux;, pour le rapprochement de
plus en plus étroit qu'il s'agit d'établir entre notre
colonie et TEmpire Chinois, les agents les plus
précieux, les plus utiles et les plus intelligents.
CHAPITRE IX
I.a question monétaire. — La piastre et la dépréciation
de l'argent. — De Tinfluence de la baisse de la piastre
sur le développement économique de Tlndo-Chine. —
Les solutions proposées. — L'Indo-Ghine est avant tout
un pays d*exportation. — L'équilibre budgétaire doit
être sa préoccupation principale. — La crise de la
sapèque. — Du danger de laisser plus longtemps l'in-
digène exposé aux fluctuations de la ligature.
Au point où nous sommes arrivés, le dévelop-
pement économique de Tlndo-Chine apparaît
comme une succession de problèmes, comme une
série de données étroitement reliées entre elles et
qu'il importe, si Ton ne veut pas être exposé à
compromettre Tensemble, d'examiner en leurs
divers éléments, de dissocier et de solutionner
avec le juste souci des applications pratiques et
des nécessités permanentes. Tel est, en particu-
LA QUESTION MONÉTAIRE 245
lier, le cas du régime monétaire. Nous abordons
ici une des questions, peut-être les plus discutées
de riieure présente. Chacun a parlé, chacun a
écrit, chacun a donné son avis.
Des commissions ont été instituées. Elles ont
fonctionné, enquêté. Et cependant nulle solution
n'a encore prévalu. C'est que rarement aussi on
a vu tant de divergences se faire jour. Il convient
d'observer que le problème est singulièrement
délicat et qu'il touche à la source même des reve-
nus de la colonie. On ne saurait par suite être
trop prudent dans la façon dont il conviendra de
poser la question et dans les conclusions que Ton
en pourra tirer.
L'unité monétaire en Indo-Chine, comme du
reste dans tout l'Extrême-Orient, est la piastre
d'argent. C'est la monnaie que nous avons trouvée
quand nous nous sommes établis dans la colonie,
et l'ayant acceptée, il n'a plus été possible depuis
de la remplacer par une autre. Du reste, les con-
ditions économiques de Tlndo-Chine sont telles
qu'une modification du système financier n'eût
pas été sans présenter de très graves dangers. La
colonie est, nous l'avons vu> un pays de grande
exportation pour sa production principal^, le riz.
Les quantités considérables de riz exportées le
sont presque toutes dans les pays d'Extrême-
Orient qui ont la piastre pour seule monnaie et —
246 L*INDO-GHINE
c'est là un côté essentiel de la question — qui ne
peuvent pas payer autrement qu'en piastres. D'où
la nécessité impérieuse pour llndo-Chine de
conserver la piastre tant que cet état de choses
existera, autrement dit tant que la Cochinchine et
le Tonkin, produisant plus de riz qu'ils n'en con-
somment, en exporteront en Chine pour une va-
leur supérieure à celle des produits qu'ils de-
mandent à ce pays.
Jusqu'en ces dernières années, la piastre s'étant
maintenue à un taux à peu près uniforme, la
question monétaire proprement dite n'avait pas
autrement retenu l'attention, mais une lente et
persistante dépréciation de l'argent ayant amené
de brusques et fortes fluctuations du taux de la
piastre, il en est résulté une perturbation des plus
préjudiciables, non seulement dans la situation
budgétaire de la colonie, mais aussi dans l'en-
semble des opérations commerciales.
Le rapport de 1 à 15 1/2 a subsisté jusqu'en
1872-1873, entre l'or et l'argent. En 1873, l'Alle-
magne adopta l'étalon d'or et vendit une grande
partie de son stock d'argent. Cette mesure coïn-
cidait avec une production d'argent plus intense,
particulièrement au Mexique et aux États-Unis,
où les mines adoptèrent de nouveaux procédés
d'extraction et des moyens perfectionnés de trai-
tement.
\
LA QUESTION MONÉTAIRE
247
Cette surproduction ne fît que s'accroître dans
les années subséquentes. Avant 1876, les mines
fournissaient moins de 2 millions de kilogrammes
d^argent annuellement et voici le tableau de
Textraction d'argent de 1876, à 190J .
Années.
Moyenne annuelle
KUog.
KU«g.
1876 à 1880. . . .
10.979.273
2.195.854
1881 à 1885. . . .
13.307.285
2.661.457
1886 à 1890. . . .
16.937.362
3.387.472
1891 à 1895. . . .
24.468.560
5.893.712
1899 à 1900. . . .
26.072.293
5.214.458
1901. . . .
5.500.000
5.500.000
Il ressort de cette statistique que la production
de Targent, dans les dernières 26 années, a plus
que doublé.
Dans cette même période, plusieurs Etats ont
adopté l'étalon d'or; il en résultait que, tandis
que la production de l'argent ne faisait que s'ac-
croître, son usage, en tant que monnaie d'échange,
trouvait de moins en moins d'emploi.
Il est vrai que l'emploi industriel de ce métal
s'accrut considérablement, mais cependant pas
dans une proportion suffisante pour compenser la
surproduction des mines et la démonétisation de
l'argent circulant.
Il convient d'ajouter que Tusage industriel de
l'argent est entravé, en France, par le droit do
248 l'indo-chine
contrôle de 20 francs par kilo pour une matière
tombée aujourd'hui à 80 francs.
Dans ces conditions^ la chute était irrémédiable.
C'est ainsi que la piastre qui, il y a quelques
années, était encore à 3 francs et même 3 fr. 50,
est tombée, suivant une dépression continue, au-
dessous du cours de 2 francs, pour se maintenir
finalement aux environs de ce taux. On voit tout
de suite les bouleversements qu'une pareille baisse
a pu produire et Témotion qui dut en résulter dans
tous les milieux.
Les répercussions auxquelles cette baisse a
donné lieu peuvent être envisagées à un triple
point de vue : au point de vue de la fortune des
particuliers, au point de vue du commerce en
général, enfin au point de vue de l'équilibre bud-
gétaire.
La nécessité d'avoir en caisse la monnaie qui
a cours dans le pays où ils exercent leur indus-
trie ou leur commerce, oblige les commerçants et
industriels, établis en Indo-Chine, à transformer
en piastres la plus grande partie de leur avoir.
Chaque nouvelle baisse de la piastre se traduit,
par suite, pour eux, par une diminution de fortune
et leurs bénéfices, en admettant qu'ils n'éprouvent
aucune variation au point de vue du rendement
commercial, subissent une dépréciation par ce
fait seul que les rentrées s'opèrent en piastres.
LA QUESTION MONÉTAIRE 249
C'est ainsi, par exemple, qu'un commerçant qui ga-
gnait 10.000 piastres, en dépensait 4.000 et mettait
6.000 piastres décote, soit 15.000 francs quand la
piastre valait 2 fr. 50^ toutes choses égales
d'ailleurs, ne verra plus sa fortune augmenter
annuellement que de 12.000 francs, avec la piastre
à 2 francs.
Si Ton admet que Ton peut faire une exception
pour ceux qui possèdent un stock de marchan-
dises dont le trafic a lieu en francs, et s'il est vrai
qu'ils ne subissent aucune dépréciation sur la
partie de leur fortune représentée par ce stock,
leur bénéfice, évalué en piastres, n'en subira pas
moins les fluctuations indiquées plus haut, et
nous verrons tout à l'heure que la baisse de la
piastre pourrait rendre leur commerce plus diffi-
cile et moins prospère.
La véritable exception n'existe que pour ceux
dont la fortune pourrait consister en titres (mais
l'Indo-Chine compte si peu de rentiers) et pour
ceux qui se trouvent propriétaires de terrains
dans certaines villes, oii la propriété a pris une
plus-value considérable.
On peut donc affirmer, qu'à de très rares excep-
tions près, la baisse de la piastre a eu pour effet
de diminuer, en principe, la fortune et de réduire
les bénéfices des Européens, mais il est bon
d'ajouter que comme la plupart d'entre eux
250 l'indo-chine
n'éprouvent pas le besoin de transformer leur
fortune en monnaie à étalon d*or, cette perte est
surtout théorique, et que d'un autre côté cette
même diminution de la piastre a souvent amené
un accroissement de transactions commerciales
dont les bénéfices ont compensé, et au delà, les
réductions que nous venons de constater.
' La répercussion de la baisse de la piastre sur la
situation propre des indigènes a été beaucoup moins
sensible : ceux qui ne produisent pas des denrées et
objets consommés dans la colonie s'en aperçoivent
à peine, puisque la base de leurs transactions est
la piastre, mais la piastre dégagée de toute préoc-
cupation de change, c'est-à-dire qu'elle représente
toujours pour eux le même nombre de cents et
de sapèques. D'autre part, leurs achats en pro-
duits européens^ sur lesquels se fait sentir la ré-
percussion du change, sont fort peu importants et
pour eux, Taugmentation de dépenses est de ce
fait à peu près insignifiante.
D'autre part, ceux qui produisent des denrées
et objets d'exportation dont la vente à l'étranger
se fait en or, peuvent bénéficier, dans une certaine
mesure, de la baisse de la piastre. Pour un pro-
duit valant, en effet, 2 fr. 50, la parité ancienne,
à 2 fr. 50 la piastre, était de 1 piastre, tandis qu'à
l'heure actuelle, à 2 francs la piastre, elle est de
1 dollar 25, soit de dollar 25 de bénéfice au
LA QCESTION MONÉTAIRE 251
profit du vendeur indigène, pour qui la piastre
conserve toujours la même valeur.
Hâtons-nous cependant d'ajouter que ce béné-
fice est loin d'être tout entier pour Tindigène : peu
au courant de toutes ces questions de change, ce
dernier, en effet, défend mal ses intérêts contre
les acheteurs des grosses maisons d'exportation,
qui lui font des avances et savent profiter de la
presque totalité de cet écart.
En résumé, au point de vue indigène, les con-
séquences de la baisse de la piastre peuvent au
demeurant être considérées comme à peu près
nulles, pour les uns comme pour les autres.
Nous allons maintenant examiner les consé-
quences de la baisse de la piastre sur le commerce
général. Voyons d'abord la répercussfon produite
sur les importations.
Les valeurs des produits qui sont cotés dans la
plupart des marchés internationaux. Tétant en
francs, shillings ou marks, c'est-à-dire en espèces
fixes, ne sont influencées que par les lois de l'offre
et de la demande qui régissent ces articles. On peut
donc dire que les fluctuations de la piastre n'ont
aucune action sur les cours du marché mondial.
Par contre, les produits importés en Indo-Chine
conservant une valeur constante en or, la baisse
de la piastre se traduit pour les importateurs par
une majoration des prix.
252 l'indo-chine
Prenons un exemple ; supposons un objet quel-
conque valant 2 fr. 50 ou 2 shillings ou 2 marks ;
si la piastre est à 2 fr. 50^ on le paiera une
piastre ; mais si celle-ci est à 2 francs, on le
paiera 1 $ 25.
La valeur de la piastre restant sensiblement la
même dans l'intérieur du pays, il y aura pour le
consommateur une perte sèche de $ 25 dans To^
pération sus-indiquée.
D'où, sans que la valeur de l'objet subisse de
fluctuations sur le marché international, une
hausse de 25 pour 100 par fr. 50 de baisse sur
la piastre pour tous les articles importés en Indo-
Chine par les pays européens.
Si cette hausse n'est pas contrebalancée par
une augmentation générale de bien-être, la con-
séquence économique indiscutable est une dimi-
nution du nombre des acheteurs, et, en dernière
analyse, une diminution des importations.
S'il se produisait, il est vrai, par hasard, sur un
article, une baisse correspondante à la plus-value
demandée, celle-ci faisant contre-poids, la balance
se rétablirait. Mais ce sont là des cas exception-
nels, sur lesquels l'on ne saurait tabler, pas plus
qu'on ne saurait les faire entrer en ligne de
compte dans une discussion sérieuse.
Ajoutons qu'en Indo-Chine, les acheteurs de
produits d'importation sont pour la plus grande
LA QUESTION MONÉTAIRE) 253
partie les fonctionnaires payés en francs, auxquels
ces produits sont vendus en francs et pour les-
quels, par conséquent, les différences de change
n'existent pas. '
Les conséquences de la baisse de la piastre sur
les exportations sont naturellement toutes diffé-
rentes. Étant donné, en effet, que la valeur inter-
nationale du produit est invariable, et qu'il en est
sensiblement de même pour sa valeur intérieure,
sur laquelle la baisse de la piastre, ainsi que nous
Tavons déjà vu, n'a qu'une répercussion infime :
si cet objet vaut 1 piastre dans le pays, on en
donnera 2 fr. 50 ou 2 shillings, ou 2 marks pour
l'exporter, si la piastre est à 2 fr. 50, et on pourra
n'en demander que 2 francs ou 1 shilling 7 1/2
ou 1 mark 60, si elle est à 2 francs.
De là une facilité plus grande d'exportation
pour les commerçants indo-chinois, soit par le
prélèvement d'un bénéfice supérieur, soit par la
possibilité de concurrencer victorieusement, grâce
aux bas prix, des pays à étalon d'or.
Pour les importations, comme pour les exporta-
tions, ces principes sont rigoureusement exacts
en ce qui concerne les importations et les expor-
tations d'articles cotés en monnaies européennes.
Mais pour les articles cotés en piastres et prove-
nant de pays, ou destinés à des pays ayant l'éta-
lon d'argent, la base des transactions étant la
254 l'indo-chine
piastre, ces éléments, gênant les importations et
facilitant les exportations, n'ont plus la même im-
portance, à moins que le pays à étalon d'argent,
qui sert de contre-partie, au lieu d'être un pays
producteur, soit un simple transitaire traitant
avec des pays à étalon d'or. Il est à peu près cer-
tain que, dans ce cas, la répercussion se faisant
sentir tout d'abord chez lui, l'Indo-Chine indirec-
tement en subirait le contre-coup.
Il semble donc démontré que la baisse de la
piastre est, à première vue, un élément favorable
au développement économique du pays. D'une
part, en effet, l'augmentation de valeur des pro-
duits importés est, pour les producteurs locaux,
qui eux n'ont aucune hausse à subir, une facilité
plus grande de concurrencer les produits étrangers.
Il y a là un encouragement à la création d'usines
destinées à produire les marchandises importées
et dont le prix de vente deviendrait de ce fait plus
rémunérateur. D'autre part, les facilités d'expor-
tation indiquées plus haut peuvent permettre aux
industriels d'augmenter leurs moyens de produc-
tion, les fluctuations de la piastre les aidant à
trouver des débouchés certains pour leurs produits.
On peut affirmer que si, pour des pays de tran-
sit, vivant principalement par l'importation, tels
les Strait'Settlements ou Hong-Kong, la baisse
de la piastre crée de grosses difficultés, cette
LA QUESTION MONÉTAIRE 255
même baisse facilite les affaires des pays produc-
teurs. C'est elle qui a beaucoup contribué au dé-
veloppement industriel et commercial du Japon.
On le vit bien lorsqu'au 1«^ octobre 1897, il adopta
rétalon d'or. Dès ce moment, sa prospérité écono-
mique fuL loin de suivre la même marche ascen-
dante qu'auparavant.
Les liens qui rattachent Tlndo-Chine à la métro-
pole et la façon dont on comprend en France,
dans certains milieux le rôle des colonies, entra-
vent l'essor colonial, principalement dès qu'il s'a-
git d'y fonder des industries soi-disant rivales de
celle de la mère-patrie et qui ne seraient en réa-
lité que leurs filliales. Aussi, au point de vue éco-
nomique, rindo-Chine est-elle loin d'avoir tiré
tout le parti qu'elle aurait pu de la baisse de la
piastre. Elle en a cependant recueilli certains
avantages^, comme l'augmentation du chiffre des
affaires qui est venu compenser, pour ses indus-
triels et ses commerçants, la perte qu'ils ont pu
subir sur leurs capitaux ou leurs bénéfices.
Prenons maintenant l'ensemble des opérations
commerciales de l'Indo-Chine.
Les données exactes faisant défaut pour classer
les produits importés et exportés, en produits
payés en monnaies à étalon d'or et en monnaies
à étalon d'argent, car les marchandises étrangères
manquent souvent de certificat d'origine> il faut
256 L^INDO-GHINE
faire ce classement d'une façon approximative, en
s'efforçant de se rapprocher, le plus possible, de
l'exactitude.
Importations Importations
réglées réglées
en or. en argent.
Toutes les importations de
France et d*£urope sont
réglées en or, environ. . . 106.000.000
Les importations classées
sous le titre de Chine et Ja-
pon sont réglées en argent
pour tout ce qui provient
du Japon, mais les impor-
tations de Chine, thé, soies,
et chinoiseries diverses,
sont beaucoup plus impor-
tantes que celles du Japon ;
on peut donc affirmer que
les neuf dixièmes environ
viennent de Chine, soit. . 2.000.000 16.000.000
Le règlement des marchan-
dises provenant du Siam et
de la Birmanie se fait en
piastres, soit environ . . . 5.000.000
Pour Singapore et Hong-Kong
la difficulté est plus grande :
les vendeurs de ces pays
sont en effet, tantôt des né-
gociants travaillant pour leur
propre compte, et alors ils
traitent en piastres, tantôt
de simples courtiers travail-
lant pour le compte de mai-
sons européennes, et les af-
faires se traitent en monnaies
d'Europe.
Areporter. . . ,. . 108.000.000 21.000.000
LA QTESnON MONÉTAIRE 257
Importations ImporUtions
réglées réglées
en or. en argent.
Beparl 108.000.000 21.000.000
L'examen du tableau indi-
quant le détail des importa-
tions nous permet de déter-
miner à peu près la propor-
tion suivante 50.000.000 14 000.000
Ceci s'applique également à la
catégorie des pays divers,
mais avec cette complica-
tion que les uns ont l'éta-
lon d'or, les autres l'étalon
d'argent; l'examen des pro-
duits importés nous conduit
toutefois à cette approxima-
tion 3.500.000 500.000
161.500.000 35.500.000
Appliquons les mêmes principes à la classifica-
tion des exportations, nous aurons :
France et Europe. . . .
Chine et Japon
Birmanie et Siam ....
Singapore et Hong-Kong
Divers
Exportations
en or.
45.000.000
500.000
5.000.000
Exportations
en argent.
5.500.000
2.000.000
57.500.000
45.500.000
50.500 000
110.500.000
En ce qui concerne les transactions en piastres
les variations de cours ne jouent pas. L^on pour-
17
258 l'indo-chine
rait donc dire que les transactions sur lesquelles
les conséquences des fluctuations de la piastre
ont une répercussion se chiflFrent par 161.500.000
à l'importation et 50.500.000 à l'exportation . Mais,
en réalité, le chiffre des exportations influencées
par le change de la piastre est beaucoup plus
élevé. Si le riz, en effet, base principale de notre
exportation, est vendu en piastres à Hong-Kong
ou dans les Indes néerlandaises, la plus grande
partie en est revendue par ces pays, soit en
Chine, pays à étalon d'argent, soit en Europe à
des pays à étalon d'or, et dans ce dernier cas les
variations du taux de la piastre reprennent toute
leur action. C'est dire, en dernière analyse, que
150.000.000 environ, ou la presque totalité de
nos exportations se trouvent influencées par les
variations. Ce chiffre est presque égal au chiffre
des importations influencées.
Enfin, il nous reste à voir si, au point de vue
économique général, la fixité du change est une
facilité pour les transactions commerciales.
Les variations importantes et fréquentes du
change forcent les négociants à faire entrer dans
le compte de leur prix de revient, Taléa des fluc-
tuations de change, et il y a de ce fait un risque
pour eux dans le calcul de cet aléa et une gêne
pour les affaires.
En Indo-Chine, cependant, où les importations.
LA QUESTION MONÉTAIRE 259
achats à Textérieur et ventes dans le pays, se
règlent en monnaie à étalon d'or, la répercussion
de ces variations offre moins d'importance, et ce
sont surtout les Straits-Settlements et Hong-Kong,
pays de courtage et de transit où Ton achète en
or et oii Ton revend en argent, et inversement,
qui souffrent de cet aléa du change.
Ces considérations posées, il convient d'exami-
ner les conséquences de la baisse de la piastre sur
réquilibre et rétablissement du budget général.
Le total des dépenses, dans le budget général
de 1902, que nous prendrons pour base de cette
discussion théorique, s'élevait à 27.128.000 pias-
tres, la piastre étant évaluée à 2 fr. 40.
Une partie de cette somme, environ 15 millions
de piastres, soit 36 millions de francs sont consi*
dérés comme devant être payés en francs.
Ces 36 millions de francs se décomposent
comme suit :
Piastres.
Contribution de l'Indo-Chine aux dépenses
militaires de la métropole 11.500.000
Service de la dette • . . H. 500. 000
Subventions garanties en francs à des lignes
maritimes 1.200.000
Indemnités et frais de bureau, soldes sub-
ventions à divers établissements et consu-
lats, environ 12.000.000
260 l'indo-ghine
Il est bon d'ajouter que sur les 3 millions et
demi de piastres environ de travaux qui figurent
évalués en piastres, au budget des travaux publics,
il en est une partie certainement réglable en
francs.
Est-il possible pour Tavenir d'exécuter en
piastres la partie du budget des dépenses actuelle-
ment réglée en francs, de façon à supprimer les
risques de la baisse de la piastre ?
Pour la plus grosse part, soit 24.200.000 qui
représentent les 11.500.000 de contributions aux
dépenses militaires que la Métropole refuse d'ac-
cepter en piastres, les 11.500.000 du service de
la dette et les 1.200.000 de subventions mari-
times, toutes garanties en francs, ce serait abso-
lument impossible, sans une véritable faillite, sans
un manquement aux engagements pris.
Quant aux 12 millions relatifs aux soldes des
fonctionnaires, subventions diverses, frais de bu-
reau, etc., il y a aussi les engagements pris,
puisque le paiement de leur solde fut fixé en
francs par décrets, et le paiement en piastres
équivaudrait pour eux à une véritable réduction
d'appointements, que beaucoup parmi les petits
ne pourraient probablement pas supporter.
Puisque Texamen du budget des dépenses nous
prouve que cette solution est d'une application
impossible, il est inutile d'étudier TefFet exact da
LA QUESTION MONÉTAIRE 261
règlement du budget en piastres sur le budget des
recettes.
Voyons maintenant s'il ne serait pas pos-
sible, au contraire, d'établir complètement notre
budget en francs. En ce qui concerne les dé-
penses, nous avons dit qu'il en était déjà ainsi
pour plus de 15.000.000 de piastres.
Pour les 12.000.000 d'autres, tous les intéres-
sés, fonctionnaires indigènes ou fournisseurs y
devant trouver un bénéfice, cette transformation
pourrait être chose aisée.
Il n'en serait pas de même pour les recettes.
Quelques-unes sont déjà établies en francs. Mais
elles ne représentent pas la moitié du chiffre
total. Ce sont, par exemple :
Piastres.
La presque totalité du produit des douanes. 6.250.000
Le produit de renregistrement du timbre. . 1.027.000
Le produit des postes et télégraphes .... 461 . 000
Intérêts des titres de rente françaises. (Ré-
serves du Trésor.) . 120.000
Intérêts des fonds d'emprunt 200.000
Intérêts servis par le Crédit foncier 750.000
8.808.000
sôit, en chiffres ronds, 8.808,000 piastres ou
21.000.000 de francs. Le solde, 18.500.000 piastres
ou 44.000.000 de francs, perçu en piastres, se com-
pose de :
262 l'indo-chine
Piastres.
Produits des contributions indirectes et de
régies 17.600.000
Produits de l'exploitation des chemins de fer. 283. 000
Produits de l'exploitation des forêts. . . . 291.000
Intérêts serris par la banque de Tlndo-Chine. 160 . 000
Toutes ces taxes présenteraient, si elles étaient
établies en francs, des difficultés inextricables
pour la conversion exacte des francs en piastres
et leur perception en cette monnaie, la seule
usitée, parce qu'elles sont perçues par sommes le
plus souvent très peu importantes, et qu'elles sont
payées par des redevables qui, ne comprenant
pas cette opération, n'y verraient que la variation
quotidienne des impôts.
C'est pour ce motif que la fixation des taxes
en francs a dû être bornée à quelques-unes seule-
ment, et que l'on n'a pas osé jusqu'ici ' géné-
raliser la mesure appliquée aux droits de douane
et de consommation.
En ce qui concerne, en particulier, le produit
des contributions indirectes, la difficulté provien-
drait surtout de ce que ces impôts sont perçus par
des intermédiaires distillateurs, entrepositaires ou
1. n y a un certain nombre d'années, on voulut faire un
essai; les résultats furent désastreux. M. Eugène Etienne, alors
Sous-Secrétaire d'État aux Colonies, se h&ta de rapporter la me-
sure, et les considérations sur lesquelles il s'appuya font, à
cette beure encore, loi en Indo-Chine.
LA QUESTION MONÉTAIRE 263
fermiers généraux qui devraient, eux, en régler
le montant à l'administration en francs et le ré-
cupérer en piastres chez les indigènes par la vente
du produit, droit compris. Qu'arriverait-il alors?
C'est que, pour ne pas être exposés à perdre, aon
seulement ils prélèveraient un aléa supérieur au
change réel, mais encore il serait à craindre que,
par suite de l'ignorance où est l'indigène de toutes
ces questions de change, ils ne soient tentés de
prendre un bénéfice supplémentaire considérable.
Cette difficulté mérite d'être démontrée par un
exemple.
La taxe des alcools indigènes est de 25 cents
par litre d'alcool pur, soit de 50 centimes si nous la
transformons en francs au cours actuel ; les bé-
néfices alloués aux débitants généraux et en gros
sont, par contrat, fixés à 3 cents par litre pour les
premiers et 1 cent par litre pour les seconds.
Déplus, comme chacun sait, les achats aux distil-
lateurs sont, par les arrêtés, fixés en piastres.
Le cours officiel étant à 2 francs, nous aurons
pour un litre à 40 degrés :
Piastres.
1" Achat au distillateur 0.13
0.50 0,25X40 . .^
2.Taxe.^ j^^ = 0.10
3« Bénéfices des débitants 0.03 + 0.01 = . . . 0.04
Total 0.27
264 l'indo-chine
Si le cours est à 2 fr. 05, la modification porte
sur la taxe et nous avons :
Piastres.
-^ = 0.2439 pour un litre d'alcool pur, soit
2.05
pour un litre à 40 degrés 0.09756
Plus achat et bénéfices 0.17
Total 0.26756
Combien sera vendu le litre? Très certainement
27 cents. De sorte que dans l'impossibilité d'en-
caisser les millièmes de piastres, les débitants
encaisseront toujours le prix fort. Il en sera de
même pour le demi, le quart, le dixième de litre.
Or, il ne faut pas perdre de vue que la nou-
velle législation sur les alcools indigènes ne don-
nera son plein résultat que lorsque toute la vente
s'effectuera en récipients fermés à la portée de
tous les acheteurs, c'est-à-dire en litres : 75, 50,
25 et 10 centilitres. Il faut que la vente soit pos-
sible à un taux exact ou admettre le bénéfice illi-
cite que s'attribueront les intermédiaires. N'est-il
pas évident que la fixation pour chaque récipient
d'un prix exact et invariable de cents favoriserait
le succès de cette innovation, tandis que la mobilité
constante des prix coïncidant avec l'apparition des
nouvelles bouteilles rendra les indigènes défiants.
Le taux variable donnera en outre aux comp-
LA QUESTION MONÉTAIRE 265
tables peu scrupuleux la plus grande facilité pour
réaliser des bénéfices illicites.
Un chef de poste ayant un magasin à sel, reçoit,
le 14, avis d'une hausse de fr. 10 sur le cours de
la piastre à compter du 15.
Le 14, le cours était à 2 francs et les prix s'é-
tablissaient comme suit :
fi f{(\
100 kilogr. de sel = -^ = 3$30
Le 15 les prix seront :
100 kilogr. =|^ = 3S142
Soit une différence de 0.16 par 100 kilogr.
Etant donné la situation excentrique des postes,
les difficultés de contrôle et de surveillance,
l'agent pourra, avec l'assurance de Timpunité,
inscrire un0 grosse vente à la date du 14 et bé-
néficier de 16 cents par 100 kilogr.
Les autres revenus, perçus en piastres, ne
représentent qu'une infime part du budget,
700.000 piastres environ ; leur transformation se-
rait donc insignifiante. Il est toutefois bon dédire
que cette transformation en francs, appliquée aux
tarifs des chemins de fer, en élevant ces tarifs, ne
pourrait que nuire à l'amélioration de leur trafic.
En résumé, il paraît donc difficile d'unifier le
budget général de rindo-Chine, en prenant comme
266 l'indo-ghine
base la piastre ou le franc. Pour pouvoir appli-
quer ce dernier système il faudrait absolument
introduire en Indo-Chine notre système monétaire
métropolitain à Texclusion de tout autre^ ce qui
paraît impossible dans les conditions économiques
oti se trouve la colonie.
Ce que nous venons de dire pour le budget
général s'applique également aux divers budgets
locaux.
Leurs dépenses en francs consistent, pour la
presque totalité, en appointements de fonction-
naires, dont les traitements sont fixés par dé-
crets.
Leurs rentrées se font en piastres et sont four-
nies pour la plus grande partie par l'impôt fon-
cier. Transformé en francs, ce dernier constituera
pour rindigène une augmentation d'autant plus
considérable qu'il sera en butle avec ce système
à des exactions infinies.
Avec le système actuel, fondé sur la piastre, Tin-
digène peut, à peu près, se rendre compte de ce
qu'il a à payer et réclamer, le cas échéant, auprès
de l'administration française contre les abus
des mandarins qui se trouvent ainsi forcément
limités.
Avec le système du franc, au contraire, les
chefs indigènes, seuls maîtres de la répartition
des impôts, pourront, sous le couvert des varia-
LA QUESTION MONÉTAIRE 267
lions de change, faire peser sur les indigènes des
exactions beaucoup plus grandes.
Pour les budgets locaux comme pour le budget
général, la perception de l'impôt en francs nous
semble difficile tant que le système monétaire
français ne' sera pas introduit en Indo-Chine.
Dans les deux cas, la répercussion sur le pays
de cette transformation serait de beaucoup plus
importante que le bénéfice que le Trésor en reti-
rerait et constituerait pour l'indigène une aggra-
vation de charges sans profit réel pour le budget.
C'est le propre des mesures impolitiques et par-
tant dangereuses.
D'autres solutions ont été préconisées pour re-
médier à la situation créée par la baisse de la
piastre. Nous pouvons citer :
A. — Introduction de l'étalon d'or, soit par l'é-
tablissement d'un système monétaire spécial à la
colonie, soit par la mise en vigueur du système
monétaire français.
B. — Fixation d'un cours officiel delà piastre in-
do-chinoise et exclusion des piastres étrangères
de la colonie.
C. — Formation d'une union d'Extrême-Orient
entre les pays de ces contrées employant la piastre.
Nous allons étudier l'un après l'autre ces divers
systèmes.
A. — Introduction de l'étalon d'or. — Adopter
n
268 l'indo-chine
cette solution aurait pour efiet de raréfier encore
la clientèle et par la suite la demande de Targent.
La première conséquence de l'introduction de Té-
talon d'or dans notre colonie serait donc un nouvel
avilissement de la monnaie actuelle. Ce serait
porter un coup des plus sensibles à la colonie, qui
possède des réserves considérables d'argent, et
une menace pour les indigènes et colons, égale-
ment détenteurs de piastres dans de fortes pro-
portions.
De plus, la métropole, et elle Ta déjà prouvé,
ne consentirait probablement pas à autoriser cette
transformation qui accentuerait la panique sur le
marché de l'argent, car elle en ressentirait, la
première, le contre-coup, soit dans son stock de
métal blanc, soit dans l'exportation de ses pro-
duits qui viennent concurrencer sur les marchés
extérieurs ceux des pays à étalon d'argent, dont
la vente, ainsi que nous l'avons dit plus haut,
se trouve favorisée par la baisse de ce métal.
En outre, l'introduction de notre système mo-
nétaire français . aurait le grand désavantage de
jeter le trouble dans les habitudes de l'indigène :
on lui demanderait, en effet, de considérer la
pièce de 5 fr. dont la forme et le volume sont légè-
rement inférieurs à ceux de la piastre, comme va-
lant deux piastres. Cette pièce de 5 fr. est divisée
en 100 « sous », de Ofr.05 centimes, qui nevau-
LA QUESTION MONÉTAIRE 269
dront certes pas auprès des paysans de Tintérieur
plus desapèques que n'en valent actuellement les
100 « cents » de la piastre, d'une valeur de fr. 02.
Ce qu'il était possible d'entreprendre au mo-
ment de la conquête^ quand la piastre avait encore
conservé à peu près son cours normal, devient
presque impossible aujourd'hui que nous avons
sanctionné par l'usage le système monétaire indi-
gène et que la piastre a perdu plus de 50 pour
cent de sa valeur.
Ajoutons enfin que cette mesure jetterait la plus
grande perturbation dans nos relations avec les
pays voisins, qui ont, en ce moment, un système
monétaire semblable au nôtre.
Alors que nous pouvons avoir l'espoir de dé-
tourner un jour au profit de notre colonie une
partie du transit de ces pays qui se fait actuelle-
ment par Hong-Kong et Singapore, un pareil
changement ne pourrait avoir lieu sans de gros
inconvénients.
B. — Fixation d'un cours officiel de la piastre
indo-chinoise et exclusion des piastres étrangères
de la colonie.
Pour réaliser cette solution, deux moyens
peuvent être employés :
i® Frapper d'un droit d'entrée mobile les
piastres étrangères ;
2^ Exclure complètement des transactions
270 l'indo-chine
intérieures les piastres autres que les piastres
indo-chinoises.
Envisageons d'abord la question dans son en.
semble avant de parler de ces deux moyens pra-
tiques.
En principe, rien ne s'oppose à ce que Ton
donne en Indo-Chine un cours légal à la pias-
tre. A Fheure actuelle, le cours officiel variable
diffère bien déjà du cours international de la
piastre, et cependant cette différence est acceptée.
Il est juste de dire que ces écarts sont loin d'avoir
l'importance qu'ils auraient si la piastre avait un
taux officiel fixe. Aujourd'hui, le commerce inté-
rieur étant obligé de prendre au taux officiel
une piastre dont il ne peut se servir dans ses af-
faires qu'avec perte, fait parfois entendre de vives
plaintes quand l'écart des deux taux est trop
grand. Que sera-ce lorsque les piastres étrangères
ne pourront plus circuler en Indo-Chine ?
La valeur d'une monnaie, en dehors de celle
du métal qui la compose, est fixée actuel-
lement par un change variable suivant la loi de
l'offre et de la demande, loi sur laquelle agissent
surtout les importations et les exportations.
Quand vous importez, vous offrez, pour pouvoir
payer votre vendeur étranger, de la monnaie d'or
(francs, shillings, marks).
Quand vous exportez, votre acheteur offre, au
LA QUESTION MONÉTAIRE 271
contraire, cette monnaie internationale, afin d'ob-
tenir la monnaie dont il a besoin pour vous ré-
gler.
Lorsque la balance du commerce extérieur d un
pays s'établit en faveur des importations, l'offre
de sa monnaie s'accentue, le change baisse;
lorsqu'elle s'établit en faveur des exportations, la
demande progresse et le change monte.
Mais, à côté des importations et exportations de
marchandises, il est un autre facteur qui joue un
rôle considérable dans cette question de change,
c'est l'offre et la demande de monnaie, qui ré-
sultent de la balance des créances qu'un pays doit
payer à l'extérieur, du fait des titres de rente en
circulation.
Le paiement des intérêts devant être effectué
en or, dans la presque totalité des cas, si un
pays a plus de rentes à toucher du fait des titres
étrangers qu'il détient, qu'il en a à payer du fait
de ses titres détenus à l'étranger, c'est une de-
mande et, dans le cas contraire, c'est une offre
de sa monnaie qui se produit; toutes deux in-
fluent naturellement sur le change.
C'est en cela que la richesse d'un pays agit for-
tement sur son change.
La Chine nous offre une preuve de l'exacti-
tude de cette loi. L'indemnité de guerre qu'elle a
à payer peut être assimilée à une dette contractée
272 l'indo-ghinb
à la suite d'un emprunt et le versement en or de
cette indemnité provoque une offre de piastres
considérable, qui agit sur le change d'une façon
désastreuse.
Appliquons maintenant ces principes à Flndo-
Chine.
En 1902, les importations étaient supérieures
de 43.000.000 aux exportations, mais on sait que
les chiffres des douanes, pour cette année-là, ne
représentent pas la situation sous son véritable
jour. Une partie de ces importations est due, en
effet, à la vigoureuse impulsion donnée aux grands
travaux entrepris par le gouvernement. Or, ceux-
ci sont payés en francs, avec les fonds indo-chi-
nois disponibles et provenant de la souscription
de son emprunt récent ; cet écart en faveur des
importations n'a donc à proprement parler au-
cune influence sur le change. En l'état actuel des
choses, l'Indo-Chine pourrait donc, sans craindre
d'importantes fluctuations dans le change exté-
rieur, fixer d'une façon officielle le taux de sa
monnaie.
Mais en sera-t-il de même plus tard? Rien n'est
moins démontré.
Nous avons vu que la baisse de la piastre,
entre autres conséquences, avait pour résultat de
diminuer les importations et d'augmenter les
exportations. Sa fixation à un taux supérieur à
r
LA QUESTION MONÉTAIRE 273
celui des pays environnants n'aura-t-elle pas un
effet opposé? Évidemment oui.
Prenons, comme exemple, le riz, et supposons \
qu'à rheure actuelle il soit coté 10 francs sur le \
marché universel, avec la piastre à 2 francs. j
Toutes choses égales d'ailleurs, on le paiera
5 piastres dans les pays circonvoisins.
Mais, admettons maintenant que la piastre soit
à 2 fr. 50 chez nous et à 2 francs à Fextérieur.
On continuera à payer 5 piastres le riz dans les
pays circonvoisins, mais on ne le paiera plus que
4 piastres en Indo-Chine, d'où gêne, et complica-
tions à Texportation. En supposant, au contraire,
qu'on en maintienne, chez nous le cours à
5 piastres (soit alors la parité de 12 fr. 50), la dif-
ficulté sera plus grande encore puisque nos voi-
sins pourront l'offrir à 10 francs sur le marché
universel. On pourrait, objectera-t-on, remédier
en partie à cet état de choses par la suppression
des droits d'exportation. D*accord, mais si la
piastre continue à baisser, ce ne sera là qu'un
palliatif insuffisant, et nous verrons notre expor-
tation diminuer et rapporter beaucoup moins de
piastres à l'indigène. De là, nouvelle difficulté
pour la colonie de maintenir son change. La dimi-
nution des exportations, en influant sur le change,
influera aussi considérablement sur le crédit du
pays.
18
274 L^INDO-CHINE
Il est bon d'ajouter que ce principe, rigoureuse-
ment exact, joue avec plus de force et de rapi-
dité pour les produits manufacturés que pour les
produits du sol.
En effet, pour les premiers, dans les pays où
Ton voit s'améliorer les facilités d'exportation, on
peut très vite créer de nouvelles usines, augmen-
ter la puissance de production de celles qui exis-
tent déjà, et la répercussion se fait aussitôt sentir
sur le pays où l'exportation est entravée.
Pour les produits du sol qui sont la grande
source d'exportation de l'Indo-Chine, cet accrois-
sement se fait moins vite. Il faut trouver des ter-
rains propres à la culture, les préparer, semer,
récolter, etc. La répercussion sur les pays plus
mal placés est, par suite, moins prompte.
Mais cette loi économique, pour agir plus len-
tement, en ce dernier cas n'en agit pas moins
sûrement.
C'est cependant la solution du taux fixe de la
piastre qui peut encore donner la meilleure solu-
tion si rindo-Chine en est réduite à agir bientôt
et à agir seule.
En ce cas, comment parvenir à exclure complè-
tement les, piastres étrangères? Il existe deux
moyens d'atteindre ce but :
l^ Les frapper d'un droit d'entrée mobile;
2® Prohiber l'emploi, dans les transactions inté-
LA QUESTION MONÉTAIRE 275
rieures, commerciales ou autres, des piastres
autres que la piastre indo-chinoise.
1® A première vue, il semble qu'un droit fixe
moyen serait un système plus libéral et d'une
application plus facile ; mais il n'en est rien, en
réalité; il présente, en efifet, les désavantages
d'offrir une prime à la spéculation, qui peut pro-
fiter d'une différence de change pour introduire,
avec bénéfice, des piastres étrangères avant que le
droit ne vienne à être modifié, et de considérer
comme importées, sans qu'elles aient acquitté les
droits, toutes les piastres étrangères existant dans
le pays. D'oii une grosse perte pour le Trésor,
qui ne peut se livrer à un inventaire.
2** La prohibition pure et simple, au contraire, est
une mesure radicale, qui, quoique moins libérale,
serait après tout préférable si l'on accordait un
délai suffisant pour son exécution. Le trésor pour-
rait reprendre ces piastres étrangères à un prix fixé
d'après l'évaluation du change et les transformerait
en piastres indo-chinoises. Naturellement, l'entrée
en Indo-Chine de ces piastres étrangères serait
interdite dès le moment où cette décision serait
prise.
11 serait, dans ce cas, nécessaire de créer un
nouveau type de monnaie à partir du jour où la
nouvelle législation serait applicable.
Nous arrivons enfin à la troisième solution pré--
276 l'indo-ghine
conisée : la formation d'une union monétaire
d'Extrême-Orient.
Les conceptions précédentes, nous l'avons mar-
qué, ne pouvaient être considérées que comme
des palliatifs momentanés, des dispositions pro-
visoires, et ne devaient être acceptées que si
rindo-Chine, isolée au milieu de l'Asie indiffé-
rente ou inerte, en était réduite à ses seules
forces.
Il devient presque inutile, à cette heure, d'in-
sister sur l'intérêt que pourraient avoir les pays
d'Extrême-Orient à entrer dans une union moné-
taire, avec fixation officielle du taux de la piastre,
et sur l'influence mondiale qu'aurait cette fixa-
tion.
Les polémiques des journaux nous indiquent,
chaque jour, quelle est la crise intense dont souf-
frent^ depuis déjà assez longtemps, les colonies
britanniques, du fait de la baisse de la piastre.
Les commerçants de ces pays, gros transitaires
travaillant avec l'Europe, voient leurs affaires
diminuer considérablement; les armateurs an-
glais et chinois sentent leur fret baisser dans des
proportions inquiétantes, et plus encore que le
commerce indo-chinois celui de ces pays se ressent
de la crise actuelle.
Leurs budgets subissent des contre-coups tout
aussi fâcheux. Par suite de l'énorme indemnité de
LA QUESTION MONÉTAIRE 277
guerre qu'elle doit payer h l'Europe, la Chine, en
tant que gouvernement, semble être plus inté-
ressée que toute autre nation à faire cesser cet état
de choses.
Le moment semble donc admirablement choisi
pour proposer cette union, qui garantirait les co-
signataires de la convention contre les risques de
fluctuations du change de leurs monnaies respec-
tives.
Le bloc ainsi formé diminuerait, d'autre part,
dans de très fortes proportions, les risques de
fluctuations du change vis-à-vis de l'étalon d'or,
car il aurait pour conséquences :
1° De fixer la valeur marchande de la piastre,
par une réglementation de la frappe;
2^ De diminuer les chances de baisse de l'ar-
gent, en assurant, à ce métal, une clientèle fixe,
tandis que l'on escompte, en ce moment, la perte
de cette clientèle, par l'adoption de Tétalon
d'or.
En résumé, il nous semble établi que l'Indo^
Chine, à l'exception de certains cas particuliers,
ne souffre pas économiquement de la crise
actuelle et qu'au contraire, il serait possible,
ou de profiter de cette crise pour pousser au dé-
veloppement industriel de la colonie, ou de
rester dans le statu quo si, à l'aide de nouvelles
ressources, l'on parvient à équilibrer le budget.
278 l'iNDO CHINE
sans recourir à la mesure dangereuse de le fixer
entièrement en francs.
Si, par suite de l'impossibilité d'équilibrer le
budget^ on se trouvait obligé de prendre une déci-
sion, le seul système n'offrant aucun désavan-
tage sérieux serait TUnion monétaire des pays
d'Extrême-Orient.
Ce n'est que dans un cas désespéré et à son
corps défendant qu'il faudrait recourir à l'expé-
dient de la fixation du taux officiel de la piastre >
avec nouvelle frappe et exclusion complète de la
monnaie étrangère.
Nous ne pouvons clore ce chapitre sans dire
quelques mots d'une question qui préoccupe gra-
vement la population annamite, celle de la sa-
pèque.
Cette question est, en effet, des plus intéres-
santes pour la colonie, elle est d'ordre absolument
intérieur et n'a aucune répercussion directe sur
nos rapports, soit avec la métropole, soit avec
l'étranger.
La ligature^ qui se subdivise en 10 tiens de
60 sapèques chacun, n'a pas un rapport fixe avec
la piastre. Avant l'occupation française, la piastre
s'échangeait pour 5 à 6 ligatures. Depuis qu'on a
accepté des ligatures en paiement de Timpôt, la
valeur des sapèques est très rapidement tombée
et la piastre a valu jusqu'à 8 ligatures. En pré-
F
LA QUESTION MONÉTAIRE 279
sence de cet avilissement, radministration fran-
çaise n'avait pas jugé utile de continuer à frapper
cette monnaie.
Cependant, les pièces composées de zinc et de
terre se brisant facilement et le stock n'en ayant
pas été renouvelé, elles se raréfièrent et le change
de la ligature, vis-à-vis de la piastre, ne tarda pas
à remonter.
Dès 1896, le Gouvernement indo-chinois s'était
préoccupé de la question et avait réuni une com-
mission qui, n'ayant pas trouvé un métal qui
permît de produire des sapèques dans des condi-
tions acceptables, n'arriva à aucune solution.
La sapèque a depuis continué à disparaître et
actuellement elle ne suffit plus aux demandes des
indigènes. Au contraire, la piastre, largement frap-
pée par le gouvernement et mise en circulation par
les Européens habitant la colonie^ n'a cessé d'avoir
une circulation de plus en plus considérable.
En raison de la loi de l'offre et de la demande,
il s'en est suivi une hausse de la ligature par
rapport à la piastre.
La cherté du riz au Tonkin a forcé les exporta-
teurs de ces denrées, qui règlent tous leurs achats
en sapèques, à demander plus largement les
ligatures et, en fort peu de temps, le change a
atteint des chiffres inconnus jusqu'ici.
Il devient urgent, dans ces conditions, d'étu-
280 l'indo-ghinb
dier à nouveau cette question qui peut être très
importante, tant pour le budget que pour Tave-
nir économique de la colonie.
En efiet, le travailleur annamite, ou coolie, fait
tous ses achats, nourriture, vêtements, loge-
ment, etc.. en ligatures. Il est très rare qu'il ait
recours à la piastre.
Il est payé, soit par Tadministration, soit par
les particuliers en piastres; il est donc forcé
d'échanger ces piastres contre des ligatures, et à
l'heure actuelle il reçoit 40 à 30 pour 100 de
moins de ces dernières.
Certains fonctionnaires indigènes touchent
leur traitement en ligatures, mais comme le Trésor
n'accepte plus cette monnaie, ils sont réglés en
piastres sur la base de 6 ligatures à la piastre.
Cet indigène reçoit donc 1 piastre par 6 ligatures
qui lui sont dues ; au change, il ne reçoit que 3
ou 4 ligatures par piastre, soit une perte de 40 à
B7 pour 100. C'est par trop excessif. Depuis
quelque temps, les réclamations affluent de
toutes parts, les fonctionnaires annamites deman»
dent une élévation de traitement ou une régle-
mentation du taux de la ligature. D'autre part, le
service des Travaux publics, obligé aussi dans
certaines provinces d'acheter des ligatures pour
régler le salaire de ses coolies, qui n'accepte-
raient pas d'autre monnaie, subit du fait de la
I
LA QUESTION MONÉTAIRE 281
hausse de la ligature un très grand préjudice.
Enfin, les industriels et entrepreneurs, s'ils règlent
leur main-d'œuvre en piastres, s'exposent à des
réclamations sans nombre de leurs ouvriers indi-
gènes, et s'ils règlent^ au contraire, leur main-
d'œuvre en ligatures, ils éprouvent une perte
sensible du fait de l'élévation du change.
Au point de vue économique et au point de vue
budgétaire, la situation vaut, on le voit, la peine
d'être examinée, la raréfaction de la sapèque et
l'élévation de son cours pouvant amener une
hausse générale du prix de la main-d'œuvre et
des objets de première nécessité.
Si, d'une façon générale, les élévations du prix
de la main-d'œuvre et des marchandises ou den-
rées sont la preuve de la richesse d'un pays, si
les progrès de la civilisation dans une colonie y
amènent forcément une augmentation des be-
soins des indigènes, et par conséquent un ren-
chérissement général, il est aussi du devoir d'un
bon gouvernement, sans aller à l'encontre de
cette loi économique, de ne rien faire pour ac-
centuer ce mouvement, mais plutôt au contraire
d'en réglementer l'évolution.
En effet, si l'augmentation des prix des diffé-
rents produits est une preuve de richesse, cette
richesse, surtout dans une colonie encore jeune,
ne peut être maintenue et augmentée que par un
282 l'indo-ghine
effort économique régulier et constant. Cet effort
économique lui-môme ne peut se développer que
par le bon marché des matières premières et de
la main-d'œuvre ; si leur prix s'élève par trop
vite, l'effort économique se trouve enrayé et
Tavenir de la colonie peut être compromis.
Pour éviter ce péril, il devient nécessaire de
conserver le plus longtemps possible, à la base
du système monétaire indo-chinois, une pièce
comme la sapèque, ayant une valeur excessivement
minime, et aussi de la faire revenir à son taux
normal en ramenant le prix de la ligature vis-à-vis
de la piastre à une proportion plus juste et plus
régulière. Mais il importe de sortir au plus tôt de
l'étude théorique de la question et de donner à
l'indigène, en ce moment dépourvu de monnaie,
les moyens de s'affranchir des difficultés de
toutes sortes au milieu desquelles il se débat
depuis déjà longtemps.
CONCLUSION
Cette étude est forcément incomplète. Nous
avons dû resserrer dans un cadre limité d'avance
un sujet démesurément vaste. Nous avons dû, par
suite, laisser dans Fombre plus d*un point qui
eût demandé des études spéciales, comme par
exemple la question des impôts, si intimement liée
à la question budgétaire, devenue à cotte heure la
première des préoccupations. Peut-être y revien-
drons-nous un jour.
Nous n'avons voulu nous occuper que d'une
chose, le développement, ou pour mieux dire
l'avenir économique de FIndo-Chine. Nous nous
sommes efforcés de tirer d'un examen approfondi
des faits, de constatations pour la plupart faites
sur place, les conclusions qui s'imposaient et
dont chacun pourra vérifier les termes.
Ce qui se dégage de la situation présente^ c'est
284 l'indo-€hine
qu'on a voulu aller beaucoup trop vite. Un inven-
taire général eût dû tout d'abord être dressé. En
Indo-Chine, nous avons, semble-t-il, agi avec notre
tempérament national. Nous avons été pressés de
mettre sur pied une œuvre qui parût se tenir. Or,
cette conception est contraire au tempérament du
pays, fait de calme, de patience. On a voulu, d'un
seul coup, faire du définitif àenis un pays où rien
n'est définitif, où on peut être, où on sera amené,
au fur et à mesure qu'on le connaîtra mieux, et
qu'on le pénétrera davantage, à modifier ses
premières dispositions. Peut-être eût-il mieux
valu recourir au provisoire, parer au plus pressé,
quitte à modifier les premières entreprises sui-
vant révolution de nos pensées et de nos senti-
ments. Mais cette vigoureuse et hardie impulsion
était, d'un autre côté, nécessaire pour calmer les
inquiétudes et donner confiance et, à tout prendre,
il faut se féliciter qu'elle ait été entreprise. Il est
vrai qu'elle a été supérieurement conduite et que
les dimensions grandioses du cadre permettent
d'oublier le brusque de certains détails. Il faut la
compléter aujourd'hui par une mise au point, par
des rectifications et des retouches, qui demanderont
à être faites avec infiniment de tact et de méthode
afin de paraître insensibles aux yeux sagaces des
Annamites.
L'Indo-Chine a traversé de rudes épreuves. Elle
CONCLUSION 285
est aujourd'hui sortie de la phase difficile. Elle
entre dans la voie de la mise en valeur et le dé-
veloppement naturel de ses richesses doit lui
assurer, à bref délai, une période de longue pros-
périté. 11 faut se garder de précipiter cette évolu-
tion, mais au contraire la régler, la surveiller, la
diriger. Pensez qu'une erreur, un défaut d'ai-
guillage pourrait avoir les pires conséquences.
Les capitaux commencent à apprendre le chemin
de rindo-Chine. Demain, ils y afflueront. A la
moindre alerte, pris de panique, ils en revien-
draient et tout serait à recommencer. Et l'œuvre
à refaire serait d'autant plus longue, que des
exemples fâcheux seraient là pour intimider ou
paralyser les efforts.
A la faveur de cette transformation qui apportera
à TAnnamite plus de bien-être et plus de con-
fiance, il faut achever l'œuvre de pénétration ré-
ciproque des races. Il faut que l'Annamite, non
seulement comme il le fait aujourd'hui, nous
respecte et nous craigne, mais qu'il nous aime et
nous fréquente. Et, de notre côté, il faut que nous
nous etibrcions de pénétrer plus avant dans son
intimité, que nous apprenions sa langue, et que
des rapports mutuels d'estime et de confiance s'é-
tablissent de plus en plus. Il faut que nous utili-
sions davantage les ressources locales, que nous
intéressions l'indigène — et si possible même
â86 l'indo-ghine
effectivement — à tous nos efforts et que nous
fassions appel aux concours locaux pour les grands
travaux d'ordre général qui restent à entreprendre.
Llndo-Chine a une mission historique à accomplir.
Placée au point de contact de plusieurs races, son
rôle dans le monde peut lui donner une place pré-
pondérante dans la marche de l'humanité. Senti-
nelle avancée en Extrême-Orient, elle surveille et
sépare bien des appétits et des convoitises. Quel
sera son avenir? La France, en la prenant sous sa
protection, a assumé de grands devoirs.
Unies par le sang versé en commun, par des
intérêts réciproques, par une confiance et un amour
mutuels, elles doivent ensemble achever leurs des-
tinées. Et ce ne sera pas pour la République un de
ses moindres titres à la reconnaissance de l'his-
toire que cette colonie, hier encore exposée aux
pires calamités et aujourd'hui devenue, grâce à
elle, un des pays les plus riches et les plus pros-
pères de tout TExtrême-Orient.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
Phéface V
AvANT-PhOPOS XVII
LIVRE PREMIER
Ce qu'est Tlndo- Chine au point de vue social.
CHAPITRE PREMIER
Aperça historique et développement politique du peuple
annamite. — Coup d'œil ethnographique et traits dis-
tinctifs de la race. — La religion, le culte des ancêtres.
— La famille 3
' CHAPITRE II
L'organisation du pays. — Une monarchie absolue régie
par des institutions démocratiques. — La commune, le
canton, la vie indigène. — L'accès aux fonctions pu-
bliques. — Rôle et prépondérance des lettrés 15
CHAPITRE III
L'Annamite et la civilisation. — Goûts et aptitudes natu-
rels. — L'enseignement. — Bases rationnelles de l'or-
ganisation sociale et force morale du peuple annamite. 28
288 TABLE DES MATIÈRES
LIVRE DEUXIÈME
De rinutilité de modifier sa structure politique.
CHAPITRE PREMIER
Des phases diverses de la conquête et du caractère de
notre domination. — De la nécessité d'établir le protec-
torat et d'en bien marquer les limites. — Utilisation et
mise en œuvre 39
CHAPITRE II
Du rôle qui échoit à la France. — L*autorité morale doit
être le fondement essentiel de notre politique colo-
niale. — Pénétration réciproque des éléments européens
et indif^ènes et profit qu'en retirera l'Indo-Chine. ... 63
LIVRE TROISIÈME
Des raisons et de la nécessité de développer ses
richesses économiques.
CHAPITRE PREMIER
Le problème agricole. — Dans quel sens doit être dirigé
notre effort. — La culture du tabac. — Les arbres à huile. 71
CHAPITRE II
De la propriété foncière et du régime des concessions. —
La main-d'œuvre indigène. » Ses qualités, son mode.
— Nécessité d'en assurer la réglementation. — L'Indo-
Chine a moins besoin de colons que de capitaux. ... 101
CHAPITRE III
Ce qull y a encore à faire dans le domaine agricole. —
Les textiles et leurs débouchés. — L'avenir de l'abaca,
de la ramie et du jute 119
CHAPITRE IV
L'Indo-Chine au point de vue séricicole. — La culture du
mûrier. — La soie et son avenir. — Magnaneries et fi-
latures 144
TABLE D£S MATIERES 289
CHAPITRE V
Travaux d'irrigation et d'assèchement. — Gomment se
pose le problème. — L'irrigation du Delta. — Ses con-
séquences 154
5 CHAPITRE VI
Matières premières et richesses minières. — Le fer, le
cuivre. — Les charbonnages. — Leur importance et leur
rôle économique. — Vaste champ ouvert à l'industrie
et aux exploitations agricoles 171
CHAPITRE VII
La situation commerciale de l'Indo-Chine. — Statistiques
éloquentes. -* Augmentation soutenue dans le chiffre
des importations et des exportations. — Le transit
avec la Chine. — Le commerce de riz 209
CHAPITRE VIII
I
I Au sujet des craintes exprimées par certaine école éco-
•' nomique. — L'Indo-Chine ne peut concurrçixcer la
I France. — Son marché naturel, c'est la Chiûe avec ses
I 400 millions d'habitants. — Les débouchés qu'elle y
I doit trouver ' 234
CHAPITRE IX
La question monétaire. — La piastre et la dépréciation
de l'argent. — De l'influence de la baisse de la piastre
sur le développement économique de l'Indo-Chine. —
Les solutions proposées. — L'Indo-Chine est avant tout
un pays d'exportation. — L'équilibre budgétaire doit
être la préoccupation principale. — La crise de la sa-
pèque. — Du danger de laisser plus longtemps l'indigène
exposé aux fluctuations de la ligature 244
Conclusion 283
EMILE COUN, XMFRIMfiRUC X>£ LAUNY (S.-ST-U.J
19